HS10 publicites feministes © E.Rezkallah
© Eli Rezkallah, série "Dans un univers parallèle"

Pub « girl power » : le buzz et l'argent du buzz

De nom­breuses marques ont bien com­pris que les publi­ci­tés fémi­nistes et pro­gres­sistes sont plus ban­kable, et elles s’engouffrent dans la brèche. Causette s’est plon­gée dans ce monde de la com.

À Cannes, il n’y a pas que le ciné­ma qui est célé­bré. Le ven­dre­di 21 juin 2019, la 66e édi­tion du Festival inter­na­tio­nal de la créa­ti­vi­té, les Cannes Lions, récom­pen­sant la crème de la publi­ci­té, pre­nait fin sur la Croisette. Mais, au milieu des célé­bra­tions, une ombre au tableau. Sur plus de mille cam­pagnes récom­pen­sées, seule­ment 9,09 % d’entre elles ont été jugées « équi­tables », c’est-à-dire res­pec­tant l’égalité femmes-​hommes, par l’association Les Lionnes. Ce col­lec­tif de trois cents femmes publi­ci­taires, lan­cé en mars, a ain­si déci­dé d’analyser le pal­ma­rès de la céré­mo­nie et de remettre ses propres récom­penses à des cam­pagnes « qui ne peuvent pas être soup­çon­nées de sexisme et sur­tout dont la fiche de pro­duc­tion est pari­taire », explique sa fon­da­trice Christelle Delarue. Pas vrai­ment sur­prise du résul­tat, elle note cepen­dant qu’il n’y a pas eu de cam­pagnes gras­se­ment sexistes pré­sentes en com­pé­ti­tion officielle.

La ten­dance glo­bale, dans laquelle de nom­breuses marques (Dove, Always, Super U…) se sont aujourd’hui engouf­frées, s’oriente vers les publi­ci­tés fémi­nistes et pro­gres­sistes. Mais, en dehors du monde poli­cé de Cannes, pour une publi­ci­té fémi­niste, com­bien de publi­ci­tés sexistes cara­colent encore sur les écrans et les pan­neaux ? Cette année, le groupe Mercedes-​Benz a réa­li­sé un spot dans lequel un père, maquillé et dégui­sé en prin­cesse, amène sa fille à un goû­ter d’anniversaire. Si le but de la vidéo est de van­ter le sys­tème de frei­nage du véhi­cule, elle ne met pas en scène, pour une fois, une ver­sion virile de l’homme ou sexiste de la femme. Un pro­grès. Car, tou­jours en 2019, Volkswagen fait quant à lui la pro­mo­tion de son modèle T‑Roc avec le slo­gan : « Faites en sorte que l’amant de votre femme ce soit vous. » Une publi­ci­té sté­réo­ty­pée qui attri­bue donc aux femmes un rôle d’objet sexuel maté­ria­liste dont les faveurs sont mon­nayables par l’achat d’une voi­ture… En 2019, eh oui !

“Saisir le temps”

« Une marque ne repré­sente rien d’autre que le temps pré­sent et celui qui sui­vra. Il est évident que le fémi­nisme tra­verse notre époque et qu’il est en train d’en des­si­ner une nou­velle, celle de nos enfants. Les marques, et les agences de pub qui les accom­pagnent, ont tout inté­rêt à être en réso­nance avec ça », explique Anthony Hamelle, direc­teur des stra­té­gies digi­tales de l’agence de pub TBWA Paris, à l’origine d’une publi­ci­té de 2015 pour les Magasins U en faveur de jouets non gen­rés. Les communicant·es ont bien com­pris qu’il existe, aujourd’hui, une réelle demande d’une par­tie du public, qui sou­haite que la pub délaisse les cli­chés sexistes au pro­fit de plus de diver­si­té et d’inclusion. Et si cela n’avait pas été assez clair, les mou­ve­ments #MeToo et #BalanceTonPorc sont récem­ment pas­sés par là pour le préciser. 

Réaliser un spot publi­ci­taire fémi­niste fait éga­le­ment écho à une demande de la socié­té d’une « forme d’engagement et d’éthique de la part des marques », remarque Karine Berthelot-​Guiet, direc­trice du Celsa (École des hautes études en sciences de l’information et de la com­mu­ni­ca­tion). « Pour les marques qui vendent des pro­duits pour les femmes, il peut être impor­tant et inté­res­sant de por­ter un dis­cours proche du fémi­nisme. En relayant ce mes­sage, la marque agit d’abord sur son image, mais cela se réper­cute à terme sur les ventes. Quand Always com­mu­nique sur l’aide qu’elle apporte aux jeunes filles qui ne peuvent pas aller à l’école faute de pro­tec­tions pério­diques, cela crée une image glo­bale de la marque qui fait que fina­le­ment, au super­mar­ché, la cliente va se sou­ve­nir de l’implication du groupe et ache­ter ses pro­duits », ajoute la chercheuse.

Des publi­ci­tés plus progressistes

L’émergence des réseaux sociaux tend aus­si à réduire le nombre de publi­ci­tés véhi­cu­lant des cli­chés sexistes. Les uti­li­sa­teurs et uti­li­sa­trices n’hésitent pas à poin­ter du doigt ce qui les choque. « J’accompagne beau­coup de marques. Et elles ont les yeux rivés sur leurs pla­te­formes sociales, qu’elles consi­dèrent comme une manière de prendre le pouls de l’opinion. Je trouve cela très bien. En tant que communicant·e, on a une res­pon­sa­bi­li­té, et les marques en ont éga­le­ment une », assure Solène Madec, PDG de la jeune agence de pub Belle.

HS10 publicites feministes 1 © E.Rezkallah
© Eli Rezkallah | Le pho­to­graphe liba­nais Eli Rezkallah a créé cette série, Dans un uni­vers paral­lèle, à par­tir de publi­ci­tés réelles des années 1950 dans les­quelles il a inver­sé les rôles. Une pro­vo­ca­tion pour, dit-​il, « que les hommes goûtent à leur propre poi­son sexiste » et déclen­cher une prise de conscience chez ses oncles, « qui pensent encore que la place des femmes est à la cui­sine ». On en connaît nous aus­si ! 

Et ces « cou­ra­geux enga­ge­ments » s’accompagnent de pro­fits ! Car oui, les pubs fémi­nistes et pro­gres­sistes semblent bel et bien ban­kable. Anthony Hamelle révèle ain­si que la publi­ci­té des Magasins U « a eu un bel écho. Les per­sonnes sen­sibles à ce dis­cours pro­gres­siste ont été plus enclines à aller ache­ter leurs jouets chez eux. Il y a eu un sup­plé­ment de crois­sance grâce à ce dis­cours. Et il n’a pas effrayé les client·es qui ne se recon­naissent pas dedans ». Même son de cloche dans une étude réa­li­sée en 2016 par le groupe Unilever (Dove, Rexona ou encore… Axe), qui relève que les publi­ci­tés pro­gres­sistes sont « 25 % plus effi­caces » et ont un meilleur impact. 

Un milieu masculin

Si les publi­ci­tés fémi­nistes émergent de plus en plus, celles qui s’appuient sur des res­sorts sexistes n’ont pas encore tota­le­ment dis­pa­ru. En atteste la rubrique « On nous prend pour des quiches ! » de Causette, jamais à court de maté­riel, ain­si que le compte Twitter Pépite sexiste, qui réper­to­rie quo­ti­dien­ne­ment les perles miso­gynes des communicant·es. Quant à Sophie Gourion, autrice jeu­nesse qui traite sou­vent des ques­tions d’égalité femmes-​hommes et qui tient un blog où elle décrypte l’univers de la pub, elle assure que « les com­mu­ni­cants n’ont par­fois pas conscience de réa­li­ser une publi­ci­té sexiste. Ils sont décon­nec­tés et manquent d’une per­sonne dans leur équipe pour tirer la son­nette d’alarme ». 

Le milieu de la publi­ci­té et du mar­ke­ting est « un boys’ club avec des hommes qui entre­tiennent l’exclusion », affirme Christelle Delarue. « L’initiative des Lionnes avait pour but de mon­trer que les femmes sont tota­le­ment invi­si­bi­li­sées dans les agences. Il y a très peu de femmes direc­trices de créa­tion. Et des hommes qui ont un com­por­te­ment dépla­cé se retrouvent à faire des publi­ci­tés pro­gres­sistes. Au moment de l’organisation de notre off du fes­ti­val, j’ai d’ailleurs reçu des menaces… », pour­suit la publi­ci­taire. La parole sur le sexisme dans la publi­ci­té se libère depuis peu, notam­ment grâce à une enquête du Monde à ce sujet, en mars. 

En bons communicant·es, les dif­fé­rents publi­ci­taires contac­tés nous assurent en tout cas, la main sur le cœur, que l’on devrait en avoir très bien­tôt fini avec les pubs sexistes. Espérons que ce ne soient pas que de belles paroles… 

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