les vacances des anges 4

Féminisme et télé­réa­li­té : la syner­gie est-​elle possible ?

Depuis plu­sieurs jours, un vent bruisse sur les réseaux sociaux de plu­sieurs stars fran­çaises de la télé­réa­li­té et de leurs fans. A coup de hash­tag #BoycottNRJ12 et #StopHarcèlementTLR, toutes et tous dénoncent les pra­tiques de la chaîne NRJ12 qui encou­ra­ge­rait, pour asseoir ses audiences, har­cè­le­ment moral et sexiste dans son émis­sion Les Vacances des anges. Et leur fer de lance, Angèle Salentino, comme d’autres stars pas­sées par la télé­réa­li­té, affiche clai­re­ment la cou­leur : elle est fémi­niste. Mais télé­réa­li­té et fémi­nisme sont-​ils compatibles ?

« Ils valident le har­cè­le­ment et ils en ont rien à foutre de notre gueule », lance, dans un live ins­ta­gram du 15 avril, Angèle Salentino à trois de ses anciennes com­parses de la sai­son 4 des Vacances des anges en par­lant de la pro­duc­tion de l’émission de télé­réa­li­té dif­fu­sée sur NRJ12. « Nora [une membre de la prod, ndlr], tu sais ce qu’elle nous a dit à nous les filles quand elle est venue nous voir pour nous brie­fer dans l’hôtel ?, reprend-​elle. […] Elle nous dit mot pour mot – sur les yeux de ma mère, c’est vrai les filles : “Franchement, les mecs, ils en peuvent plus, ils sont à l’hôtel, ils vont explo­ser. Vous êtes à deux doigts de vous prendre une giclée de sperme au visage, hein.” [Puis] avant qu’on rentre dans la pre­mière séquence, Nora [ouvre] la porte de la voi­ture [et dit] “faites voir la mar­chan­dise, faites voir comme elles sont fraîches”, genre les mor­ceaux de chair, tu vois. […] Elle nous res­pecte pas et c’est une femme pour­tant et je pense qu’ils font exprès de mettre des femmes pour que ça passe mieux. » Ce sou­ve­nir en rap­pelle un autre à Nathanya Sion. « Moi je me rap­pelle, Gabrielle [une membre de la prod] est venue me voir, elle m’a dit : “Tu veux pas sor­tir avec Toto, tu veux sor­tir avec per­sonne ici ? Bah pour­tant t’avais pas­sé un cas­ting de salope, hein.” Je lui ai fait : “un cas­ting de salope ?!” » Une troi­sième, Rawell Saiidii, enchaîne à pro­pos de ce même Toto : « Mais même moi, ils m’ont dit “le public il rêve­rait que tu te mettes avec Thomas” et j’ai dit “écou­tez, Thomas c’est du pas­sé, pour moi, c’est mort” », avant que les cris éber­lués de ses copines masquent la fin de l’histoire de Rawell. Ces deux heures de live en forme de grand débal­lage des sor­dides des­sous de la télé­réa­li­té où les irrup­tions sexistes de la prod et de certain·es candidat·es le dis­putent au non res­pect du consen­te­ment des can­di­dates, sont inti­tu­lées #BoycottLesAnges. 

Il faut dire que depuis quelques jours, le ton est mon­té jusqu’à un point de non retour entre, d’un côté la socié­té de pro­duc­tion La Grosse équipe et la chaîne NRJ12 et de l’autre des par­ti­ci­pantes de l’émission qui dénoncent le har­cè­le­ment dont elles ont été l’objet durant les tour­nages, la plu­part du temps de la part « d’ancien·nes », c’est-à-dire des candidat·es qui rem­pilent depuis plu­sieurs années dans Les Anges de la télé­réa­li­té ou sa variante Les Vacances des anges. Ce qui semble avoir mis le feu aux poudres et déclen­ché, au-​delà de la ques­tion du har­cè­le­ment entre candidat·es, la libé­ra­tion de la parole sur la façon dont se com­porte la pro­duc­tion des émis­sions, c’est un inop­por­tun com­men­taire du compte Instagram de la chaîne sur l’un des pré­cé­dents lives dénon­çant les situa­tions de har­cè­le­ment moral et sexiste : « Moi je ne com­prends pas. Vous avez pris l’argent, et main­te­nant vous criez au scan­dale ? » Qu’il s’agisse d’une erreur de bas­cu­le­ment de compte d’un com­mu­ni­ty mana­ger mal­adroit ou d’une volon­té assu­mée par la chaîne de créer du buzz en se moquant de ces femmes disant avoir été vic­times d’un har­cè­le­ment ciblé et répé­té par des candidat·es qui en ont fait leur tête de Turc, le mal est fait et les hash­tags #BoycottNRJ12 et #BoycottLesAnges appa­raissent. C’est, en vingt ans de télé­réa­li­té fran­çaise, la pre­mière fois que des vedettes du sérail (Angèle Salentino, Céline Morel, les jumelles Saiidii, Nathanya…) se regroupent pour dénon­cer en leur nom le mau­vais trai­te­ment qu’elles estiment avoir subi, à la fois devant et en dehors des camé­ras de la prod. Et elles donnent des noms. Celui du can­di­dat Raphaël Pépin, par exemple, réap­pa­raît sou­vent, à coup de cita­tions de crasse miso­gy­nie. Leur force ? Bénéficier du sou­tien d’une com­mu­nau­té fidèle sur les réseaux sociaux dans les­quels elles se sont recy­clées influen­ceuses. Ces fans, femmes ou hommes, accré­ditent la dimen­sion sexiste de ces affaires à coups de com­men­taires, et Angèle Salentino s’affiche fiè­re­ment membre du « femi­nist gang » sur son Instagram. Le temps de la revanche fémi­niste de ces femmes qui se sont fait un nom en jouant le jeu de la bim­bo fan­tas­ma­tique serait-​il venu ?

« Être fémi­niste, c'est aus­si être libre de par­ti­ci­per aux pro­grammes que l'on veut. » 

Jennifer Chachat, ex-​candidate de la Villa des cœurs brisés

À vrai dire, Angèle Salentino n’est pas la seule jeune femme ayant per­cé sous les feux de la télé­réa­li­té à se reven­di­quer fémi­niste. Maeva Ghennam, puis­sante influen­ceuse révé­lée par l’émission Les Marseillais et depuis ins­tal­lée à Dubaï comme nombre de ses aco­lytes, a publié il y a quelques mois sur Instagram un post au sta­te­ment ico­no­claste : « Féministe, j’aime pas la douche, que les bains. » La jeune femme est allon­gée nue dans la bai­gnoire d’un somp­tueux hôtel, la mousse du bain recou­vrant ses par­ties intimes et contour­nant par-​là même l’impitoyable cen­sure du réseau social. Quel que soit le mys­té­rieux rap­pro­che­ment que fasse Maeva Ghennam entre le fémi­nisme et l’eau savon­neuse, le posi­tion­ne­ment inter­roge. Ainsi, ces corps ultra-​érotisés seraient habi­tés par des êtres prêtes à en découdre avec la domi­na­tion des hommes sur les femmes ? 

Ce n’est pas chez Causette que nous dirons le contraire : le fémi­nisme est mul­tiple et per­sonne « ne se trompe de com­bat » car ils sont tous légi­times à mener. Mais de quel com­bat parlons-​nous ici ? Le monde cari­ca­tu­ral de la télé-​réalité, dans lequel sévissent d’implacables sté­réo­types de genres, ne paraît pas être un ter­rain fer­tile aux valeurs fémi­nistes. Et pour­tant, celles qui le peuplent puis en sortent, ont un avis tran­ché sur la ques­tion. « Bien sûr que je me consi­dère fémi­niste ! » n’hésite pas une seconde Jennyfer Chachat, à la ques­tion de Causette qui parais­sait pié­geuse. « Pour moi, le fémi­nisme c'est le res­pect des femmes, de cha­cun de leurs choix. Qu'elles aient les mêmes droits, les mêmes consi­dé­ra­tions, les mêmes salaires que les hommes, conti­nue la can­di­date de la sai­son 4 de la Villa des cœurs bri­sés. Être fémi­niste, c'est aus­si être libre de par­ti­ci­per aux pro­grammes que l'on veut. » Le choix est donc assu­mé, même si la jeune femme dénonce elle aus­si les dou­teux agis­se­ments de la pro­duc­tion qui semble balayer là encore d’un revers de main la notion de consen­te­ment : « Ils m’ont clai­re­ment dit : tu choppes ton pré­ten­dant ou tu pars ». 

« C’est évident ! et il est même essen­tiel à la méca­nique du pro­gramme. La femme n’existe qu’à tra­vers un couple, mon­té de toute pièce avec un mâle hété­ro bien viril de préférence ! »

Morgane Enselme, can­di­date de Secret Story 5

Car c’est la règle : pour de bonnes audiences, il faut du spec­tacle et de l’imbroglio sen­ti­men­tal, du sexy et beau­coup de clash, avec sou­vent un res­sort sexiste. Lorsque Causette demande à l’ancienne can­di­date de Secret Story Morgane Enselme si elle a assis­té à des scènes dégra­dant les femmes, la réponse est sans appel : « C’est évident ! et il est même essen­tiel à la méca­nique du pro­gramme. La femme n’existe qu’à tra­vers un couple, mon­té de toute pièce avec un mâle hété­ro bien viril de pré­fé­rence ! » Elle pré­fère en rire, contrai­re­ment au Haut Conseil à l’Egalité (HCE) qui a consa­cré une par­tie de son rap­port annuel de 2020 aux écueils miso­gynes de ces pro­grammes.  « Les émis­sions de télé­réa­li­té […] ont, pour la plu­part, un code nar­ra­tif com­mun, fon­dé essen­tiel­le­ment sur la mise en scène de « clashs », ces scènes de conflits où les pro­ta­go­nistes se montrent très agressif·ves ver­ba­le­ment, par­fois à la limite de la menace phy­sique », souligne-​t-​il. Prenons une scène deve­nue culte. Quand dans la sai­son 4 des Marseillais, Julien Tanti s’époumone « Les gars ! Y’a le mec à Milla, y’a le mec à Milla ! » pour annon­cer l’arrivée « sur­prise » de Mujdat, sapé comme jamais d’un cos­tume camel, dans la vil­la occu­pée par son ex-​dulcinée Milla Jasmine, nous sommes face à ce que nous sommes venu·e trou­ver en regar­dant l’émission : du « Ciel ! Mon mari » des temps pré­sents (car Milla fri­cote avec un autre). Sauf qu’au plai­sir sco­pique se mêle le malaise. Les « Je viens retrou­ver ma femme » et « Je suis qui pour toi ? » de Mudjat à Milla (qui répond « T’es mon ex ! ») se font insis­tants, colé­riques. Certes, la jeune femme a suf­fi­sam­ment de répon­dant pour ne pas se lais­ser désar­çon­née par l’agressivité de son ex, mais elle confie­ra tout de même lors du débrief face camé­ra (pas­sage obli­gé de ces émis­sions depuis le confes­sion­nal du Loft) avoir été « cho­quée » : « Pourquoi il est là ? C’est un vrai cau­che­mar. Je sais que quand Mudjat vient dans cette aven­ture, c’est pour régler ses comptes avec moi, c’est pour ça que je m’énerve direct. » Que la jeune femme joue cet état de choc ou pas, le résul­tat est le même : c’est dans ce genre de rap­ports agres­sifs et dés­équi­li­brés que la télé­réa­li­té puise son sel. « Cette scène est vio­lente », déplore Nathalie Nadaud Albertini, doc­teure en socio­lo­gie et autrice de l’ouvrage Douze ans de télé-​réalité… au-​delà des cri­tiques morales. « On y décèle des com­por­te­ments graves de chan­tage affec­tif, de pos­ses­si­vi­té et de sexisme décom­plexé ». 

Le dis­cours est tout autre dans les cou­lisses et notam­ment du côté d’Alexia Laroche-​Joubert, l’incontournable papesse de la télé-​réalité. Productrice des Marseillais ver­sus le Reste du monde, mais aus­si de l’iconique Loft Story, dont nous venons de « fêter » les vingt ans, elle aime ses pro­grammes et les défend bec et ongles contre toute remarque émet­tant l’hypothèse qu’ils dégradent l’image des femmes. Elle sou­tient même le contraire. « Concernant Koh-​Lanta, ce sont des cri­tiques aber­rantes, explique-​t-​elle lors d’un entre­tien avec Causette. Savez-​vous qu’aux JO, il n’y a que deux épreuves où les femmes affrontent les hommes ? Dans cette émis­sion, nous met­tons les femmes au pre­mier plan. » Si Alexia Laroche-​Joubert est autant remon­tée, c’est que plu­sieurs de ses émis­sions ont été épin­glées par le Rapport annuel du HCE. « Que ce soit en biki­ni dans la mai­son ou en pei­gnoir trans­pa­rent et talons aiguilles au petit déjeu­ner dans la salle com­mune, la télé­réa­li­té montre au public des femmes sexua­li­sées, même dans des contextes qui ne s’y prêtent pas ordi­nai­re­ment » pointe-​t-​il ain­si. Alexia Laroche-​Joubert s’en émeut : « De manière géné­rale, cette étude vou­drait nous faire croire que les can­di­dates de télé-​réalité sont des bim­bos écer­ve­lées sans défense, mais ils sont à côté de la plaque, poursuit-​elle. Ces femmes sont puis­santes, déter­mi­nées, et elles s’assument par­fai­te­ment ! » 

Le corps comme outil d’émancipation 

Ce que ne dément pas Nathalie Nadaud-​Albertini, audi­tion­née par le Haut Conseil à l’Egalité pour ce même rap­port. Si elle ana­lyse des sté­réo­types sexistes, « l’ultra viri­li­té d’un côté, la fémi­ni­té hyper­bo­lique de l’autre », elle pré­cise que la plu­part des can­di­dates aux émis­sions de télé-​réalité semblent très sûres d’elles et font de leur phy­sique un atout majeur de leur affir­ma­tion de soi. « Je pense notam­ment aux scènes de pré­sen­ta­tion des can­di­dats entre eux. Ces femmes arrivent, fières dans toute leur hyper­fé­mi­ni­té bran­die. Elles accen­tuent leurs formes, cam­pées sur leurs deux pieds. Elles sont fortes, et semblent nous dire : je n’ai peur de rien ! » C’est le cas de Milla Jasmine ou de Maeva Ghennam, se reven­di­quant fémi­nistes l’une comme l’autre. Un fémi­nisme hyper­sexua­li­sé, avec des corps sou­vent pas­sés par la case chi­rur­gie esthétique. 

Lire aus­si l Féminisme et bis­tou­ri : retou­cher, c’est tromper ?

La phi­lo­sophe fémi­niste Camille Froidevaux-​Metterie et autrice de l’essai Le Corps des femmes. La bataille de l'intime parle de cor­po­réi­té et d’incarnation fémi­nines. « J’ai pour habi­tude de le qua­li­fier d’incarné, ce fémi­nisme, pour signi­fier tout de suite qu’il s’agit de par­ler du corps des femmes. [Lequel] n’est pas que bio­lo­gique. […] Il a des impli­ca­tions sociales, et il faut le pen­ser à tra­vers le prisme du pou­voir et des rap­ports de pou­voir. » Dans son ouvrage La révo­lu­tion du fémi­nin, l’autrice expose l’importance de l’expérience du sujet qui incarne sa fémi­ni­té à tra­vers son corps. Le sou­ci esthé­tique devient une quête de « coïn­ci­dence à soi ». D’objet pour les hommes, le corps des femmes devient sujet, vec­teur d’affranchissement dans le sillage de la pen­sée Beauvoirienne. 

Que pen­ser alors du « Klan Kardashian », modèle du genre et consi­dé­ré comme un canon esthé­tique des temps modernes ? Dans la maî­trise totale de leur appa­rence, ces égé­ries de leur propre image en font un busi­ness lucra­tif. Et dans leur sillage, de nom­breuses jeunes femmes s’engouffrent, en quête de suc­cès et d’émancipation.

« On ne m’a jamais expli­qué ce qu’était le féminisme » 

Maeva Ghennam


Cette volon­té tenace de réus­sir et de fuir une enfance par­fois vio­lente anime de nom­breuses can­di­dates qui puisent leur convic­tion fémi­niste dans la rési­lience. À com­men­cer par Nabilla Vergara, qui au même titre que nombre de ses consœurs, a rêvé en grand pour échap­per à un père à la fois absent et strict voire violent. Dans son second livre auto­bio­gra­phique, Trop vite, elle explique s’être construite en réac­tion à une édu­ca­tion qu’elle jugeait liber­ti­cide. « Grâce à lui [son père], je suis deve­nue fémi­niste. Le rap­port à la fémi­ni­té de cer­tains musul­mans est inad­mis­sible, je pour­rais signer des péti­tions contre cette condi­tion révol­tante. Mais per­sonne ne m’a jamais deman­dé de m’engager pour une si noble cause, car Nabilla est une conne de la télé­réa­li­té, avec de gros nichons et le quo­tient intel­lec­tuel d’un pois chiche ». Car oui, on retient avant tout de la jeune femme une his­toire de sham­poing. Maeva Ghennam, quant à elle sor­tie de son bain, s’explique éga­le­ment sur sa vision du fémi­nisme et arti­cule sa convic­tion autour de sa rela­tion aux hommes et de son indé­pen­dance. « Je n’ai pas besoin d’un homme pour vivre. Je veux pou­voir gagner mon propre argent, confie-​t-​elle dans une sto­ry sur son compte Instagram. Je fais tout pour ne pas avoir à comp­ter sur eux, ils sont comme un acces­soire. » Des hommes objets donc. 

La jeune femme déclare s’être « décou­verte fémi­niste » sans le savoir car « on ne m’a jamais expli­qué ce que c’était. » Et il aurait peut-​être fal­lu. Car défi­nir le fémi­nisme revient avant tout à le conju­guer au plu­riel. Et lorsque nous par­lons "des fémi­nismes", l’écueil est la confu­sion des genres et la ten­ta­tion du "fémi­nisme washing", cou­tu­mier de nom­breuses can­di­dates de télé-​réalité. « Selon moi, le fémi­nisme n’est pas un méli-​mélo de prise de pou­voir et de quête d’émancipation nous explique Léa Lejeune, jour­na­liste éco­no­mique et autrice du récent essai Le fémi­nisme washing et la récu­pé­ra­tion du com­bat fémi­niste par les marques. Pour chan­ger les idéaux, il faut chan­ger les pra­tiques en interne. Et cela passe par une connais­sance socio­lo­gique du sujet, et du mili­tan­tisme. » A ses yeux donc, ces jeunes femmes se reven­di­quant fémi­nistes se la jouent trop per­so – en uti­li­sant leurs atours dans le cadre d’une éman­ci­pa­tion per­son­nelle – pour être par­fai­te­ment sin­cères. Celle qui est aus­si pré­si­dente de Prenons la Une sou­tient donc l’importance de dis­tin­guer le « girl power » du fémi­nisme. « Se cacher der­rière des valeurs d’empowerment n’est rien d’autre que de l’utilitarisme. Le corps des femmes a tou­jours été un outil mar­ke­ting mais ce qui est nou­veau, c’est d’y acco­ler des valeurs morales » conclut-​elle auprès de Causette. Un autre argu­ment com­plète ce point de vue : dans cette branche comme dans d’autres (man­ne­qui­nat, ciné­ma…) la sta­ri­sa­tion de femmes aux corps cor­res­pon­dant si bien aux dik­tats de beau­té ne fait-​elle pas de mal aux autres femmes, ces spec­ta­trices ano­nymes qui les adulent et cherchent à leur res­sem­bler ? Dans la télé­réa­li­té fran­çaise, dès le départ, le deal de la fabrique à fan­tasmes était déjà bien pré­sent. En 2001, nous étions tous et toutes les yeux rivés sur notre petit écran, à regar­der tota­le­ment fas­ci­nés les remous d’une pis­cine du Loft. Inédit.

« J’ai seize ans, et une télé dans ma chambre […] C’est extra­or­di­naire : j’ai sous les yeux le pre­mier por­no du réel de l’histoire de la télé­vi­sion française. » 

Paul Sanfourche, Sexisme Story 

La jeune femme au cœur de toutes les atten­tions voyeu­ristes avait sculp­té son corps, sujet à tant de fan­tasmes, à la hau­teur de ses ambi­tions. Loana, à qui Paul Sanfourche, auteur de l’enquête Sexisme Story. Loana Pettruciani, redonne une voix et un nom (celui d’un père détes­table), est la toute pre­mière « incar­na­tion » de la télé-​réalité en France. Elle en est même le sym­bole. Celui de la bim­bo reven­di­quée, à l’image de Pamela Anderson, blonde et pul­peuse, qu’elle admire infi­ni­ment. En par­ti­ci­pant à ce pro­gramme inédit, elle pense du haut de ses 24 ans et de ses chaus­sures com­pen­sées ren­con­trer l’amour, enta­mer la grande vie et se défaire d’une enfance trau­ma­tique. Mais meur­trie par des vio­lences de toutes natures, ce des­tin doré lui échappe. « Loana Pettruciani a vécu une odys­sée contre le sexisme à l’échelle d’une vie, explique Paul Sanfourche. De son père qui l’a vio­lée, à un com­pa­gnon qui l’a bat­tue et fait som­brer dans la toxi­co­ma­nie. Elle se méfie de la poli­tique, et ne se reven­dique pas fémi­niste mais son par­cours a été une lutte de tous les ins­tants, pour exis­ter en tant que femme. Elle a pris le pou­voir à sa façon en renais­sant par un acte conscient d’émancipation. On peut par­ler "d’empuissancement". »

Ambition per­son­nelle

Aux côtés de Jean-​Edouard Lipa, dont elle dit être tom­bée « ins­tan­ta­né­ment amou­reuse », la jeune femme pose à la sor­tie du Loft pour la cou­ver­ture de Téléstar. Sa noto­rié­té la dépasse, tant ce show a déchaî­né les pas­sions. Mais pas celle de Jean-​Edouard, qui ne lui rend pas son affec­tion à la hau­teur de ses espé­rances. Pourtant, elle se love contre lui. À son cou, un col­lier sur lequel on peut lire : « Fuck me, I am famous. » Vingt ans après, Loana Pettruciani estime avoir lais­sé der­rière elle, grâce à cette expé­rience, une pré­ca­ri­té maté­rielle mais aus­si affec­tive et ne regrette pas un ins­tant « l’aventure ». Elle resigne même en 2018, en pas­sant la porte de la Villa des cœurs bri­sés 4, accueillie par la remarque des plus char­mantes du can­di­dat Julien Guirado : « Malgré son grand âge, elle est pas péri­mée quoi, Loana. » Encore et tou­jours, « l'ancienne » jeune femme semble n’exister qu’à tra­vers un phy­sique fan­tas­mé par elle-​même puis sexua­li­sé par les autres, et fina­le­ment indé­fi­ni­ment cri­ti­qué, jusqu’à l’obsession. 

Sarah Martins, can­di­date des Princes et les prin­cesses de l’amour et des Anges de la télé-​réalité, elle aus­si, a enten­du beau­coup de quo­li­bets et déci­dé de les igno­rer. Elle dit sans détours avoir eu recours à la chi­rur­gie esthé­tique pour « entrer dans le jeu de la séduc­tion ». « On ne va pas se men­tir, on est tous là pour ça ! J’ai fait refaire mon nez dont j’étais com­plexée, le contour de mes lèvres, dit-​elle au micro de Sam Zirah de l’émission web En toute inti­mi­téAh non, pas les seins ! » alors que ce der­nier, pas très convain­cu, se per­met d’insister. C’était il y a trois ans et lorsqu’elle s’entretient aujourd’hui avec Causette, la jeune femme est tout aus­si cash mais ne s’étend plus sur cette ques­tion. Elle est en revanche très au clair sur ses moti­va­tions : si elle est pas­sée par la télé-​réalité, c’est avant tout par ambi­tion per­son­nelle. « J’ai vécu cette période comme un pas­sage, une façon de m’affirmer et de retrou­ver une estime de moi que j’avais per­due, spé­ci­fi­que­ment dans mes rela­tions amou­reuses. Mais être en com­pé­ti­tion pour un homme, je n’ai jamais trou­vé cela flat­teur ! » 

Violences conju­gales

Car les scé­na­ri­sa­tions de ces colo­nies en huit-​clos de jeunes adultes ne brillent pas fran­che­ment par leur soro­ri­té. La télé­réa­li­té exa­cerbe, voire, créé de toutes pièces, une riva­li­té entre femmes délé­tère. Et par­fois, même pas besoin de mettre un homme au milieu. Sarah Fraisou, qui s’est construit un per­son­nage de bonne pote des mecs au fil de ses appa­ri­tions dans Les Anges, se com­plait dans le rôle de la meuf vache avec les autres can­di­dates, nou­velles entrantes de pré­fé­rence. Il y a aus­si l’ex-couple Nehuda et Ricardo, connus pour avoir har­ce­lé Aurélie Preston et Andréane dans Les Anges 8, en 2016. Suite à l’explosion du hash­tag #StopHarcèlementTLR, Nehuda a d’ailleurs déci­dé de faire amende hono­rable sur ses réseaux sociaux. « Quand je revois mes actions, bien sûr que je me dis que j’étais conne à ce moment-​là. L’important, c’est d’évoluer ! », s’absout-elle. Cette même Nehuda a d’ailleurs décla­ré il y a deux mois sur son compte avoir été vic­time de… Violences conju­gales de la part de Ricardo. « Gros raciste qu’il est, si vous saviez com­ment il est raciste, com­ment il parle des arabes, com­bien de fois je m’embrouillais avec lui à cause de ça… […] Notre his­toire de 5 ans n’était que men­songe. J’étais enceinte, il m’a mena­cée avec une arme à bout por­tant, j’ai crié, j’étais en larmes, j’ai appe­lé la police, je suis allée por­ter plainte le len­de­main. […] J’étais enceinte il m’a ouvert le crâne à coups de poings, j’ai eu deux points de suture. » Comme le raconte ensuite cet article de Madmoizelle, Ricardo s’est expli­qué très mal­adroi­te­ment sur cette affaire, tan­dis que Nehuda était accu­sée par certain·es inter­nautes de racon­ter des men­songes – une double peine fré­quente pour les bim­bos, que la socié­té n’arrive pas à envi­sa­ger comme victime. 

« La télé-​réalité, c’est une pro­messe bri­sée » 

Morgane Enselme

Malgré la vio­lence des uns et des autres, peu de femmes regrettent d’avoir mis un pied dans ce Far-​West de l’hubris. Ainsi Sarah Martins explique à Causette avoir « par­ti­ci­pé par curio­si­té mais aus­si pour mettre en œuvre d’autres pro­jets, qui [lui] res­semblent plus ». Désormais influen­ceuse, elle se lance dans la musique et compte 544 000 fol­lo­wers sur Instagram. Une gloire appa­rem­ment suf­fi­sante. « Je n’ai jamais cher­ché à être la meilleure, à avoir la plus grande com­mu­nau­té. Mais je m’épanouie dans mon acti­vi­té, et je reste la même, que ce soit dans les émis­sions ou sur les réseaux sociaux. » Parmi les can­di­dates inter­viewées pour cet article, seule Morgane Enselme, par­ti­ci­pante de Secret Story 5, montre de l’amertume. Justifiée. « J’avais 20 ans. J’étais là pour por­ter un com­bat et j’y croyais. » Son secret : « Mon père s’appelle Brigitte ». Brigitte Boréale, la jour­na­liste mili­tante trans­genre aux ini­tiales porte-bonheur. 

« La pro­duc­tion est venue me cher­cher en me per­sua­dant que cela offri­rait une visi­bi­li­té à la cause LGBT. En réa­li­té, j’étais là pour jouer le rôle de la vic­time qui pleure tout le temps. J’ai même été convo­quée par la pro­duc­tion pour m’entendre dire que j’étais trans­pa­rente. On ne nous laisse pas exis­ter par nous-​même de façon posi­tive, il faut tou­jours faire scan­dale. La télé-​réalité, c’est une pro­messe bri­sée. » Une fois sor­tie de l’aventure, lorsqu’elle arrive auprès d’un pro­duc­teur avec une idée d’émission, c’est la douche froide : « Je t’arrête tout de suite Morgane, toi, tu es une can­di­date de télé-​réalité, ne cherche pas à être intel­li­gente, c’est pas ce qu’on veut. » Dix ans plus tard, n’en déplaise à cer­tains, Morgane Enselme est une jeune femme accom­plie, autrice en deve­nir. Une véri­table revanche sur le désen­chan­te­ment d’une télé-​réalité qui vou­drait condi­tion­ner les des­tins, qua­si incon­di­tion­nel­le­ment vers le fas­tueux monde de l’influence.

Sororité à Dubaï

Celles qui ont per­cé dans une deuxième car­rière d’influenceuse s’envolent le plus sou­vent à Dubaï, temple de tous les pos­sibles à l’image de leur car­rière : ville construite en un éclair, dans l’opulence et le bling. Choisir de vivre dans la capi­tale des Emirats arabes unis tout en se reven­di­quant fémi­niste, c'est en soi un para­doxe, vu la condi­tion des femmes autoch­tones ou des domes­tiques sur place, et même les règles qui s'appliquent à la liber­té de dis­po­ser de son corps. Mais c’est peut-​être dans cette seconde vie, sto­ries à l’appui, qu’on décèle der­rière les paillettes des petits moments de soro­ri­té, loin de la concur­rence du plateau-​télé. Lors d’une réunion lit­té­ra­le­ment au som­met de la tour Burj Khalifa en février 2021, de Nabilla Vergara, Maeva Ghennam et Manon Marsault (révé­lée dans la sai­son 3 de L'île des véri­tés), les marques d’amitié fusent. « C’est comme ma petite sœur » dira même Manon Marsault de Maeva Ghennam, en pre­nant sa défense dans une sombre affaire de sorcellerie. 

On serait ten­té de croire que ce dis­cours est construit de stra­té­gie, mais force est de consta­ter que ces femmes se serrent les coudes et se sou­tiennent mutuel­le­ment. Rejoindront-​elles Angèle Salentino et ses cama­rades dans ce qui s’amorce comme une libé­ra­tion de la parole sans pré­cé­dent autour de la vio­lence de ces émis­sions qui les ont cou­ron­nées reines de l’influence ?

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