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Photo : Valentina Ceccatelli / Flickr

Raconte-​moi ton 8 mars : cartes pos­tales de fémi­nistes européennes

Comment célèbre-t-on la Journée internationale des droits des femmes au-delà de nos frontières ? Des voisines européennes, membres d’associations féministes ou simples militantes, ont accepté d’envoyer à Causette des cartes postales féministes racontant quel sens elles donnent au 8 mars et quels sont les sujets qui soulèveront leurs cortèges cette année.

SLOVÉNIE : des fleurs et des droits

Maja Koražija, porte-parole de Inštitut 8. marec (Institut du 8 mars)

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Maja Koražija © DR

“En Slovénie, le 8 mars est une journée célébrée par la société dans son ensemble et est à la fois marqué par du bonheur et de la colère. Il y a la fierté pour tous les droits acquis jusqu’à présent qui se mélange à l’hommage aux mouvements féministes qui nous ont assuré un avenir meilleur et plus juste. Et puis, il y a la colère, pour toutes les inégalités et les injustices encore existantes dans notre société.
Les gens descendent dans la rue, des rassemblements et des manifestations sont organisés. L’une des coutumes est d’offrir des fleurs aux femmes le 8 mars. Nous, membres de l’Institut du 8 mars, acceptons volontiers les fleurs, qui sont pour nous un symbole de changement et d’espoir. Mais en même temps, nous sommes claires sur le fait qu’en plus des fleurs, nous exigeons le respect des droits humains. Nous exigeons un monde plus juste et nous exigeons l’égalité. On martèle un message inscrit sur nos T-shirts : ‘Chaque jour, c’est le 8 mars !’
Vous, Français·es, venez d’inscrire la liberté garantie de recourir à l’IVG dans votre Constitution. En ce sens, vous rejoignez la Slovénie, dont l’opinion publique est très attachée à ce droit et dont la Constitution protège également le droit à l’IVG grâce à son article 55 qui stipule : ‘Chacun est libre de décider s’il souhaite avoir des enfants. L’État garantit les possibilités d’exercice de cette liberté et crée les conditions permettant aux parents de décider d’avoir des enfants.’
Votre initiative constitue une étape historique dans la lutte pour les droits reproductifs non seulement pour la France, mais pour toute l’Europe, où de nombreux pays limitent encore son accès. En Pologne, des femmes meurent encore parce qu’on leur a refusé un avortement. En Autriche et en Croatie, l’accès à l’avortement est limité car il n’est pas gratuit. Conséquence : les femmes croates qui en ont les moyens traversent la frontière pour venir avorter chez nous. D’autres recourent à des méthodes illégales ou sont forcées d’avorter dans des conditions dangereuses, mettant leur propre vie en danger.
Nous avons vu ce qu’il s’est passé aux États-Unis et en Pologne où, du jour au lendemain, contrairement à la volonté du peuple, un groupe de juges motivés par des considérations politiques a retiré aux femmes ce droit fondamental. C’est pourquoi notre association a décidé d’être à l’initiative d’une vaste campagne européenne pour demander que l’Union européenne garantisse l’effectivité de l’accès à l’IVG dans l’ensemble des vingt-sept pays membres. Nous coopérons avec neuf organisations de sept pays européens différents et c’est notre focus pour le 8 mars. Nous vous invitons à rejoindre le mouvement et signer la pétition.”

ITALIE : grève du travail, salarié comme domestique

Jennifer Guerra, journaliste et autrice féministe. Dernier ouvrage paru : Il femminismo non è un brand (“Le féminisme n’est pas une marque”, non traduit)

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Jennifer Guerra © Damiano Lorenzon

“En Italie, l’otto marzo a une longue tradition : les femmes du Parti communiste italien ont importé la célébration de l’Union soviétique dès la fin de la Seconde Guerre mondiale et ont choisi comme symbole le mimosa, une fleur bon marché et facilement identifiable. Le 8 mars a été la date choisie pour la première manifestation d’ampleur nationale du mouvement féministe italien, qui s’est tenue à Rome en 1972.
Aujourd’hui, c’est le mouvement Non una di meno [Pas une de moins, ndlr] – le plus gros mouvement féministe existant en Italie à l’heure actuelle – qui s’est approprié cette tradition de lutte. Chaque année, une grève du travail salarié et du travail domestique des femmes est organisée, à la façon des grèves des femmes organisées en Pologne et en Amérique latine ces dernières années. La grève des femmes s’est heurtée à la résistance des principaux syndicats, mais cela n’a pas empêché ces dernières de trouver d’autres formes d’abstention du travail, des études et du soin porté à la famille. L’investissement du mouvement féministe à transformer le 8 mars en une journée politique et est en train de faire évoluer les mentalités sur cette journée, alors que ces dernières années, elle était encore facilement considérée comme étant la “fête de la femme”.”

POLOGNE : la colère noire des militantes pro-IVG

Marta Lempart, leader du mouvement Grève des femmes pour le droit à l’IVG

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Marta Lempart © instagram

“Après les élections législatives de cet automne, qui ont renversé le gouvernement populiste-nationaliste et marqué le retour de Donald Tusk au siège de Premier ministre, la démocratie a été célébrée, la Pologne est devenue un exemple pour le reste du monde. Notre désillusion actuelle est à la hauteur de l’espoir suscité.
Alors que la victoire de sa coalition pro-européenne (Coalition civique, Nouvelle Gauche et les catho intégristes de Troisième Voie) est largement due à la mobilisation des femmes et des jeunes contre le conservatisme de ses prédécesseurs, le silence de Donald Tusk sur la façon dont Troisième Voie bloque trois propositions de loi pour légaliser ou décriminaliser l’IVG fait mal au cœur. En fait, son laisser-faire est révoltant, notamment en ce qui concerne le pouvoir de nuisance du porte-parole du Parlement, membre de Troisième Voie et anti-IVG.
Il nous aura fallu nous battre pendant soixante-dix jours aux moyens de médiatisation et de pression publique pour simplement obtenir que le Parlement fasse son travail et accepte de mettre ces propositions de loi à son ordre du jour. Et pourtant, les enquêtes d’opinion montrent que 70 % des Polonais sont favorables à l’avortement. Et c’est même 81 % chez les électeurs de Troisième Voie, qui ne respecte même pas les personnes qui l’ont portée au pouvoir.
Notre premier plan pour ce 8 mars était de manifester devant le palais présidentiel parce qu’en plus de ses embûches au Parlement, le président de la République a annoncé qu’il apporterait son veto à la proposition de loi de la chambre basse visant à restaurer l’accès à la contraception d’urgence sans prescription médicale (actuellement, ce droit est non effectif puisque les femmes n’ont pas le temps d’obtenir la prescription). Bien sûr, nous n’avons pas obtenu l’autorisation de manifester à cet endroit. Notre marche pour le 8 mars prendra donc, à défaut, la direction du Parlement. Nous demandons d’ailleurs la démission du porte-parole, qui empêche la sécularisation du pays.
Heureusement, nous pouvons compter sur des femmes parlementaires, ainsi que sur une partie du gouvernement, dont la ministre de la Santé qui est, de façon surprenante, particulièrement active sur la question, tout comme la ministre à l’égalité. Mais que pèse cette sororité face au pouvoir des hommes ? Donc oui, nous avons de très bonnes raisons d’être en colère, ’autant plus que nous allons à nouveau être confrontées au poids des catholiques intégristes sur la proposition de loi visant à réformer d’urgence la définition du viol, qui a, genre, cent ans.”

SUÈDE : exiger une politique étrangère féministe

Petra Tötterman Andorff, secrétaire générale de la fondation Kvinna till Kvinna (Femme à femme), ONG née durant la guerre des Balkans, en 1993, pour apporter un soutien aux femmes en zone de guerre

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Petra Totterman Andorff © Liza Simonsson

“La Suède est l’un des pays les plus avancés du monde sur l’égalité entre les genres, mais aujourd’hui, nous ne pouvons pas considérer que nos victoires du passé sont acquises pour toujours. Les féministes et les défenseur·euses des droits des femmes, tout comme les militant·es LGBTQ, font face à une recrudescence des discours haineux et diffamatoires, à mesure que les mouvements d’extrême droite gagnent du terrain dans notre pays. En parallèle, le nombre de féminicides conjugaux ne décroît pas.
Jusqu’à présent, il n’y a pas eu de retour en arrière dans nos lois pour défendre les droits des femmes. Mais alors que la Suède avait également été pionnière dans l’émergence d’une politique étrangère féministe, le nouveau gouvernement en place depuis 2022 a malheureusement décidé de ne pas poursuivre dans cette voie. Malgré de fermes promesses que notre pays va continuer d’accentuer les droits des femmes et l’égalité entre les genres dans sa politique extérieure et son aide au développement, nous n’avons vu que très peu de concrétisation d’une telle posture jusque-là.
La Journée internationale des droits des femmes est très importante pour nous et d’autres organisations suédoises partageant nos idées, pour nous rappeler, ainsi qu’au public, que les droits des femmes doivent être défendus chaque jour !”

BELGIQUE : craintes de répressions policières

Juliette, militant·e féministe bruxellois·e

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Juliette © Diana Vos

“Le 8 mars, c’est l’aboutissement de longues semaines de préparation et de militance de l’ombre, en collaboration avec plein d’assos et collectifs différents. C’est hyper joyeux, on se retrouve, on écoute de la musique latina –, leurs chansons féministes sont magnifiques. Généralement, mon 8 mars commence sur le piquet de grève, puis on rejoint des ami·es à leur action, et ainsi de suite jusqu’à se rejoindre tous et toutes ensemble en manif, avec nos pancartes et des bières. On marche en blocs, mais on finit toujours par s’éparpiller et retrouver plein d’adelphes par hasard dans la foule. On chante et on rit et on hurle et on se serre dans les bras. C’est gai, c’est beau, c’est fort. 
Cette année, c’est moins fun : la police sera présente en masse et a des consignes strictes de répression des ‘fauteur·euses de trouble’, comme lors de la marche du 26 novembre contre les violences sexistes et sexuelles, où des dizaines de personnes ont été violentées et arrêtées abusivement. Plusieurs associations (dont Amnesty International) ont tiré la sonnette d’alarme, mais le bourgmestre de Bruxelles (Philippe Close, PS) a décidé de remettre ça. Moins de joie, donc, et plus d’appréhension. Certain·es d’entre nous sommes encore marqué·es par les violences policières du 26 novembre. Ça ne nous arrêtera pas pour autant.”

ESPAGNE : la constitutionnalisation de l’IVG en France inspire

Kika Fumero, consultante spécialiste des politiques d’égalité, violences de genre et droits humains

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Kika Fumero © DR

“En Espagne, le 8 mars est indubitablement un jour de plaidoyer. S’il y a quelque chose à célébrer, c’est la lutte de nos aînées, qui nous ont permis d’avoir suffisamment de droits pour manifester aujourd’hui. À part cela, il n’y a rien à célébrer, puisque beaucoup de ces droits, bien qu’obtenus de haute lutte, sont loin d’être gravés dans le marbre.
Plus encore, nous devons, nous, femmes, nous percevoir comme un tout et non comme des réalités isolées et divisées entre différents pays. Nous devons arrêter de voir le monde limité à notre propre barque et comprendre qu’aussi longtemps qu’il restera des femmes dans le monde souffrant de discriminations simplement parce qu’elles sont femmes, les droits de toutes les autres, où qu’elles vivent sur la planète, resteront menacés.
Ce 8 mars est particulier. Le succès de la société civile française lundi dernier – en ce sens que chaque progrès parlementaire trouve son origine dans une mobilisation citoyenne – a marqué les esprits. La France a sanctuarisé le droit à l’avortement en l’intégrant à sa Constitution et donc en en faisant un droit fondamental. Elle nous tend un miroir, un modèle à suivre. Malheureusement, alors que l’avortement est légal en Espagne, il reste inaccessible à de nombreuses femmes. Dans certains endroits, elles doivent se rendre dans d’autres régions pour y accéder, en raison du fait que le système de santé relève de la compétence des régions. A Séville, par exemple, des personnes anti-IVG sont en poste dans les services municipaux. Le président de la région d’Andalousie a consacré près de 2 millions d’euros à des groupes anti-IVG. Malgré des avancées significatives, ces deux dernières années particulièrement, dans nos droits sexuels et reproductifs, des menaces venant des partis politiques de droite et d’extrême droite persistent.
Des milliers de femmes se battent pour leurs droits en Espagne, soutenues par un mouvement féministe très fort. Nous ne faisons pas simplement que réagir ; nous nous battons de façon proactive pour empêcher la restriction ou la suppression de nos droits. Et de la même manière que la lutte de celles qui nous ont précédées a donné corps à notre présent, nos actions créeront le futur des prochaines générations.”

DANEMARK : les mascus en embuscade

Mathilde Brun, militante féministe

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Mathilde Brun © DR

“Si le Danemark est certainement progressiste dans de nombreux domaines, il demeure des enjeux cruciaux, comme l’égalité salariale, #MeToo et les violences de genre. Un sujet auquel beaucoup pourraient en fait ne pas penser, mais qui est certainement important et relevant du féminisme, concerne notre perception et notre définition du genre. En danois, nous n’avons pas de mots distincts comme sexe et genre pour décrire notre identité.
Un autre sujet important est la radicalisation en ligne des jeunes hommes (pensez à l’Américain Andrew Tate et compagnie). Non seulement elle influence le comportement en ligne et hors ligne, mais elle risque également de faire reculer tout ce progrès. 
Je pense que le 8 mars au Danemark n’est pas tant un moment de manifestations que de célébrations. De nombreux musées et autres institutions organisent des débats, des expositions, etc., sur le féminisme et ses avancées. Nombre d’entre eux font aussi appel à des membres éminents de la société et/ou des personnalités influentes. D’autres organisent également des concerts avec des artistes féminines. Mais il y a aussi des manifestations bien sûr !”

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