Dans une tribune publiée dimanche dans Libération, le professeur Rachid Zerrouki, aka Rachid L'instit sur X (ex Twitter) alerte sur le manque de sommeil de ses élèves. Dette de sommeil, « jet lag social », écran bleu, résultats scolaires et conséquences sur leur santé physique et mentale, on fait le point avec Marc Rey, neurologue, spécialiste du sommeil et président de l’Institut national du sommeil et de la vigilance (INSV).
« Le mot d’ordre donné aux élèves doit être "Dormez !" ». Dans une tribune publiée la veille de la rentrée scolaire, dimanche 3 septembre, dans Libération, Rachid Zerrouki, dit Rachid l’instit sur X (ex Twitter), prof dans un collège de Marseille, alerte sur le temps de sommeil de ses élèves, qui se réduit comme peau de chagrin. Pour étayer ses propos, il a soumis un questionnaire à une quinzaine d’élèves volontaires. Résultat : la plupart d’entre eux·elles ne se contentent que de 6h30 de sommeil par nuit. Bien loin des huit à dix heures de sommeil recommandées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Cette privation de sommeil n’est pourtant pas une surprise, quelles que soient les études scientifiques, le manque de sommeil chez les jeunes est avéré depuis une dizaine d’années. Tout comme les risques qu'entraîne une telle dette de sommeil sur leur santé. Explications avec Marc Rey, neurologue, spécialiste du sommeil et président de l’Institut national du sommeil et de la vigilance (INSV).
Causette : Plusieurs études scientifiques montrent depuis des années que les adolescent·es français·es ne dorment pas suffisamment et même de moins en moins.
Marc Rey : Oui. Ils dorment en moyenne moins de sept heures par nuit, ce qui est largement insuffisant par rapport à leurs besoins. Ils tentent bien souvent de rattraper leur dette de sommeil accumulée la semaine en dormant plus longtemps le week-end, mais le fait de décaler l’heure du lever n’est qu’une récupération partielle qui n’est pas optimale. On appelle cela le « jet lag social ». Par exemple : un adolescent va se coucher tard le samedi soir parce qu’il n’a pas cours le dimanche, il va donc décaler son réveil. Sauf que ce sera ensuite très compliqué pour lui de trouver le sommeil le dimanche et donc difficile ensuite de se réveiller tôt le lundi matin. Le mécanisme du jet lag social est assez récent, on l’a vu exploser depuis la crise du Covid et il déstructure profondément le rythme des adolescents.
D’où vient cette dette de sommeil toujours plus conséquente ?
M.R. : L’émergence des réseaux sociaux ces dernières années a eu un impact fort sur le sommeil des enfants et des adolescents. Le fait d’avoir accès aux écrans en permanence et ne pas faire un couvre-feu digital, c’est-à-dire arrêter les écrans une heure avant le coucher, a d’autant plus accentué cette privation chronique de sommeil. Mais tout n’est pas à mettre sur le dos des réseaux sociaux. Les adolescents viennent de traverser, ces trois dernières années, une période particulièrement anxiogène. Ils ont été confinés, on les a empêché de voir leurs amis, de sortir. On leur dit de ne pas utiliser les écrans, mais pendant cette période, ils n’avaient accès aux autres et au monde extérieur qu’à travers eux. C’est un double discours compliqué à entendre et à comprendre.
Sur le site de l’INSV, il est mentionné que le sommeil des adolescent·es prend naturellement et progressivement du retard entre 10 et 20 ans. Pourquoi ?
M.R. : En grandissant, on a effectivement moins besoin de sommeil. Deux éléments sont à prendre en compte pour comprendre ce phénomène. Il y a, d’une part, un élément purement biologique. Au moment de l’adolescence, un nouveau rythme hormonal apparaît, lié aux hormones sexuelles, qui va bouleverser le rythme biologique des adolescents et en particulier le rythme de la mélatonine, l’hormone du sommeil sécrétée pendant qu’il fait nuit, pendant qu’il fait noir. Cette sécrétion va avoir tendance à se décaler, ce qui explique le fait que l’adolescent va se coucher de plus en plus tard. Il a moins sommeil au moment du coucher. Ça, c’est une tendance naturelle.
Le deuxième élément, c’est l’impact comportemental lié aux réseaux sociaux, au fait que les adolescents sont en permanence stimulés. Ils profitent du fait qu’ils n’ont pas sommeil pour regarder des écrans, ce qui va accroître le décalage de la sécrétion de la mélatonine qui s’arrête naturellement le matin quand il fait jour et que le soleil émet de la lumière bleue. Le problème, c’est que les écrans sont aussi enrichis en lumière bleue. Ils vont donc bloquer et décaler la sécrétion de mélatonine et retarder, donc, l’endormissement.
Quelles sont les conséquences sur la santé mentale et physique des adolescent·es ?
M.R. : Elles sont énormes et sont beaucoup mieux connues qu’auparavant. On observe des conséquences sur le plan physique : la privation chronique de sommeil favorise la prise de poids, l’obésité et le diabète de type 2 ainsi qu’un certain nombre d’autres complications cardiovasculaires. On a aussi de plus en plus de données sur les liens entre le manque de sommeil et la diminution du système immunitaire. La privation de sommeil favorise les infections.
Il y a aussi des conséquences sur le plan neurologique. Le sommeil nous aide à consolider ce qu’on a appris dans la journée. L’adolescence est une période où l’on apprend énormément, donc si les ados ne consolident pas leurs connaissances la nuit, ils auront plus de difficultés à retenir les cours. Ils vont somnoler en classe, être moins attentif, avoir des problèmes de concentration donc avoir moins de choses à consolider pendant le temps de sommeil. C’est un cercle vicieux qui a des conséquences dramatiques sur les performances scolaires. Ça accentue le décrochage.
Et cela joue aussi sur leur santé mentale. Ils n’ont plus envie de rien, se sentent nuls et ont souvent l’impression de ne pas réussir. Le manque de sommeil fait le lit de la dépression et bien entendu de l’anxiété.
Quels conseils donner à des parents dont les enfants accumulent des dettes de sommeil ?
M.R. : Premièrement, il faut connaître son besoin de sommeil. Nous ne sommes pas tous égaux face à cela, les ados aussi. D’ailleurs, nos besoins peuvent évoluer au cours de la vie. Le plus important, c’est que l’adolescent prenne conscience que le sommeil est déterminant pour sa santé, que c’est quelque chose d’agréable. Il faut valoriser le sommeil auprès de lui. Il faut aussi essayer de ne pas trop se décaler, en particulier le week-end par rapport à la semaine, dans l’heure du coucher et du lever. Le week-end, même s’il s’est couché tard, il vaut mieux qu’il se lève à 9h ou 10h et qu’il fasse une sieste d’une heure l’après-midi. Cela aura moins d’effet délétère sur son rythme de sommeil. La clé, c'est de maintenir des horaires assez réguliers. Et bien sûr, stopper les écrans une heure avant le coucher.
Toutefois, si le manque de sommeil persiste, il convient de consulter un médecin généraliste qui pourra alors orienter, si besoin, vers un médecin spécialiste.
L’important, c'est surtout d’être dans une attitude positive sur le sommeil en leur disant que c’est loin d’être une perte de temps. Rendre le sommeil obligatoire chez le jeune alors que par essence un adolescent va rejeter les contraintes, ça ne va pas marcher. Il faut plutôt lui montrer qu’on peut trouver du plaisir à dormir. Surtout que l’adolescence est une période où l’on rêve beaucoup, il faut en profiter.