Les mèmes : un espace de com­bat effi­cace et plus sûr pour les féministes

Sur les réseaux sociaux, impos­sible de pas­ser à côté des mèmes, images humo­ris­tiques détour­nées à l’infini et sou­vent affu­blées d’un petit texte. Les fémi­nistes sont nom­breuses à y voir une arme effi­cace pour faire pas­ser leur mes­sage tout en étant davan­tage à l’abri des trolls.

AnnaToumazoff
© Memes Pour cool kids femi­nist, Anna Toumazoff

En mars 2019, Anna Toumazoff décide de lan­cer sa propre page Instagram de mèmes. Elle se donne un objec­tif : abor­der le fémi­nisme par le rire. « J’avais envie d’apporter un nou­veau ton pour les gens pas du tout conscien­ti­sés mais à l’écoute de ces pro­blé­ma­tiques », explique-​t-​elle. Depuis, Anna Toumazoff mul­ti­plie les vannes sur le cli­to­ris ou le no-​bra et se moque aus­si bien de la tenue répu­bli­caine chère à Jean-​Michel Blanquer que des machos. Un an plus tard, la démarche semble séduire puisque son compte Memespourcoolskidsfeministes ras­semble cent mille fidèles.

À n’en pas dou­ter, l’humour est poli­tique. C’est même, selon les dires d’Anna Toumazoff, « un soft power ». Bien uti­li­sé, le rire peut convaincre aus­si effi­ca­ce­ment qu’une bonne rhé­to­rique. « Faire de l’humour, remarque la « mémeuse », ça donne une image cool du fémi­nisme et ça per­met de com­battre les pré­ju­gés des per­sonnes qui font pas­ser les fémi­nistes pour des per­sonnes sérieuses, voire sinistres, pour décré­di­bi­li­ser le mou­ve­ment. » Et si les mèmes deve­naient les alliés numé­riques du féminisme ?

« On a une volon­té de ques­tion­ner les masculinités »

Anna Toumazoff est la face visible de l’iceberg « mémique ». Depuis les groupes Facebook, un autre phé­no­mène irrigue Internet : les « neur­chis » (chi­neurs en ver­lan). Dans ces groupes, les mémeurs postent leurs der­nières créa­tions et les curieux les com­mentent, les likent ou, plus sim­ple­ment, se marrent der­rière leurs écrans. Ces com­mu­nau­tés enchaînent les détour­ne­ments d’images sur des sujets par­fois très pré­cis : les faits divers, Astérix & Obélix Mission Cléopâtre ou encore les tré­bu­chets, à savoir ces engins de sièges médié­vaux deve­nus cultes grâce à la magie d’Internet – 33 000 per­sonnes ont tout de même rejoint le Neurchi de tré­bu­chet ! Et plu­sieurs d’entre eux sont dédiés au fémi­nisme. Leur but ? Se moquer des « mas­cus » et des tra­vers de la socié­té patriarcale.

Émeline est cofon­da­trice de l’un de ces groupes Facebook. Passée par un autre neur­chi qu’elle esti­mait oppres­sif, elle a déci­dé de prendre les choses en main. Avec d’autres membres, elle fonde le Neurchi de mas­cu­li­ni­té toxique, en juillet der­nier. « On a une volon­té de ques­tion­ner les mas­cu­li­ni­tés et d’offrir un espace où on peut en dis­cu­ter et en rire avec des gens qui se sentent concer­nés comme nous, où la ligne est clai­re­ment fémi­niste et assu­mée, revendique-​t-​elle. On y débat, on par­tage des mèmes, mais on fait aus­si de la péda­go­gie en se par­ta­geant des res­sources et en dis­cu­tant ensemble. » Car si la neur­chi­sphère se réunit autour de l’humour, elle n’empêche pas d’échanger en com­men­taires. « Une des “règles” de notre neur­chi, c’est que si tu es ouvert à la dis­cus­sion et dis­po­sé à apprendre, on n’a aucun pro­blème pour te faire de la péda­go­gie. »

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Mème publié dans le groupe Facebook Neurchi de mas­cu­li­ni­té toxique

Dernière en date, cette nou­velle com­mu­nau­té est encore res­treinte et ne ras­semble que cinq cents per­sonnes. Mais elle rejoint la liste, tou­jours plus longue, des neur­chis dédiés au fémi­nisme : Neurchi de fémi­nisme, Neurchi de mèmes de meuf… Dont le nombre de membres peut mon­ter jusqu’à plu­sieurs dizaines de milliers.

Comme sou­vent, le conte­nu d’Internet dépasse le simple cadre du numé­rique. La com­mu­nau­té ras­sem­blée autour du compte Instagram Memespourcoolskidsfeministes per­met à Anna Toumazoff d’avoir une caisse de réson­nance qu’elle n’hésite pas uti­li­ser : en novembre der­nier, elle a ini­tié le hash­tag #UberCestOver après avoir été contac­tée par une Strasbourgeoise vic­time d’une agres­sion dans un véhi­cule Uber. En expo­sant son cas en sto­ry Instagram, elle reçoit plu­sieurs témoi­gnages ciblant le même chauf­feur et décide de faire remon­ter l’affaire en lan­çant #UberCestOver. Très repris, le hash­tag a per­mis de faire bou­ger les lignes, puisque le géant amé­ri­cain a fini par annon­cer plu­sieurs enga­ge­ments. « Je me suis retrou­vé à l’Assemblée natio­nale, chez Uber et à Matignon », détaille Anna Toumazoff. Des mèmes au bureau du Premier ministre, il n’y a qu’un pas.

Cyberharcèlement et mèmes mascus

Et puisque ces mèmes ont une force poli­tique, for­cé­ment, ils peuvent for­te­ment déplaire. En reven­di­quant leur enga­ge­ment fémi­niste sur le Net, les mèmeuses s’exposent mal­heu­reu­se­ment aux trolls. Échaudée par de mau­vaises expé­riences, Émeline a ain­si véri­fié l’identité de l’auteur de cet article auprès de Causette pour s’assurer qu’elle ne fai­sait pas l’objet de l’attaque d’une per­sonne se fai­sant pas­ser pour un jour­na­liste. « Désolée pour ça, mais je suis obli­gée d’être méfiante. Les trolls et les mas­cus peuvent se mon­trer très ima­gi­na­tifs pour nous faire perdre notre temps. J’applique tou­jours le prin­cipe de pré­cau­tion par défaut », explique-​t-​elle. Quelques jours aupa­ra­vant, la jeune femme a ain­si fait les frais de leur pou­voir de nui­sance. À la suite d’un mes­sage pos­té sur le groupe Neurchi de neur­chi, dans lequel elle appelle celles et ceux qui le sou­haitent à rejoindre son « Neurchi de mas­cu­li­ni­té toxique », elle subit une vague de « pas loin de quatre cents com­men­taires de haine ou de miso­gy­nie de la part de mas­cus me disant de retour­ner dans ma cui­sine ».

S’il existe des neur­chis dédiés au fémi­nisme, ce n’est donc pas seule­ment parce que l’usage veut qu’ils soient thé­ma­tiques, mais c’est éga­le­ment une mesure de pro­tec­tion. « Afficher son fémi­nisme sur des groupes pas “safe”, c’est s’exposer à la miso­gy­nie, dénonce Émeline. Et sur des sujets mili­tants comme le fémi­nisme, on peut très clai­re­ment dif­fé­ren­cier les “mèmes de droite” et les “mèmes de gauche”. » Pour Anna Toumazoff, ses adver­saires poli­tiques partent avec un avan­tage : « On a moins d’armes qu’eux puisqu’ils peuvent avoir recours à tous types d’attaques, qu’elles portent sur l’orientation sexuelle ou le phy­sique. On ne va pas tom­ber dans ça, nous ! »

Difficile de dres­ser une car­to­gra­phie de la neur­chi­sphère, mais par­mi les rares mèmeurs sor­tant de l’anonymat – prin­ci­pa­le­ment via des comptes Instagram –, Anna Toumazoff estime qu’il y a peu de diver­si­té : « En France, il y a encore peu de gros mèmeurs fran­çais et encore moins de femmes. » Malgré cet envi­ron­ne­ment pas tou­jours safe, elle ne déses­père pas. « Bien sûr, il y aura tou­jours des grands miso­gynes, c’est comme ça. Mais il y a une foule d’indécis qu’on peut cap­ter. Et pour cette rai­son, je suis contente quand un mème a du suc­cès. »

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