Faut-il développer des solutions éthiques indépendantes, sur abonnement, quitte à rester confidentiels ? Ou bien vaut-il mieux entrer dans l’arène pour changer les choses « de l’intérieur », au risque de se perdre sur des plateformes géantes et qui font la part belle aux stéréotypes ? Olympe de Gê et Nikita Bellucci répondent à la question.
Accès trop facile pour les mineur·es, manque de respect des droits du travail ou du consentement de certain·es acteur·rices, contenus valorisant la culture du viol ou l’inceste… Les critiques pleuvent sur le porno mainstream. Contre toute attente, la productrice et réalisatrice de porno éthique Erika Lust, une référence dans le domaine, a annoncé en juin qu’elle se lançait sur des sites majeurs comme Pornhub, YouPorn et RedTube, emboîtant le pas à d’autres productions de films du même genre. Cette annonce réveille une éternelle question : faut-il développer des solutions éthiques indépendantes, sur abonnement, quitte à rester confidentiels ? Ou bien vaut-il mieux entrer dans l’arène pour changer les choses « de l’intérieur », au risque de se perdre sur des plateformes géantes et qui font la part belle aux stéréotypes ?
POUR
Olympe de Gê
Réalisatrice et actrice de films sexuellement explicites et féministes 1
« Le porno féministe doit être présent là où les gens sont, tout simplement. On se lamente beaucoup, moi la première, du fait que tout soit hyper standardisé sur les sites mainstream : les corps sont minces, blancs, les poitrines sont grosses, les vulves épilées avec de petites lèvres, les rapports sont phallocentrés, très hétéros… Tout ce qui sort de ce cadre est présent mais de manière fétichisée : les femmes noires sont présentées sous des stéréotypes racistes par exemple. Être sur Pornhub est un moyen de remédier à ce manque de représentations et d’infuser la culture du consentement dans le porno mainstream. Quand quelqu’un recherchera “fellation”, il aura ainsi une chance de tomber sur des corps différents, un rapport où la femme n’est pas contrainte à une gorge profonde, des partenaires qui dialoguent, avant, pendant et après le rapport.
Intégrer des vidéos éthiques aux plateformes porno est donc super sur le papier. Mais j’ai tout de même des réserves. Cette annonce d’Erika Lust ne prend pas vraiment en compte le consentement des actrices quant à cette diffusion. Quand j’ai signé le contrat avec cette productrice, je n’avais pas imaginé que ces vidéos puissent être vues en accès libre sur Pornhub. C’est pourquoi je lui ai demandé qu’elle ne publie pas celles dans lesquelles je figure.
Pour que je change d’avis, il faudrait que le système des sites type Pornhub bouge : modifier l’algorithme, repenser la page d’accueil pour visibiliser les contenus féministes, financer la production de porno éthique et surtout… mettre en place un accès payant pour accéder aux films éthiques. Depuis que j’engage mon corps dans le porno, ça a toujours été une condition et une limite pour moi : je veux bien que mon corps soit visible, mais que ça reste circonscrit à des gens aux mêmes valeurs. L’abonnement permet ça. Et si de vieux mascus paient, au moins, je leur aurai pris leur argent ! »
CONTRE
Nikita Bellucci
Réalisatrice et actrice de porno éthique
« Il faut rester hors de ces systèmes, ces sites ne respectent pas la loi. On y trouve des vidéos nommées “Papa fais-moi mal”, ou encore “Jeune ado se fait prendre par son beau-frère”, qui font l’apologie de la pédophilie et de l’inceste. Les actrices paraissent parfois mineures, et leur réaction pose la question de la non-prise en compte de leur consentement. J’ai vu une vidéo où l’actrice se prend une gifle par exemple, et où l’on voit qu’elle ne s’y attendait pas. On montre que, par la contrainte, on peut arriver à une jouissance… Alors que pas du tout. Dans le porno éthique, on peut trouver des scènes brutales, mais on fait apparaître la notion de consentement. Ainsi, mes abonnés m’ont demandé une scène assez violente, j’ai scénarisé une mise en abyme de tournage. Avec la personne qui joue mon mari, on est à table, on discute du fait que cinq personnes me prendront. Je dis : “Mais mon chéri, à tout moment, si je veux arrêter, on arrête.” Et on entend le mari confirmer : “Si tu dis stop, on arrête tout.” La femme décide de ce qu’il va se passer.
Ces sites ont ruiné l’industrie, ils participent aussi à la précarisation des actrices et des acteurs. Ils mettent en ligne du contenu volé, accessible gratuitement, il n’y a plus d’argent pour les productions et pour rémunérer correctement les acteurs et les actrices. Sur Pornhub, par exemple, des vidéos où j’apparais sont vues 30 millions de fois en accès libre et je n’ai jamais touché un centime. On se sent volées, humiliées, notre consentement n’est pas respecté. Avec OnlyFans ou MYM 2, au moins, je suis indépendante, j’ai un accès direct à mes abonnés, qui me paient sans intermédiaire [sauf commission de la plateforme, ndlr].
Le gros problème des plateformes type YouPorn reste leur accessibilité aux mineurs. Ces sites n’ont mis aucun système de vérification d’âge en place, il suffit de cocher une case… Dès qu’on sait lire, on peut y accéder, ce qui est interdit par la loi, [censée protéger] les mineurs. À force de regarder du X, leur vision de la sexualité est biaisée. Je refuse d’en être, je pense qu’on peut éveiller le public au porno éthique autrement, en faisant de la prévention sur les réseaux sociaux par exemple. »
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