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Il y a 57 ans, les femmes gagnaient le droit d'ouvrir un compte ban­caire et de tra­vailler sans l'aval de leur mari

Petit plongeon dans une époque en noir et blanc, quand les femmes mariées n’avaient pas le droit d’ouvrir un compte bancaire à leur nom ni de travailler sans l’autorisation de leur mari. Une injustice réparée par la loi du 13 juillet 1965, un pas de plus vers la conquête de l’égalité.

C’était il y a cinquante-neuf ans, mais Louise1 s’en souvient comme si c’était hier. Ce jour de 1963 où, au guichet de sa banque, elle s’est vu demander l’autorisation de son mari pour accéder à son compte bancaire. « C’est votre époux qui doit gérer votre argent maintenant », s’entend-elle répondre à son grand étonnement. Fraîchement unie à Maurice, la jeune femme de 22 ans venait en un claquement de doigts d’être violemment confrontée à ce que vivent les Françaises mariées de l’époque : l’incapacité financière et l’obéissance au mari. Une injustice d’autant plus forte qu’avant de passer devant le maire, Louise, qui travaillait au magasin de journaux de ses parents, disposait bien d’un compte bancaire à elle, sur lequel elle avait même 800 francs. « Ça m’a mise dans une grande colère et des années après, ça me contrarie toujours », se rappelle-t-elle aujourd’hui.

Deux ans plus tard, le Parlement votait, dans la moiteur du mois de juillet et dans un hémicycle à moitié vide, la réforme des régimes matrimoniaux portée par le gouvernement Pompidou et son ministre de la Justice, le bien nommé Jean Foyer. Parmi les nouvelles dispositions, une loi vient alors réparer l’injustice en accordant aux femmes mariées le droit d’ouvrir un compte chèques à leur nom sans le consentement de leur mari.

Avant le 13 juillet 1965, les femmes, ces éternelles mineures juridiques consacrées par le Code civil napoléonien de 1804, n’ont en effet plus le droit, dès lors qu’on leur met la bague au doigt, de signer librement un chèque, d’ouvrir un compte courant ou de travailler, sans le feu vert de leur mari. À l’inverse des épouses, les femmes majeures séparées ou célibataires peuvent, elles, accéder à ces droits. Mais doivent en payer le prix en retour. Dans une société où les femmes sont élevées avec l’unique objectif de passer du statut imparfait de Mademoiselle à celui bien plus convenable de Madame, être célibataire est lourd à porter et à assumer. « Finalement, être veuve était peut-être le meilleur statut pour une femme, pointe l’historienne Anne-Sarah Moalic, spécialiste des droits des femmes. Ça lui permettait d’accéder à la fois à la respectabilité et à une certaine liberté. »

Un long chemin

L’ordre social de l’époque gravite autour de la famille et cette dernière tourne autour de son chef, comme la Terre autour du Soleil. L’article 213 du Code civil établit ainsi que « le mari doit protection à sa femme, la femme obéissance à son mari ». Ce dernier a un pouvoir quasi absolu sur les biens et les finances du foyer. La loi du 13 juillet 1965 marque donc un changement majeur dans la vie des familles françaises. Une avancée de leurs droits qui s’inscrit dans un contexte plus large d’autonomisation des femmes. « Il faut comprendre que la loi sur l’indépendance financière de 1965 a été un long chemin », souligne Sylvie Gautier qui a consacré une thèse d’histoire en 2022 à ce sujet2.

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Ce chemin débute en 1881. Cette année-là, une loi permet aux femmes d’ouvrir un compte épargne sans l’autorisation du mari. Puis le 13 juillet 1907, les femmes arrachent le droit de disposer librement de leur salaire – avec toutefois une autorisation maritale. Vient ensuite « la Première Guerre mondiale, qui rend davantage visible l’activité des femmes, bien que déjà présentes sur le marché du travail, et confirme, s’il en était besoin, leur capacité à tenir le rôle de cheffe de famille », souligne Sylvie Gautier. Pourtant, si la réforme des droits civils de 1938 abolit la puissance maritale du Code civil napoléonien, dans les faits, le mari reste le chef de famille. Il faut donc attendre cette dernière pierre, la loi du 13 juillet 1965 – entrée en vigueur le 1er février 1966 –, pour que les femmes mariées acquièrent enfin l’indépendance financière réclamée par les féministes.

Une indépendance vécue comme un salut pour une majorité des femmes de l’époque
dont les relations conjugales étaient auparavant codifiées par l’argent. « Avant d’avoir mon propre compte, mon mari me donnait “mes sous” tous les mois pour que je puisse m’occuper du ménage, mais si j’avais besoin de plus, il fallait que je lui demande, raconte Louise. Si je voulais m’acheter une robe, il fallait demander, il n’y avait rien de spontané. Demander de l’argent à mon mari, c’était une catastrophe pour moi, ça me vexait beaucoup. Même s’il disait toujours oui, le simple fait de ne pas être libre, de devoir me justifier, était vécu comme une forme d’humiliation. »

Ce sentiment d’injustice, l’écrivaine et historienne Claudine Monteil s’en souvient elle aussi comme si c’était hier. Ses parents se sont mariés en 1948. Elle se remémore avec précision la colère de sa mère – l’illustre chimiste et ancienne directrice de l’École normale supérieure de jeunes filles, Josiane Serre – de ne pas pouvoir disposer de son argent comme elle l’entendait. Et avec émotion de ce jour où celle-ci a pu ouvrir son premier compte bancaire. « Ça a été un moment extraordinaire dans sa vie, raconte Claudine Monteil à Causette. Un grand moment d’indépendance. »

Sortir de l’oppression

L’ancienne militante du MLF, qui avait 16 ans en 1965, se souvient aussi des conseils de son amie et femme de lettres Simone de Beauvoir, qui ne s’est jamais mariée : « Elle nous répétait sans cesse que l’indépendance des femmes commence par l’indépendance économique. Il fallait gagner sa vie le plus vite possible pour sortir de l’oppression paternelle et maritale, parce que ça faisait beaucoup d’hommes quand même ! » relate Claudine Monteil en riant. Une indépendance financière fondamentale pour la conquête de l’égalité, d’autant plus essentielle  –  comme
aujourd’hui – pour les femmes victimes de violences conjugales. « Avant, elles ne pouvaient pas quitter leur mari puisqu’ils détenaient entre leurs mains toutes les finances du ménage », souligne Anne-Sarah Moalic.

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Dans un reportage diffusé dans le Journal de Paris en 1965, un homme pousse un landau et informe son épouse avec le sourire : « Tu peux signer ton chèque maintenant, tu es tout à fait libre. » Comme on le voit dans cette scène bon enfant, la loi de 1965 est relativement bien accueillie par l’opinion publique. Les banques elles-mêmes multiplient les campagnes de communication à destination de ces nouvelles clientes potentielles. Marie-Paule1, 83 ans, a ouvert son premier compte bancaire cette année-là. « Avant la loi, je ne pensais pas tellement que c’était une injustice, c’était tellement dans les mœurs, reconnaît-elle. C’est après coup que je me suis rendu compte de la domination du mari. Aujourd’hui, en repensant à mon histoire, je me dis qu’on était bien dociles, nous les femmes, à l’époque ! »

Si la loi de 1965 permet aux Françaises d’obtenir un peu de mou dans la corde rêche du patriarcat, de revendiquer le métier qu’elles souhaitent face à un mari dubitatif, de mettre des sous de côté sans avoir à se justifier et de sortir de cette dépendance
financière, il faudra attendre quinze ans de plus pour que le principe de « chef de famille » disparaisse officiellement du Code civil. Mais preuve que rien n’est jamais vraiment acquis en matière de droit des femmes, il aura fallu, cinquante-six ans après, la loi du 24 décembre 2021 portée par la députée Ensemble ! (anciennement LREM) Marie-Pierre Rixain, pour instaurer l’obligation de verser le salaire de l’employée sur un compte bancaire ouvert à son nom ou dont elle est codétentrice.

  1. Les prénoms ont été modifiés.[][]
  2. « Les femmes dans l’univers bancaire en France des années 1960 à la fin des années 1990, clientes et salariées : l’exemple de la Caisse régionale du Crédit Agricole de Franche-Comté », de Sylvie Gautier. Thèse soutenue en juin 2022.[]
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