Depuis plusieurs jours, un vent bruisse sur les réseaux sociaux de plusieurs stars françaises de la téléréalité et de leurs fans. A coup de hashtag #BoycottNRJ12 et #StopHarcèlementTLR, toutes et tous dénoncent les pratiques de la chaîne NRJ12 qui encouragerait, pour asseoir ses audiences, harcèlement moral et sexiste dans son émission Les Vacances des anges. Et leur fer de lance, Angèle Salentino, comme d’autres stars passées par la téléréalité, affiche clairement la couleur : elle est féministe. Mais téléréalité et féminisme sont-ils compatibles ?
« Ils valident le harcèlement et ils en ont rien à foutre de notre gueule », lance, dans un live instagram du 15 avril, Angèle Salentino à trois de ses anciennes comparses de la saison 4 des Vacances des anges en parlant de la production de l’émission de téléréalité diffusée sur NRJ12. « Nora [une membre de la prod, ndlr], tu sais ce qu’elle nous a dit à nous les filles quand elle est venue nous voir pour nous briefer dans l’hôtel ?, reprend-elle. […] Elle nous dit mot pour mot – sur les yeux de ma mère, c’est vrai les filles : “Franchement, les mecs, ils en peuvent plus, ils sont à l’hôtel, ils vont exploser. Vous êtes à deux doigts de vous prendre une giclée de sperme au visage, hein.” [Puis] avant qu’on rentre dans la première séquence, Nora [ouvre] la porte de la voiture [et dit] “faites voir la marchandise, faites voir comme elles sont fraîches”, genre les morceaux de chair, tu vois. […] Elle nous respecte pas et c’est une femme pourtant et je pense qu’ils font exprès de mettre des femmes pour que ça passe mieux. » Ce souvenir en rappelle un autre à Nathanya Sion. « Moi je me rappelle, Gabrielle [une membre de la prod] est venue me voir, elle m’a dit : “Tu veux pas sortir avec Toto, tu veux sortir avec personne ici ? Bah pourtant t’avais passé un casting de salope, hein.” Je lui ai fait : “un casting de salope ?!” » Une troisième, Rawell Saiidii, enchaîne à propos de ce même Toto : « Mais même moi, ils m’ont dit “le public il rêverait que tu te mettes avec Thomas” et j’ai dit “écoutez, Thomas c’est du passé, pour moi, c’est mort” », avant que les cris éberlués de ses copines masquent la fin de l’histoire de Rawell. Ces deux heures de live en forme de grand déballage des sordides dessous de la téléréalité où les irruptions sexistes de la prod et de certain·es candidat·es le disputent au non respect du consentement des candidates, sont intitulées #BoycottLesAnges.
Il faut dire que depuis quelques jours, le ton est monté jusqu’à un point de non retour entre, d’un côté la société de production La Grosse équipe et la chaîne NRJ12 et de l’autre des participantes de l’émission qui dénoncent le harcèlement dont elles ont été l’objet durant les tournages, la plupart du temps de la part « d’ancien·nes », c’est-à-dire des candidat·es qui rempilent depuis plusieurs années dans Les Anges de la téléréalité ou sa variante Les Vacances des anges. Ce qui semble avoir mis le feu aux poudres et déclenché, au-delà de la question du harcèlement entre candidat·es, la libération de la parole sur la façon dont se comporte la production des émissions, c’est un inopportun commentaire du compte Instagram de la chaîne sur l’un des précédents lives dénonçant les situations de harcèlement moral et sexiste : « Moi je ne comprends pas. Vous avez pris l’argent, et maintenant vous criez au scandale ? » Qu’il s’agisse d’une erreur de basculement de compte d’un community manager maladroit ou d’une volonté assumée par la chaîne de créer du buzz en se moquant de ces femmes disant avoir été victimes d’un harcèlement ciblé et répété par des candidat·es qui en ont fait leur tête de Turc, le mal est fait et les hashtags #BoycottNRJ12 et #BoycottLesAnges apparaissent. C’est, en vingt ans de téléréalité française, la première fois que des vedettes du sérail (Angèle Salentino, Céline Morel, les jumelles Saiidii, Nathanya…) se regroupent pour dénoncer en leur nom le mauvais traitement qu’elles estiment avoir subi, à la fois devant et en dehors des caméras de la prod. Et elles donnent des noms. Celui du candidat Raphaël Pépin, par exemple, réapparaît souvent, à coup de citations de crasse misogynie. Leur force ? Bénéficier du soutien d’une communauté fidèle sur les réseaux sociaux dans lesquels elles se sont recyclées influenceuses. Ces fans, femmes ou hommes, accréditent la dimension sexiste de ces affaires à coups de commentaires, et Angèle Salentino s’affiche fièrement membre du « feminist gang » sur son Instagram. Le temps de la revanche féministe de ces femmes qui se sont fait un nom en jouant le jeu de la bimbo fantasmatique serait-il venu ?
« Être féministe, c'est aussi être libre de participer aux programmes que l'on veut. »
Jennifer Chachat, ex-candidate de la Villa des cœurs brisés
À vrai dire, Angèle Salentino n’est pas la seule jeune femme ayant percé sous les feux de la téléréalité à se revendiquer féministe. Maeva Ghennam, puissante influenceuse révélée par l’émission Les Marseillais et depuis installée à Dubaï comme nombre de ses acolytes, a publié il y a quelques mois sur Instagram un post au statement iconoclaste : « Féministe, j’aime pas la douche, que les bains. » La jeune femme est allongée nue dans la baignoire d’un somptueux hôtel, la mousse du bain recouvrant ses parties intimes et contournant par-là même l’impitoyable censure du réseau social. Quel que soit le mystérieux rapprochement que fasse Maeva Ghennam entre le féminisme et l’eau savonneuse, le positionnement interroge. Ainsi, ces corps ultra-érotisés seraient habités par des êtres prêtes à en découdre avec la domination des hommes sur les femmes ?
Ce n’est pas chez Causette que nous dirons le contraire : le féminisme est multiple et personne « ne se trompe de combat » car ils sont tous légitimes à mener. Mais de quel combat parlons-nous ici ? Le monde caricatural de la télé-réalité, dans lequel sévissent d’implacables stéréotypes de genres, ne paraît pas être un terrain fertile aux valeurs féministes. Et pourtant, celles qui le peuplent puis en sortent, ont un avis tranché sur la question. « Bien sûr que je me considère féministe ! » n’hésite pas une seconde Jennyfer Chachat, à la question de Causette qui paraissait piégeuse. « Pour moi, le féminisme c'est le respect des femmes, de chacun de leurs choix. Qu'elles aient les mêmes droits, les mêmes considérations, les mêmes salaires que les hommes, continue la candidate de la saison 4 de la Villa des cœurs brisés. Être féministe, c'est aussi être libre de participer aux programmes que l'on veut. » Le choix est donc assumé, même si la jeune femme dénonce elle aussi les douteux agissements de la production qui semble balayer là encore d’un revers de main la notion de consentement : « Ils m’ont clairement dit : tu choppes ton prétendant ou tu pars ».
« C’est évident ! et il est même essentiel à la mécanique du programme. La femme n’existe qu’à travers un couple, monté de toute pièce avec un mâle hétéro bien viril de préférence ! »
Morgane Enselme, candidate de Secret Story 5
Car c’est la règle : pour de bonnes audiences, il faut du spectacle et de l’imbroglio sentimental, du sexy et beaucoup de clash, avec souvent un ressort sexiste. Lorsque Causette demande à l’ancienne candidate de Secret Story Morgane Enselme si elle a assisté à des scènes dégradant les femmes, la réponse est sans appel : « C’est évident ! et il est même essentiel à la mécanique du programme. La femme n’existe qu’à travers un couple, monté de toute pièce avec un mâle hétéro bien viril de préférence ! » Elle préfère en rire, contrairement au Haut Conseil à l’Egalité (HCE) qui a consacré une partie de son rapport annuel de 2020 aux écueils misogynes de ces programmes. « Les émissions de téléréalité […] ont, pour la plupart, un code narratif commun, fondé essentiellement sur la mise en scène de « clashs », ces scènes de conflits où les protagonistes se montrent très agressif·ves verbalement, parfois à la limite de la menace physique », souligne-t-il. Prenons une scène devenue culte. Quand dans la saison 4 des Marseillais, Julien Tanti s’époumone « Les gars ! Y’a le mec à Milla, y’a le mec à Milla ! » pour annoncer l’arrivée « surprise » de Mujdat, sapé comme jamais d’un costume camel, dans la villa occupée par son ex-dulcinée Milla Jasmine, nous sommes face à ce que nous sommes venu·e trouver en regardant l’émission : du « Ciel ! Mon mari » des temps présents (car Milla fricote avec un autre). Sauf qu’au plaisir scopique se mêle le malaise. Les « Je viens retrouver ma femme » et « Je suis qui pour toi ? » de Mudjat à Milla (qui répond « T’es mon ex ! ») se font insistants, colériques. Certes, la jeune femme a suffisamment de répondant pour ne pas se laisser désarçonnée par l’agressivité de son ex, mais elle confiera tout de même lors du débrief face caméra (passage obligé de ces émissions depuis le confessionnal du Loft) avoir été « choquée » : « Pourquoi il est là ? C’est un vrai cauchemar. Je sais que quand Mudjat vient dans cette aventure, c’est pour régler ses comptes avec moi, c’est pour ça que je m’énerve direct. » Que la jeune femme joue cet état de choc ou pas, le résultat est le même : c’est dans ce genre de rapports agressifs et déséquilibrés que la téléréalité puise son sel. « Cette scène est violente », déplore Nathalie Nadaud Albertini, docteure en sociologie et autrice de l’ouvrage Douze ans de télé-réalité… au-delà des critiques morales. « On y décèle des comportements graves de chantage affectif, de possessivité et de sexisme décomplexé ».
Le discours est tout autre dans les coulisses et notamment du côté d’Alexia Laroche-Joubert, l’incontournable papesse de la télé-réalité. Productrice des Marseillais versus le Reste du monde, mais aussi de l’iconique Loft Story, dont nous venons de « fêter » les vingt ans, elle aime ses programmes et les défend bec et ongles contre toute remarque émettant l’hypothèse qu’ils dégradent l’image des femmes. Elle soutient même le contraire. « Concernant Koh-Lanta, ce sont des critiques aberrantes, explique-t-elle lors d’un entretien avec Causette. Savez-vous qu’aux JO, il n’y a que deux épreuves où les femmes affrontent les hommes ? Dans cette émission, nous mettons les femmes au premier plan. » Si Alexia Laroche-Joubert est autant remontée, c’est que plusieurs de ses émissions ont été épinglées par le Rapport annuel du HCE. « Que ce soit en bikini dans la maison ou en peignoir transparent et talons aiguilles au petit déjeuner dans la salle commune, la téléréalité montre au public des femmes sexualisées, même dans des contextes qui ne s’y prêtent pas ordinairement » pointe-t-il ainsi. Alexia Laroche-Joubert s’en émeut : « De manière générale, cette étude voudrait nous faire croire que les candidates de télé-réalité sont des bimbos écervelées sans défense, mais ils sont à côté de la plaque, poursuit-elle. Ces femmes sont puissantes, déterminées, et elles s’assument parfaitement ! »
Le corps comme outil d’émancipation
Ce que ne dément pas Nathalie Nadaud-Albertini, auditionnée par le Haut Conseil à l’Egalité pour ce même rapport. Si elle analyse des stéréotypes sexistes, « l’ultra virilité d’un côté, la féminité hyperbolique de l’autre », elle précise que la plupart des candidates aux émissions de télé-réalité semblent très sûres d’elles et font de leur physique un atout majeur de leur affirmation de soi. « Je pense notamment aux scènes de présentation des candidats entre eux. Ces femmes arrivent, fières dans toute leur hyperféminité brandie. Elles accentuent leurs formes, campées sur leurs deux pieds. Elles sont fortes, et semblent nous dire : je n’ai peur de rien ! » C’est le cas de Milla Jasmine ou de Maeva Ghennam, se revendiquant féministes l’une comme l’autre. Un féminisme hypersexualisé, avec des corps souvent passés par la case chirurgie esthétique.
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La philosophe féministe Camille Froidevaux-Metterie et autrice de l’essai Le Corps des femmes. La bataille de l'intime parle de corporéité et d’incarnation féminines. « J’ai pour habitude de le qualifier d’incarné, ce féminisme, pour signifier tout de suite qu’il s’agit de parler du corps des femmes. [Lequel] n’est pas que biologique. […] Il a des implications sociales, et il faut le penser à travers le prisme du pouvoir et des rapports de pouvoir. » Dans son ouvrage La révolution du féminin, l’autrice expose l’importance de l’expérience du sujet qui incarne sa féminité à travers son corps. Le souci esthétique devient une quête de « coïncidence à soi ». D’objet pour les hommes, le corps des femmes devient sujet, vecteur d’affranchissement dans le sillage de la pensée Beauvoirienne.
Que penser alors du « Klan Kardashian », modèle du genre et considéré comme un canon esthétique des temps modernes ? Dans la maîtrise totale de leur apparence, ces égéries de leur propre image en font un business lucratif. Et dans leur sillage, de nombreuses jeunes femmes s’engouffrent, en quête de succès et d’émancipation.
« On ne m’a jamais expliqué ce qu’était le féminisme »
Maeva Ghennam
Cette volonté tenace de réussir et de fuir une enfance parfois violente anime de nombreuses candidates qui puisent leur conviction féministe dans la résilience. À commencer par Nabilla Vergara, qui au même titre que nombre de ses consœurs, a rêvé en grand pour échapper à un père à la fois absent et strict voire violent. Dans son second livre autobiographique, Trop vite, elle explique s’être construite en réaction à une éducation qu’elle jugeait liberticide. « Grâce à lui [son père], je suis devenue féministe. Le rapport à la féminité de certains musulmans est inadmissible, je pourrais signer des pétitions contre cette condition révoltante. Mais personne ne m’a jamais demandé de m’engager pour une si noble cause, car Nabilla est une conne de la téléréalité, avec de gros nichons et le quotient intellectuel d’un pois chiche ». Car oui, on retient avant tout de la jeune femme une histoire de shampoing. Maeva Ghennam, quant à elle sortie de son bain, s’explique également sur sa vision du féminisme et articule sa conviction autour de sa relation aux hommes et de son indépendance. « Je n’ai pas besoin d’un homme pour vivre. Je veux pouvoir gagner mon propre argent, confie-t-elle dans une story sur son compte Instagram. Je fais tout pour ne pas avoir à compter sur eux, ils sont comme un accessoire. » Des hommes objets donc.
La jeune femme déclare s’être « découverte féministe » sans le savoir car « on ne m’a jamais expliqué ce que c’était. » Et il aurait peut-être fallu. Car définir le féminisme revient avant tout à le conjuguer au pluriel. Et lorsque nous parlons "des féminismes", l’écueil est la confusion des genres et la tentation du "féminisme washing", coutumier de nombreuses candidates de télé-réalité. « Selon moi, le féminisme n’est pas un méli-mélo de prise de pouvoir et de quête d’émancipation nous explique Léa Lejeune, journaliste économique et autrice du récent essai Le féminisme washing et la récupération du combat féministe par les marques. Pour changer les idéaux, il faut changer les pratiques en interne. Et cela passe par une connaissance sociologique du sujet, et du militantisme. » A ses yeux donc, ces jeunes femmes se revendiquant féministes se la jouent trop perso – en utilisant leurs atours dans le cadre d’une émancipation personnelle – pour être parfaitement sincères. Celle qui est aussi présidente de Prenons la Une soutient donc l’importance de distinguer le « girl power » du féminisme. « Se cacher derrière des valeurs d’empowerment n’est rien d’autre que de l’utilitarisme. Le corps des femmes a toujours été un outil marketing mais ce qui est nouveau, c’est d’y accoler des valeurs morales » conclut-elle auprès de Causette. Un autre argument complète ce point de vue : dans cette branche comme dans d’autres (mannequinat, cinéma…) la starisation de femmes aux corps correspondant si bien aux diktats de beauté ne fait-elle pas de mal aux autres femmes, ces spectatrices anonymes qui les adulent et cherchent à leur ressembler ? Dans la téléréalité française, dès le départ, le deal de la fabrique à fantasmes était déjà bien présent. En 2001, nous étions tous et toutes les yeux rivés sur notre petit écran, à regarder totalement fascinés les remous d’une piscine du Loft. Inédit.
« J’ai seize ans, et une télé dans ma chambre […] C’est extraordinaire : j’ai sous les yeux le premier porno du réel de l’histoire de la télévision française. »
Paul Sanfourche, Sexisme Story
La jeune femme au cœur de toutes les attentions voyeuristes avait sculpté son corps, sujet à tant de fantasmes, à la hauteur de ses ambitions. Loana, à qui Paul Sanfourche, auteur de l’enquête Sexisme Story. Loana Pettruciani, redonne une voix et un nom (celui d’un père détestable), est la toute première « incarnation » de la télé-réalité en France. Elle en est même le symbole. Celui de la bimbo revendiquée, à l’image de Pamela Anderson, blonde et pulpeuse, qu’elle admire infiniment. En participant à ce programme inédit, elle pense du haut de ses 24 ans et de ses chaussures compensées rencontrer l’amour, entamer la grande vie et se défaire d’une enfance traumatique. Mais meurtrie par des violences de toutes natures, ce destin doré lui échappe. « Loana Pettruciani a vécu une odyssée contre le sexisme à l’échelle d’une vie, explique Paul Sanfourche. De son père qui l’a violée, à un compagnon qui l’a battue et fait sombrer dans la toxicomanie. Elle se méfie de la politique, et ne se revendique pas féministe mais son parcours a été une lutte de tous les instants, pour exister en tant que femme. Elle a pris le pouvoir à sa façon en renaissant par un acte conscient d’émancipation. On peut parler "d’empuissancement". »
Ambition personnelle
Aux côtés de Jean-Edouard Lipa, dont elle dit être tombée « instantanément amoureuse », la jeune femme pose à la sortie du Loft pour la couverture de Téléstar. Sa notoriété la dépasse, tant ce show a déchaîné les passions. Mais pas celle de Jean-Edouard, qui ne lui rend pas son affection à la hauteur de ses espérances. Pourtant, elle se love contre lui. À son cou, un collier sur lequel on peut lire : « Fuck me, I am famous. » Vingt ans après, Loana Pettruciani estime avoir laissé derrière elle, grâce à cette expérience, une précarité matérielle mais aussi affective et ne regrette pas un instant « l’aventure ». Elle resigne même en 2018, en passant la porte de la Villa des cœurs brisés 4, accueillie par la remarque des plus charmantes du candidat Julien Guirado : « Malgré son grand âge, elle est pas périmée quoi, Loana. » Encore et toujours, « l'ancienne » jeune femme semble n’exister qu’à travers un physique fantasmé par elle-même puis sexualisé par les autres, et finalement indéfiniment critiqué, jusqu’à l’obsession.
Sarah Martins, candidate des Princes et les princesses de l’amour et des Anges de la télé-réalité, elle aussi, a entendu beaucoup de quolibets et décidé de les ignorer. Elle dit sans détours avoir eu recours à la chirurgie esthétique pour « entrer dans le jeu de la séduction ». « On ne va pas se mentir, on est tous là pour ça ! J’ai fait refaire mon nez dont j’étais complexée, le contour de mes lèvres, dit-elle au micro de Sam Zirah de l’émission web En toute intimité. Ah non, pas les seins ! » alors que ce dernier, pas très convaincu, se permet d’insister. C’était il y a trois ans et lorsqu’elle s’entretient aujourd’hui avec Causette, la jeune femme est tout aussi cash mais ne s’étend plus sur cette question. Elle est en revanche très au clair sur ses motivations : si elle est passée par la télé-réalité, c’est avant tout par ambition personnelle. « J’ai vécu cette période comme un passage, une façon de m’affirmer et de retrouver une estime de moi que j’avais perdue, spécifiquement dans mes relations amoureuses. Mais être en compétition pour un homme, je n’ai jamais trouvé cela flatteur ! »
Violences conjugales
Car les scénarisations de ces colonies en huit-clos de jeunes adultes ne brillent pas franchement par leur sororité. La téléréalité exacerbe, voire, créé de toutes pièces, une rivalité entre femmes délétère. Et parfois, même pas besoin de mettre un homme au milieu. Sarah Fraisou, qui s’est construit un personnage de bonne pote des mecs au fil de ses apparitions dans Les Anges, se complait dans le rôle de la meuf vache avec les autres candidates, nouvelles entrantes de préférence. Il y a aussi l’ex-couple Nehuda et Ricardo, connus pour avoir harcelé Aurélie Preston et Andréane dans Les Anges 8, en 2016. Suite à l’explosion du hashtag #StopHarcèlementTLR, Nehuda a d’ailleurs décidé de faire amende honorable sur ses réseaux sociaux. « Quand je revois mes actions, bien sûr que je me dis que j’étais conne à ce moment-là. L’important, c’est d’évoluer ! », s’absout-elle. Cette même Nehuda a d’ailleurs déclaré il y a deux mois sur son compte avoir été victime de… Violences conjugales de la part de Ricardo. « Gros raciste qu’il est, si vous saviez comment il est raciste, comment il parle des arabes, combien de fois je m’embrouillais avec lui à cause de ça… […] Notre histoire de 5 ans n’était que mensonge. J’étais enceinte, il m’a menacée avec une arme à bout portant, j’ai crié, j’étais en larmes, j’ai appelé la police, je suis allée porter plainte le lendemain. […] J’étais enceinte il m’a ouvert le crâne à coups de poings, j’ai eu deux points de suture. » Comme le raconte ensuite cet article de Madmoizelle, Ricardo s’est expliqué très maladroitement sur cette affaire, tandis que Nehuda était accusée par certain·es internautes de raconter des mensonges – une double peine fréquente pour les bimbos, que la société n’arrive pas à envisager comme victime.
« La télé-réalité, c’est une promesse brisée »
Morgane Enselme
Malgré la violence des uns et des autres, peu de femmes regrettent d’avoir mis un pied dans ce Far-West de l’hubris. Ainsi Sarah Martins explique à Causette avoir « participé par curiosité mais aussi pour mettre en œuvre d’autres projets, qui [lui] ressemblent plus ». Désormais influenceuse, elle se lance dans la musique et compte 544 000 followers sur Instagram. Une gloire apparemment suffisante. « Je n’ai jamais cherché à être la meilleure, à avoir la plus grande communauté. Mais je m’épanouie dans mon activité, et je reste la même, que ce soit dans les émissions ou sur les réseaux sociaux. » Parmi les candidates interviewées pour cet article, seule Morgane Enselme, participante de Secret Story 5, montre de l’amertume. Justifiée. « J’avais 20 ans. J’étais là pour porter un combat et j’y croyais. » Son secret : « Mon père s’appelle Brigitte ». Brigitte Boréale, la journaliste militante transgenre aux initiales porte-bonheur.
« La production est venue me chercher en me persuadant que cela offrirait une visibilité à la cause LGBT. En réalité, j’étais là pour jouer le rôle de la victime qui pleure tout le temps. J’ai même été convoquée par la production pour m’entendre dire que j’étais transparente. On ne nous laisse pas exister par nous-même de façon positive, il faut toujours faire scandale. La télé-réalité, c’est une promesse brisée. » Une fois sortie de l’aventure, lorsqu’elle arrive auprès d’un producteur avec une idée d’émission, c’est la douche froide : « Je t’arrête tout de suite Morgane, toi, tu es une candidate de télé-réalité, ne cherche pas à être intelligente, c’est pas ce qu’on veut. » Dix ans plus tard, n’en déplaise à certains, Morgane Enselme est une jeune femme accomplie, autrice en devenir. Une véritable revanche sur le désenchantement d’une télé-réalité qui voudrait conditionner les destins, quasi inconditionnellement vers le fastueux monde de l’influence.
Sororité à Dubaï
Celles qui ont percé dans une deuxième carrière d’influenceuse s’envolent le plus souvent à Dubaï, temple de tous les possibles à l’image de leur carrière : ville construite en un éclair, dans l’opulence et le bling. Choisir de vivre dans la capitale des Emirats arabes unis tout en se revendiquant féministe, c'est en soi un paradoxe, vu la condition des femmes autochtones ou des domestiques sur place, et même les règles qui s'appliquent à la liberté de disposer de son corps. Mais c’est peut-être dans cette seconde vie, stories à l’appui, qu’on décèle derrière les paillettes des petits moments de sororité, loin de la concurrence du plateau-télé. Lors d’une réunion littéralement au sommet de la tour Burj Khalifa en février 2021, de Nabilla Vergara, Maeva Ghennam et Manon Marsault (révélée dans la saison 3 de L'île des vérités), les marques d’amitié fusent. « C’est comme ma petite sœur » dira même Manon Marsault de Maeva Ghennam, en prenant sa défense dans une sombre affaire de sorcellerie.
On serait tenté de croire que ce discours est construit de stratégie, mais force est de constater que ces femmes se serrent les coudes et se soutiennent mutuellement. Rejoindront-elles Angèle Salentino et ses camarades dans ce qui s’amorce comme une libération de la parole sans précédent autour de la violence de ces émissions qui les ont couronnées reines de l’influence ?