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©A.T.

Droit : après la décla­ra­tion de nais­sance, les mères ne peuvent plus don­ner leur nom de famille à leur enfant

De plus en plus de mères découvrent à regret que, une fois que leur enfant a été déclaré sous le nom du père, la famille ne peut plus faire accoler le nom de la mère dans l'état civil de leur enfant.

Il y a quelques semaines, Elodie, 34 ans, se rend à la mairie de son petit village breton avec son compagnon pour demander une modification de l'état civil de leurs deux filles, âgées de trois et un an. Si les deux enfants portent depuis leur naissance le nom du père, les parents veulent à présent qu’elles portent également le nom de leur mère. La raison ? Élodie souhaite être sur un pied d’égalité avec son compagnon. « Nous avions balayé la question lors de mes grossesses sans nous rendre compte des conséquences de ce choix mais maintenant, je réalise que nous sommes égaux vis-à-vis d’elles dans l’amour qu’on leur porte, dans l’éducation, dans le soin et dans les dépenses… partout sauf dans l’espace public où je deviens invisible. Il n’y a que le nom de leur père et cela me gêne lorsque je dois écrire leur nom de famille : ça me donne l’impression de ne pas exister », confie Élodie à Causette.

Mais voilà, c’est la douche froide pour Élodie lorsque la secrétaire de mairie lui répond que sa « demande est irrecevable ». Un refus justifié par le fait que comme les enfants ont fait l’objet d’une reconnaissance anticipée du père, la possibilité de choisir le nom s’effectue seulement lors de la déclaration de naissance. Depuis la réforme du nom de famille entrée en vigueur en janvier 2005, les parents peuvent en effet choisir, au moment de la déclaration de naissance, soit le nom du père, soit le nom de la mère, soit leurs deux noms accolés dans un ordre choisi par eux. Il n’y a ensuite plus aucune possibilité d’effectuer une modification sur l’état civil... sauf pour les pères reconnaissant tardivement leur enfant. Une exception vécue comme une double peine pour Élodie. « J’étais très déçue et en colère, raconte-t-elle. Cela me semblait d’autant plus injuste que pour les pères reconnaissant leur enfant après la naissance, il est possible d’ajouter leur nom à celui de la mère. Les papas peuvent librement ajouter leur nom 2, 5, 10 ans après la naissance mais pas les mères. »

« Après quelques mois ou quelques années, les mères réalisent que c’est problématique mais se retrouvent alors bloquées par le système. »

Maître Carline Leca, avocate spécialisée en droit de la famille.

Une injustice qui s’explique juridiquement par la reconnaissance automatique de la mère lors de l’accouchement. « Il est vrai que l'on peut percevoir cela comme une inégalité de fait : une mère qui n’accouche pas sous X reconnaît immédiatement son enfant, il n’y a donc pas de reconnaissance tardive comme pour les pères », précise à Causette Maître Carline Leca, avocate spécialisée en droit de la famille qui reçoit régulièrement des appels de couples dans la même situation. « Ils n’ont pas forcément réfléchi avant la déclaration de naissance car c’est compliqué de se projeter quand on n’est pas encore parent ou qu’on est parent d’un tout petit bébé. Après quelques mois ou quelques années, les mères réalisent que c’est problématique mais se retrouvent alors bloquées par le système », constate l’avocate.

Le nom d'usage

Pour pallier ce manque, la secrétaire de la mairie de son village propose à Élodie l’utilisation d’un nom d’usage sur les documents officiels, en ajoutant son nom à celui de son compagnon pour ses deux filles. Au pied du mur, Élodie et son compagnon acceptent et entament les démarches de cette procédure simple qui nécessite seulement un accord parental. Dans quelques semaines, leurs filles pourront donc avoir le nom de leur mère et de leur père sur leur carte d’identité, leur passeport... en somme tous les documents liés à leur vie sociale et quotidienne. Un bon compromis pour Maître Leca qui « permet aux mères de ne pas avoir à transporter le livret de famille pour prouver le lien de parenté ». 

« Je refuse que mon nom soit uniquement transmis d’hommes en hommes. C’est mon nom à moi, pas seulement celui de mon père ou de mes frères. C’est le mien comme c’est aussi celui de mes filles. »

Élodie

Seul hic, le nom d’usage ne se transmet pas et n'apparait pas sur le livret de famille. « C’est une petite victoire mais teintée de gris car j’aurais vraiment aimé pouvoir transmettre mon nom de famille à mes filles, déplore Élodie. Mon compagnon m’a fait remarquer que ce n’est pas grave, qu’il sera quand même transmis par mes frères mais je refuse que mon nom soit uniquement transmis d’hommes en hommes. C’est mon nom à moi, pas seulement celui de mon père ou de mes frères. C’est le mien comme c’est aussi celui de mes filles. »

Élodie s’est alors interrogée : est-il possible de changer la loi afin que les mères puissent également - comme les pères – ajouter leur nom tardivement ? Pour Maître Leca, ce n’est pas envisageable. « J’entends bien entendu la détresse de ces mères mais pour moi, le changement de nom sur l’état civil doit rester exceptionnel, soutient l’avocate. L’état civil est le document le plus officiel qui soit sur l’identité et la situation d’une personne dans la société. Il ne faut pas que cela devienne trop facile de changer de nom car cela créerait, je pense, une fragilité au sein de l’état civil qui perdrait son caractère immuable. Ce serait la porte ouverte à trop d’insécurité. » En France, on peut aujourd’hui entamer une procédure de changement de nom lorsqu’on parvient à prouver un intérêt légitime. Par exemple, un nom ridicule, péjoratif, insultant ou lié à un·e criminel·le. Si toutes les demandes sont d’ailleurs examinées par le Ministère de la justice, un quart n’aboutissent pas. « Il faut prouver que ce nom porte un préjudice fort à la personne qui le porte. Dans le cas de ces mères, le préjudice les concerne elles mais pas leurs enfants », appuie Maître Leca.

Plus d'informations en amont

Pour l’heure, la véritable solution résulterait donc dans une communication accrue en amont dans les mairies et dans les maternités. « Nous n’aurions certainement pas fait le choix du nom du père si j’avais été davantage informée sur les conséquences et les possibilités que nous avions », regrette aujourd’hui Élodie. Une position également partagée par Maître Leca. « Il faut informer, sensibiliser et prévenir les femmes enceintes et les couples sur l’importance de bien réfléchir au nom de famille de leur enfant avant la naissance. »

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