mere
© Alex Tome

Élodie Da Silva, pour une paren­ta­li­té flem­marde et heureuse

Suivie par 252 000 personnes sur Instagram, l’influenceuse parentalité et mère célibataire assume une flemme généralisée, déculpabilisante et bienvenue sur la plateforme des mères parfaites.

En préambule, une confidence. Elle a été de ces mères-là. De ces mères parfaites qui ont décidé qu’elles excelleraient dans leur maternité, faisant grandir des chérubins épanouis et modèles sans renoncer à performer le féminin en elles, les mains manucurées agrippées à la poussette. De ces mères parfaites qui, quitte à se mettre elles-mêmes la pression, ont aussi toujours la petite réflexion aux lèvres sur comment font les autres, le jugement prêt à dégainer, parce qu’elles, elles savent mieux. Sur le compte Instagram d’Élodie Da Silva, cette figure très agaçante qui ne s’embarrasse pas de sororité a pris la forme de “la copine Jessica”.

Jessica – et ici, on demandera pardon aux Jessica qui n’ont pas forcément envie d’être mêlées à ça –, “c’est un mix entre toutes ces mamans insupportables que j’ai pu rencontrer et de la maman insupportable que j’ai été les six premiers mois de mon fils. J’étais du genre à prendre une petite moue pour dire “ah, toi t’as que des jouets en plastique... Les miens sont en bois. C’est mieux le bois, Montessori de préférence”.

Pas merci Rachida Dati

Jessica repentie, Élodie Da Silva, 35 ans, a fait sien le terrain de jeu préféré des Jessica convaincues : sur Instagram, 252 000 personnes suivent cette influenceuse parentalité qui réalise de courtes vidéos dans lesquelles, comme beaucoup d’autres, elle met en scène avec humour ses difficultés de daronne et propose des bons plans pour occuper la marmaille, la nourrir ou la faire dormir. Mais sa singularité tient plutôt aux vidéos dans lesquelles elle vulgarise des concepts éducatifs et des études sur le développement cognitif des bébés avec un mot d’ordre : déculpabiliser les mères.

Sur @EvenEtMoi, du nom de son fils de quatre 4 ans, on trouve donc des vidéos expliquant pourquoi “Tata Ginette” (un autre perso presque aussi crispant que celui de la copine Jessica) n’a pas forcément raison lorsqu’elle rabâche aux jeunes mères de ne pas trop porter leur bébé, de le laisser pleurer ou encore de ne pas le laisser faire des “caprices”. “À la naissance d’Even, j’ai beaucoup été en guerre avec certains membres de ma famille sur toutes ces injonctions qui n’ont pas forcément de fondement, se souvient-elle. J’entendais “laisse-le pleurer, ça fait les poumons” et je menais mes propres recherches pour vérifier ce qu’il en était. Rapidement, je me suis dit qu’il fallait que je transmette aux autres mères toutes ces infos très objectives, qu’on trouve dans des tas d’études souvent rédigées en anglais, et l’idée d’ouvrir un compte Instagram m’est venue.”

Se lancer dans le grand bain de l’influence parentalité et opérer un virage à 180 degrés avec sa vie d’avant, c’est aussi pour Élodie Da Silva une quête de sens. La jeune femme, qui a bossé en tant que consultante dans une grande boîte d’informatique avant de reprendre les sociétés de production musicales de son père, s’était envisagée durant sa grossesse comme une “Rachida Dati, de retour au travail quelques jours après l’accouchement”. “Mais mon corps me dit non, tout simplement”, raconte celle qui faisait des marathons et se découvre des limites physiques après l’accouchement. Surtout, ses certitudes sur l’équilibre boulot-vie de mère s’effondrent. “J’ai fait un post-partum très colérique, contre ce monde qui n’était pas adapté parce que j’avais à la fois envie de travailler et de m’occuper de mon fils.” Comme de nombreuses mères “qui ont beau être préparées”, Élodie Da Silva découvre l’immense chamboulement que provoque l’arrivée d’un nouveau-né dans sa vie, traverse une période “très isolée”, décide de se réinventer et lance son compte Instagram en mars 2020 en plein confinement sanitaire, alors qu’Even a quelques mois.

Les chakras de la Cigale

“C’est une femme d’une détermination immense”, souffle, admirative, son amie d’enfance Ghislaine, désormais embarquée dans l’aventure. Car en quatre ans, Even et moi a grandi aussi vite que le bambin qui lui a donné son nom. Il y a bien sûr des partenariats avec des marques, mais Élodie Da Silva s’est aussi déployée sur une chaîne YouTube, a décliné ses conseils dans des newsletters, publié un livre (Cool Baby Academy), ouvert un service payant de conseils aux parents via une appli (Cool Baby Academy encore) et même monté Sur un malentendu, un spectacle “mastershow”, à la croisée de la masterclass et du one-woman-show. Une boulimie de projets qui font travailler autour d’elle une dizaine de personnes. Ghislaine, productrice de spectacles indépendante, se souvient bien du jour de novembre 2022 où Élodie lui laisse un message vocal à 8 h 20 pour lui faire part de son idée de mastershow survenue “à 7 h 52”, au moment de déposer Even à la crèche. “Elle me dit : ça va être génial, tu t’inquiètes pas et tu ouvres tes chakras, je voudrais monter sur scène au printemps’. Je lui dis : ‘Attends, on se rappelle un peu plus tard, il est un peu tôt dans la journée pour que j’ouvre mes chakras sur un tel projet.’”

Une fois mieux réveillée, l’amie fidèle va répondre présente et permettre à Élodie Da Silva – qui n’a que ses cours de théâtre d’adolescente comme expérience – de décrocher une place à La Cigale, institution parisienne de neuf cents places, en mars 2023. Forte d’une communauté virtuelle très active derrière elle, Élodie Da Silva remplit la salle, enchaîne sur une tournée (jusqu’au 10 mars 2024) et les deux amies bouclent l’histoire entremêlée de leurs familles. “Mon père était ingénieur et il a un jour décidé, quand j’étais petite, de complètement changer de vie, pour devenir producteur de musique, par passion de la musique du Cap-Vert, dont nous sommes originaires, explique Élodie da Silva. Il a embarqué dans l’affaire son meilleur ami, c’est-à-dire le père de Ghislaine.”

À l’écouter dérouler le modèle paternel, on comprend mieux d’où lui vient cette confiance en sa bonne étoile entrepreneuriale. Née en Seine-Saint-Denis dans une famille mi-cap-verdienne, mi-sénégalaise, Élodie da Silva grandira ensuite en Seine-et-Marne à l’occasion d’un déménagement permis par le succès de son père, José, qui a fait percer Cesaria Evora en France. Cette triple culture – française, cap-verdienne et sénégalaise – est source d’amusements. “Ghislaine est 100 % Cap-verdienne et sa mère est très câline avec son petit-fils, observe-t-elle. La mienne a ce côté sénégalais très dur, qui va lui faire lever les yeux au ciel en s’exclamant : ‘Je ne comprends pas, ça fait deux fois que je dis à ton fils d’aller se coucher et il n’est pas couché.’

Si, à mesure que @EvenEtMoi s’est professionnalisé, Élodie a fait le choix de moins exposer son fils pour veiller à son intimité, elle sait parfaitement jouer avec les codes des Jessica d’Instagram. On devine ici non pas tant l’envie de mettre sa personne en avant, mais surtout d’élargir les champs de nos représentations : d’une part, les influenceuses parentalité racisées restent très rares en France. D’autre part, la jeune femme se sent la responsabilité d’assumer un statut de mère célibataire bien dans ses pompes, une figure d’autant plus rare dans la jungle de l’influence parentalité où s’exposent plutôt des petites familles bien conventionnelles. “C’est la plateforme de Jessica et Jessica, elle est en couple, je peux te le dire. Avec Brian”, se marre-t-elle. Plus sérieusement : “C’est important pour moi d’incarner cette mère célibataire parce que ça a beau être de plus en plus courant, cela reste de l’ordre du truc honteux pour pas mal de femmes, relève celle qui a rapidement rompu avec le père d’Even après sa naissance. J’ai connu cette stigmatisation. Après, on essaie souvent de me faire parler de la difficulté d’être mère célibataire, mais moi, j’adore la vie que je mène. Sans doute parce que nous sommes en très bons termes avec le père d’Even, mais je peux aussi affirmer que je me suis retrouvée depuis que je suis seule, et c’était quelque chose de primordial.”

Pause télé

Avec honnêteté, l’influenceuse admet sans difficulté qu’être mère célibataire a des avantages : “Là, par exemple, je sais que le père d’Even va passer une semaine de vacances avec lui à partir du 19 février. Eh bien, je peux te dire que mon cerveau est bloqué sur cette date et m’ordonne de tenir jusque là”, sourit-elle. Ce qui ne finit pas de l’attrister, c’est que parmi les messages les plus récurrents de sa communauté revient celui-ci : “Tu as l’air plus heureuse seule que moi en couple avec mon mec, parce que depuis qu’on est parents, ça ne se passe pas bien.” Or, elle en est persuadée : le bonheur de nos enfants passe avant tout par l’épanouissement des parents. “Après m’être essayée à camper la mère parfaite, je me suis écoutée et j’ai un rapport beaucoup plus décomplexé et serein à tout ça. Soyons franches : mes victoires perso, c’est une journée où je n’aurais pas crié et où j’aurais géré mes frustrations autrement. Nous vivons sans télé, mais si un jour, il me la faut à la maison pour avoir la paix, je n’aurais aucun malaise à me la faire livrer en deux-deux. Parfois, je vois passer sur Insta des posts du type “les avantages de trente minutes de lecture avec ton enfant à la place de trente minutes de télé”. Mais moi, je peux t’expliquer les avantages inverses. Comment les trente minutes de télé de ton enfant vont sauver ton état d’esprit, ton moral et ta charge mentale parce que tu vas pouvoir souffler.”

Au fil du temps, Élodie Da Silva a développé une sorte d’éthique de son métier d’influence, matérialisée dans son surnom “Bree Van de Flemme”. Ne pas s’excuser de s’adresser aux femmes “parce qu’à partir du moment où tu es parent, tu n’as pas besoin que je te dise que tu peux aussi être concerné en tant qu’homme”, faire le tri dans l’info qu’elle dispense et ne surtout pas être dans l’injonction. “Il m’est arrivé que des femmes m’écrivent pour me dire qu’une de mes publications les fait se sentir mal. C’est un échec personnel, et je leur dis d’arrêter de me suivre sur le champ, parce qu’elles n’ont pas à ressentir ça. La surinformation, c’est le mal actuel, ce n’est pas pour rien que le burn-out parental est relativement nouveau.” À bonnes entendeuses, les Jessica au bout du rouleau.

Capture decran 2024 02 02 a 5.01.45 PM

Sur un malentendu, d’élodie Da Silva. plusieurs dates en France jusqu’au 10 mars. Infos et billets ici.

Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.