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© Muriel Boutin

Le recours à la PMA est-​il encore tabou pour les couples hétérosexuels ?

En France, près d’un couple hété­ro­sexuel sur huit consulte en rai­son de dif­fi­cul­tés à avoir des enfants. Pendant long­temps, le sujet a été évi­té dans les conver­sa­tions, avec les enfants issus de ces PMA comme avec les proches. L’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes céli­ba­taires va-​t-​elle accé­lé­rer le mouvement ? 

« Je suis un bébé éprou­vette. » Si, aujourd’hui, je glisse faci­le­ment cette phrase lors de conver­sa­tions sur la Procréation médi­ca­le­ment assis­tée (PMA) avec mes ami·es comme avec des inconnu·es, je ne le fai­sais pas durant mon enfance. Tout sim­ple­ment parce que je ne le savais pas. 

Ma mère s’est mise à table en 2009, lorsque j’avais 16 ans, au moment de mes révi­sions de Sciences de la vie et de la Terre (SVT) pour le bac, consa­crées jus­te­ment à la pro­créa­tion et aux tech­niques de pro­créa­tion assis­tée. Je la revois en pro­fi­ter pour me dire que je suis, avec mon frère jumeau, un bébé éprou­vette conçu par Fécondation in vitro (FIV). Sur le moment, cela ne m’a pas plus sur­pris ou secoué que ça. Ni plus tard. Ce qui m’a mar­qué, les années qui ont sui­vi, c’est d’apprendre que très peu de membres de ma famille et d’ami·es de mes parents savaient que nous étions mon frère et moi issus d’une FIV.

J’ai ren­con­tré de nom­breuses per­sonnes nées grâce à cette tech­nique. Dans la plu­part des cas, je crois me sou­ve­nir que c’était éga­le­ment quelque chose que leurs parents avaient gar­dé pour eux, comme un secret. Pas for­cé­ment par honte mais par envie de pré­ser­ver quelque chose jugé par­ti­cu­liè­re­ment intime. Pourtant, 148.711 ten­ta­tives d’Assistance médi­cale à la pro­créa­tion (AMP) ont été recen­sées en 2018, selon les der­niers chiffres de l’Agence de la bio­mé­de­cine. Cette même année, 25.120 nouveau-​nés ont été conçus après une AMP. Ils repré­sentent 3,3% des enfants nés de la popu­la­tion géné­rale en 2018. Alors pour­quoi le taire ?

Sept ans de silence

Mes parents, Philippe et Muriel, se sont ren­con­trés en 1983 et se sont mariés peu de temps après, en 1986. « On vou­lait très vite pou­voir faire des enfants », m’a confié ma mère. Mais il et elle se sont rapi­de­ment ren­du compte que « ça ne fonc­tion­nait pas », bien qu’aucun des deux n’ait de pro­blème indi­vi­duel de fer­ti­li­té. Seulement quatre ans après la nais­sance d’Amandine, le pre­mier bébé éprou­vette, née en 1982 grâce au Pr René Frydman, mes parents ont déci­dé de réa­li­ser une PMA. Une déci­sion qui n’était pas évi­dente à prendre, étant don­né que cette tech­nique était très récente et nour­ris­sait beau­coup de fan­tasmes. « Le manque d’informations à l’époque fai­sait que beau­coup pen­sait que c'était du char­la­ta­nisme voire une adop­tion dégui­sée », se sou­vient mon père.

À leurs parents, il et elle ont sim­ple­ment glis­sé que ma mère fai­sait « des sti­mu­la­tions ova­riennes ». Aux gens qui les ques­tion­naient sur leur absence d’enfants, il et elle ne répon­daient rien. « On s’était pro­mis qu’on gar­de­rait ça secret, parce que c’était quelque chose de tout nou­veau. On avait peur que des per­sonnes nous disent : “Ce n’est peut-​être pas lui le père ou elle la mère.” Nous, on savait que c’était nos embryons, mais on n’avait pas envie d’être confron­tés à la réac­tion des gens », m’a expli­qué ma mère. 

Après de longues années de ten­ta­tives infruc­tueuses d’insémination arti­fi­cielle puis de FIV à Bordeaux, mes parents se sont ren­dus dans les Yvelines, à la cli­nique du Chesnay. Au bout de la qua­trième FIV, ma mère est tom­bée enceinte de tri­plés. Mais, le 12 juillet 1993, seuls mon frère et moi sommes nés. Pendant les sept ans qu’ont duré ces trai­te­ments et ces nom­breux essais, mes parents n’en ont par­lé à personne.

Pour mon père, le secret était éga­le­ment « de rigueur » en rai­son de ses ori­gines fami­liales : « Nous venons de la Méditerranée, du Sud, m’explique-t-il aujourd’hui. Nous étions très por­tés sur la famille et la reli­gion, nour­ris par des valeurs un peu patriar­cales. Je pen­sais que ça allait coin­cer. Il y avait un côté “macho” : un enfant doit venir natu­rel­le­ment, un point c’est tout. Mais mes proches, à qui on s’était bor­né à dire que nous pro­cé­dions à des sti­mu­la­tions ova­riennes, nous ont sou­te­nus et encouragés. »

S’il a été éle­vé dans cet envi­ron­ne­ment tra­di­tion­nel et patriar­cal, avec l’idée qu’un homme doit donc faire des enfants natu­rel­le­ment et pas autre­ment, mon père n’a pas for­cé­ment été atteint dans sa viri­li­té en ayant recours à une PMA. « J’étais évi­dem­ment un peu gêné par rap­port à mes amis, d’être obli­gé de pas­ser par là et pas eux, j’avais un peu d’orgueil. Mais je n’ai pas été tou­ché en tant qu’homme. Nous savions que nous vou­lions des enfants. C’était la seule solu­tion qui nous res­tait avant l’adoption », m’a‑t-il confié.

PMA cachée par peur de l’échec

Rose*, une fonc­tion­naire de 41 ans, avait pour « objec­tif prin­ci­pal dans la vie » d’avoir des enfants. « J’en vou­lais 4 ou 5 », m’a‑t-elle racon­té. Après sa ren­contre avec Jean* en 2003 et leur mariage en 2007, le couple s’est très vite heur­té à des dif­fi­cul­tés pour don­ner nais­sance à un bébé. En tout, il et elle ont fait sept ten­ta­tives de FIV en France, dont une fruc­tueuse en 2013, et une infruc­tueuse en Espagne. 

Au moment de leur pre­mière PMA, en 2010, Rose en avait par­lé à ses parents. Elle ne leur a ensuite plus rien dit. « Il était trop dur de devoir annon­cer un échec, de subir l’attente des proches et ce n’était pas facile pour eux de se mettre à notre place. On a tout vécu seuls », m’a‑t-elle expli­qué. Après la nais­sance de leur pre­mier enfant, quand Rose et son mari ont essayé d’en avoir d’autres, il et elle le glis­saient à leurs proches qui gar­daient leur enfant, mais sans trop en dévoi­ler. Ce n’est que depuis peu que la qua­ran­te­naire arrive à en par­ler. « Pendant toute une par­tie du par­cours, je ne vou­lais pas le dire car ça vio­lait mon inti­mi­té. Maintenant je le fais car je me dis que c’est un pro­blème de san­té publique et des tonnes de couples vivent ce sou­ci. Mais ces ques­tions que l’on nous pose – par exemple “Comment cela se fait que tu n’as qu’un enfant ?” – ne sont pas neutres, ça ne regarde pas l’entourage. »

Maria*, une jeune femme de 36 ans tra­vaillant dans le domaine de la culture, a éga­le­ment réa­li­sé plu­sieurs PMA avec son mari, dont une FIV qui a fonc­tion­né en 2015. Ils n’ont évo­qué leur par­cours à presque per­sonne, ni pen­dant, ni après : « C’était dur émo­tion­nel­le­ment à gérer et je ne fais pas par­tie d’une famille où l’on parle de ces choses-​là. » La tren­te­naire aurait cepen­dant aimé « être entou­rée », même si elle vivait cela « comme quelque chose d’intime ». Mais plus le temps passe, moins ça la dérange : « J’en parle au fur et à mesure que ça s’éloigne de moi» Sa sœur est désor­mais au courant.

Rose* comme Maria* envi­sagent de le dire, un jour, à leur enfant. Rose* a déjà essayé de le faire, même si son gar­çon n’est pas en âge de le com­prendre, et Maria* avait glis­sé cette infor­ma­tion à son enfant lorsqu’il était encore un bébé. 

« Une réa­li­té de notre temps »

Aujourd’hui en France, envi­ron un couple sur huit consulte en rai­son de dif­fi­cul­tés à avoir des enfants, rap­porte l’Inserm. Pour la Dr Nathalie Lédée, à la tête du ser­vice d'Assistance Médicale à la Procréation de l'Hôpital Les Bluets à Paris, il s’agit tout sim­ple­ment « d’une réa­li­té de notre temps ». Il y a une ving­taine d’années, la gyné­co­logue obs­té­tri­cienne était face à des couples hété­ro­sexuels qui se ques­tion­naient sur le fait de le dire ou non à leur entou­rage, dans leur milieu pro­fes­sion­nel ou même à leur enfant. Aujourd’hui, elle sent qu’il y a moins d’interrogations. Selon elle, le plus dur est de gérer l’échec, inhé­rent aux PMA. « Je dis aux per­sonnes qui viennent me voir de se pro­té­ger, de pro­té­ger leur couple et de faire comme ils le sentent. »

Selon la gyné­co­logue obs­té­tri­cienne Adélie Michau, qui tra­vaille au sein de la cli­nique IVI à Bilbao, « les patients qui ont le plus de mal à en par­ler sont ceux qui ont recours à des dons de gamètes »« Il y a une réflexion à avoir pour ces per­sonnes avant de s’engager dans ces démarches-​là. Certains couples ne veulent pas en par­ler à leur entou­rage, car ils ont peur que ça soit reje­té. Il y a par­fois le motif reli­gieux qui entre en compte. J’ai pas mal de couples musul­mans qui me disent que ce n’est pas auto­ri­sé. Ils ne veulent pas le dire à leur famille car ce serait une honte et l’enfant ne serait pas accep­té », m’a‑t-elle affirmé.

Rose a, par ailleurs, dû faire appel à un don d’ovocytes lors de sa der­nière ten­ta­tive infruc­tueuse de PMA en Espagne comme « sa réserve ova­rienne était à plat »« J’ai dit à l’une de mes tantes qu’on était allés en Espagne. Mais je ne pour­rais pas encore en par­ler aux autres membres de ma famille. C’est une autre étape, de révé­ler qu’on a eu recours à une don­neuse. L’enfant n’aurait géné­ti­que­ment pas été le mien. Ça intro­duit beau­coup de ques­tions, notam­ment éthiques : "Est-​ce que c’est ok pour la don­neuse ?" » 

« Quand j’ai été enceinte, j’ai eu un sen­ti­ment d’accomplissement, comme si je venais d’obtenir un concours. Mais mon mari, moins. Ce n’est pas facile d’assumer publi­que­ment des pro­blèmes d’infertilité dans le couple. Avec des copains qui ont plein d'enfants, ça pose des ques­tions, ça retourne un petit peu. J’ai eu la sen­sa­tion d’être une pes­ti­fé­rée en ayant recours à une PMA. Ne pas pou­voir faci­le­ment avoir un enfant est une ano­ma­lie socié­ta­le­ment car tout est fait dans notre socié­té pour dire que si l’on ne pro­crée pas, ce n’est pas nor­mal. Toute la socié­té patriar­cale est construite ain­si : si l’on n’a pas d’héritier, on a lou­pé un truc », a‑t-​elle ajouté.

Les deux gyné­co­logues inter­viewées par Causette observent que de moins en moins de parents cachent à leur enfant qu’ils ont réa­li­sé une PMA, même lorsqu’il y a un don d’ovocyte ou de sperme. Nathalie Lédée explique ain­si, d’emblée, aux couples qui y ont recours que toutes les études concordent pour dire que le secret n’est pas bon pour l’enfant. Elle m’a expli­qué s’appuyer sur une his­toire qu’elle a éga­le­ment vécue, concer­nant une femme ayant eu recours à un don d’ovocyte : « Elle était avec son bébé, qui avait 3–4 ans, et en voyant une poule qui cou­vait son œuf, elle lui a racon­té : "Maman t’a cou­vé, mais ce n’était pas son œuf.” Elle l’a dit sim­ple­ment. Et donc je dis aux couples qu’ils peuvent le dire sim­ple­ment à leur enfant, que ça ne regarde qu’eux et que l’enfant, s’il y a un secret, quoi qu’il arrive, il le trou­ve­ra. Mais aujourd’hui, je ne res­sens plus cette néces­si­té d’en par­ler car je n’ai plus l’impression que les parents veulent cacher quoi que ce soit »

Une future « bana­li­sa­tion » de la PMA

Nathalie Lédée est per­sua­dée que l’ouverture de la PMA aux femmes en couple de femmes et aux femmes céli­ba­taires, conte­nue dans la loi de bioé­thique pro­mul­guée le 3 août der­nier, va per­mettre de bana­li­ser ce sujet, qui l’est déjà à ses yeux : « Il y va avoir une bana­li­sa­tion totale de la PMA dans les années à venir. D’une part, les hommes sont moins fer­tiles. D’autre part, les femmes font des enfants plus tard. Dans les pays déve­lop­pés, il y a une aug­men­ta­tion de 10% par an dans les demandes. »

Toutes les per­sonnes inter­ro­gées dans cet article se féli­citent éga­le­ment de la future démo­cra­ti­sa­tion de ces pra­tiques médi­cales. Rose pense que cela va nous emme­ner « vers une vraie libé­ra­tion », quand Maria* se demande si la démo­cra­ti­sa­tion « n’a pas déjà eu lieu » et que « per­sonne n’en parle alors que c’est répan­du »

Ma mère n’a cepen­dant pas atten­du le vote de la loi pour ne plus avoir peur d’aborder plus libre­ment ce sujet :« Maintenant, quand on est quelque part et qu’on parle d’enfants, on raconte qu’on a fait des bébés in vitro. Je suis la pre­mière à encou­ra­ger les autres femmes à se lan­cer dedans. Je me sens moins pri­son­nière, la parole s’est libé­rée. À l’époque où la PMA était peu connue, j’évitais les ques­tions, j’estimais que cela fai­sait par­tie de notre vie pri­vée. J’avais peur du regard des autres, c’était un sujet tabou au sein des familles. Aujourd’hui, je ne suis plus gênée. Je suis fière d’avoir fait une PMA et de dire que, mal­gré les obs­tacles, j’ai réus­si à avoir des enfants. » Fierté par­ta­gée.

*Les pré­noms ont été modifiés

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