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©Tingey Injury Law Firm

Régularisation des femmes étran­gères vic­times de vio­lences conju­gales : les doutes du milieu associatif

Le minis­tère de l’Intérieur a annon­cé cette semaine la régu­la­ri­sa­tion des femmes en situa­tion irré­gu­lière vic­times de vio­lences conju­gales. Pour le Comité pour la san­té des exilé·es (Comede), cette annonce ne va rien chan­ger à la double peine de ces femmes isolées.

Dénoncer les vio­lences conju­gales que l’on subit lorsqu’on est une femme en situa­tion irré­gu­lière est une double peine en France. Car si la peur de ne pas être enten­due et crue concerne toutes les femmes à l’heure du dépôt de plainte, celle de se voir expul­sée ou reti­rer son titre de séjour est bien spé­ci­fique aux femmes en situa­tion irré­gu­lière. Un risque qui les décou­rage, de fait, à por­ter à la connais­sance des forces de l'ordre les vio­lences dont elles sont vic­times. Afin d’encourager le dépôt et les pro­té­ger davan­tage de leur conjoint ou ex-​conjoint violent, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a deman­dé aux pré­fets, poli­ciers et gen­darmes, jeu­di 25 novembre, la régu­la­ri­sa­tion sys­té­ma­tique des femmes qui se trou­ve­raient en situa­tion irré­gu­lière, et dont il est avé­ré qu’elles sont vic­times de vio­lences conju­gales. Elles se ver­ront, selon le minis­tère de l’Intérieur, déli­vrer un titre de séjour renou­ve­lable de plu­sieurs années.

La mesure, annon­cée en amont deux jours plus tôt sur France Inter, a été reçue posi­ti­ve­ment dans le milieu asso­cia­tif, au moment même où le minis­tère a indi­qué que les vio­lences conju­gales ont aug­men­té de 10% en 2020. Mais après l’effet d’annonce, l'enthousiasme semble être retom­bé. « Au pre­mier abord, on s’est dit que c’était plu­tôt une bonne nou­velle, convient d’emblée Mathieu Humez qui tra­vaille à la com­mu­ni­ca­tion du Comede, asso­cia­tion agis­sant pour la san­té et les droits des per­sonnes exi­lées. Mais en se pen­chant un peu plus dans les détails, on a plus l’impression d’une annonce dans le vent lan­cée à l’occasion de la jour­née de lutte contre les vio­lences sexistes et sexuelles [qui a eu lieu le 25 novembre, ndlr]. »

Lire aus­si l Les vio­lences conju­gales en hausse de 10 % en 2020 selon le minis­tère de l’Intérieur

Protection res­tric­tive

Une annonce « dans le vent », car il existe déjà dans la loi fran­çaise une pro­tec­tion pour ces femmes. Depuis 2018, les femmes mariées à un·e Français·e ou entrées sur le ter­ri­toire dans le cadre d’un regrou­pe­ment fami­lial peuvent en effet obte­nir une carte de séjour « vio­lences fami­liales » au titre de vio­lences conju­gales. S’il s’agit d’une avan­cée consi­dé­rable (jusqu’en 2011 et la condam­na­tion de la France par la Cour euro­péenne des droits de l’Homme, les femmes sans papiers vic­times de vio­lences conju­gales étaient par­fois pla­cées en réten­tion et ren­voyées dans leurs pays après avoir por­té plainte) ces dis­po­si­tions légales sont tou­jours res­tric­tives puisqu’elles ne concernent que les femmes mariées. Les vic­times pac­sées, en concu­bi­nage ou en union ligne en sont donc exclues. La mesure annon­cée par le ministre de l’Intérieur s’ouvre-t-elle désor­mais à tous ces cas ? L'annonce n'est pas claire sur le sujet et, pour l’heure, notre demande auprès du minis­tère est res­tée sans réponse.

Et sans l'obtention d'une carte de séjour « vio­lences fami­liales », dif­fi­cile pour ces femmes de quit­ter leur foyer. En effet, la vie com­mune étant une condi­tion d’obtention et de renou­vel­le­ment de cer­tains titres de séjour, elles se trouvent for­cées à ne pas rompre cette vie com­mune, sous peine de perdre leur droit au séjour. « Tant mieux si les pré­fets sont rap­pe­lés à l’ordre sur le sujet mais cela met aus­si en lumière le manque de cré­di­bi­li­té de cette mesure de pro­tec­tion, sou­tient Marie Petruzzi, méde­cin réfé­rente au Comede. Dans les faits, très peu de femmes sont concer­nées par cette mesure et beau­coup d'entre elles font quo­ti­dien­ne­ment face à un dilemme ter­rible : conti­nuer à subir des vio­lences ou perdre leur droit au séjour. »  

Une autre ques­tion reste, elle aus­si, en sus­pens : Gérald Darmanin a pré­ci­sé s’engager à régu­la­ri­ser ces femmes « si la jus­tice vient à démon­trer que la per­sonne contre qui la plainte a été dépo­sée est, en effet, res­pon­sable d’un viol, de vio­lences conju­gales ». « Tant que la plainte n’est pas tota­le­ment étu­diée, ces femmes ne peuvent pas être expul­sées du ter­ri­toire de la République » a d'ailleurs insis­té le minis­tère de l’Intérieur. Mais que se passera-​t-​il si la jus­tice ne par­vient pas à le démon­trer ? « Si la plainte est clas­sée sans suite, on ne sait pas ce qu’il advien­dra du titre de séjour, s’inquiète en ce sens Marie Petruzzi. Dans tous les cas, je doute vrai­ment que cette mesure encou­rage davan­tage les femmes à por­ter plainte et change quelque chose à la situa­tion concrète du terrain. »

« Les plaintes pour vio­lences conju­gales se comptent sur les doigts d’une main et nous n’avons vu à ce jour, aucune condam­na­tion pour vio­lences conjugales. »

Bénédicte Maraval, assis­tante sociale au Comede.

Une inquié­tude légi­time au regard de la longue course à la preuve qu’est le dépôt de plainte pour une femme en situa­tion irré­gu­lière. L’article 15–3 du code de pro­cé­dure pénale pré­vaut que les sans-​papiers puissent dépo­ser plainte sans ris­quer de voir uti­li­sée contre eux leur situa­tion irré­gu­lière pour les expul­ser. Mais dans les faits, très peu de femmes sans-​papiers osent un jour pous­ser la porte du com­mis­sa­riat. « C’est encore plus com­pli­qué de dépo­ser plainte pour elles, rap­pelle Bénédicte Maraval, assis­tante sociale au Comede qui accom­pagne ces femmes au com­mis­sa­riat et qui a d’ailleurs récem­ment rédi­gé une tri­bune sur l’invisibilisation des femmes exi­lées vic­times de vio­lences sexistes et sexuelles sur notre site. Au-​delà de la peur d’être expul­sées, ce sont des femmes iso­lées qui n’ont sou­vent pas d’hébergement d’urgence pour fuir leur mari. Elles n’ont sou­vent pas de famille ou d’amis ici. Et même lorsqu’elles ont le cou­rage de dépo­ser plainte, ça se finit qua­si­ment tou­jours par une décep­tion. » C’est-à-dire un clas­se­ment sans suite le plus sou­vent pour manque de preuve. « Les plaintes pour vio­lences conju­gales se comptent sur les doigts d’une main et nous n’avons vu à ce jour, aucune condam­na­tion pour vio­lences conju­gales », assure Bénédicte Maraval.

Selon la loi, une femme béné­fi­ciaire d’une ordon­nance de pro­tec­tion déli­vrée par le juge des affaires fami­liales peut éga­le­ment obte­nir de plein droit un titre de séjour. « Dans les faits beau­coup de juges refusent encore de déli­vrer cette ordon­nance car ils estiment que les preuves sont insuf­fi­santes », regrette Bénédicte Maraval.

Améliorer l’accueil

Quoi qu’il en soit, pour le Comede, l’enjeu n’est pas tant dans la déli­vrance d’un titre de séjour lors du dépôt de plainte mais dans la lutte en amont pour lut­ter contre les vio­lences conju­gales mais aus­si sexistes et sexuelles dont sont vic­times 30% des 700 femmes accueillies au centre situé au Kremlin-​Bicêtre (94). « Les vio­lences conju­gales consti­tuent effec­ti­ve­ment une part des vio­lences mais ne concerne pas toutes les vio­lences, rap­pelle Bénédicte Maraval. Les femmes vic­times de vio­lences sexuelles sont exclues de cette mesure alors qu’il ne faut pas oublier que ce sont très sou­vent des femmes seules qui subissent des situa­tions d’exploitations sexuelles pour obte­nir de quoi man­ger ou un endroit pour dor­mir. Ces vio­lences sexuelles pour­raient ne pas exis­ter si le gou­ver­ne­ment met­tait davan­tage de moyens dans des struc­tures d’accueil spécialisées. »

Aujourd’hui, le titre de séjour « vio­lences fami­liales » est octroyé selon le minis­tère à 250 per­sonnes par an. « Un chiffre bien bas en com­pa­rai­son aux mil­liers de femmes sans papiers qui subissent chaque année des vio­lences conju­gales et ne sont pas enten­dues », déplore Marie Petruzzi. Gérald Darmanin s’est enga­gé le 23 novembre sur France Inter à dis­cu­ter avec les asso­cia­tions et les avocats. 

Lire aus­si l #DoublePeine : les femmes exi­lées, vic­times invi­sibles des vio­lences sexistes et sexuelles ?

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