doumia
Durant une consultation © Lola Fourmy

Généralisation des mai­sons de nais­sance : repor­tage au cœur de Doumaïa, dans le sud de la France

L’Assemblée natio­nale vient d’adopter la géné­ra­li­sa­tion des mai­sons de nais­sance en France, ins­crite dans le pro­jet de loi de finances de la sécu­ri­té sociale 2021. Ces struc­tures gérées par des sages-​femmes pro­posent des accou­che­ments natu­rels, médi­ca­li­sés au mini­mum et dans un cadre cha­leu­reux. L’expérimentation, lan­cée il y a cinq ans, a convain­cu le gou­ver­ne­ment : de huit struc­tures actuel­le­ment, on pour­rait bien­tôt en comp­ter vingt. À quoi res­semble la vie dans une mai­son de nais­sance ? Reportage à Doumaïa, l’unique struc­ture expé­ri­men­tée dans le Sud de la France, à Castres.

Il y a plus de trois ans, en mars 2017, la mai­son de nais­sance Doumaïa de Castres (Tarn) accueillait son tout pre­mier bébé : Elia. Depuis, il y a eu Nino, Emma, Wayra ou encore Anaïs. Quelque 156 bébés sont nés ici et leurs pré­noms s’égrènent sur des pétales accro­chés aux murs de la salle d’accueil de Doumaïa. L’accès à cette mai­son de nais­sance se fait par l’entrée du CHIC, le centre hos­pi­ta­lier inter­com­mu­nal de Castres-​Mazamet, qui couvre un bas­sin de popu­la­tion de 150 000 habitant·es. Car c’est une spé­ci­fi­ci­té des mai­sons de nais­sance, expé­ri­men­tées offi­ciel­le­ment en France depuis 2015, elles doivent être situées à proxi­mi­té immé­diate d’un hôpi­tal pour pou­voir assu­rer le trans­fert de la patiente en cas de nécessité. 

La maison de naissance Doumaïa située à proximité immédiate de lhôpital de Castres deuxième plan LF
La mai­son de nais­sance et l'hôpital au deuxième plan © Lola Fourmy
Convivialité et bienveillance

Ici, aux pieds de la mon­tagne Noire, Doumaïa est un bâti­ment car­ré pos­té tout près de l’entrée des urgences obs­té­tri­cales. La mai­son de nais­sance fait 140 mètres car­rés et, effec­ti­ve­ment, n’a rien à voir avec les lieux de san­té habi­tuels. Canapé en cuir rouge, faire-​part sus­pen­dus en forme de mobile, biblio­thèque par­ta­gée, deux vastes chambres d’accouchements avec bai­gnoires, lit double et guir­landes lumi­neuses… Et une cui­sine, d’où émanent des rires. Dans cette petite pièce lumi­neuse équi­pée de ban­quettes et d’une grande table sont ras­sem­blées une par­tie des sages-​femmes de la mai­son de nais­sance ain­si que Nastia et Nicolas, un couple de futurs parents. « Ça vous inté­resse, d’ailleurs, un couf­fin ? » leur lance Julie Marié, l’une des cofon­da­trices de Doumaïa. Ici, la convi­via­li­té est pri­mor­diale. « On ne peut pas être amie avec tout le monde, ce n’est pas le but, mais on crée un lien avec les patientes qui n’a rien de hié­rar­chique, il y a beau­coup de bien­veillance », explique la sage-​femme. Son binôme, Juliette Dassonville-​Leroy, com­plète : « C’est l’esprit de la mai­son de nais­sance, que les couples se sentent comme chez eux. Ils arrivent ici avec leurs connais­sances et notre rôle, c’est qu’ils mènent leur barque. Nous, on assure la sécu­ri­té de l’embarcation. » 

Nicolas et Nastia futurs parents et Julie Marié leur sage femme LF
Nicolas et Nastia, futurs parents, avec leur sage-​femme Julie Marié
© Lola Fourmy

À Doumaïa, comme dans les sept autres mai­sons de nais­sance expé­ri­men­tales, le prin­cipe est de pro­po­ser un accou­che­ment phy­sio­lo­gique. « C’est un mot mécon­nu mais joli, dit en sou­riant Juliette Dassonville-​Leroy, qui exer­cice là depuis deux ans. C’est ce qui fonc­tionne natu­rel­le­ment et spon­ta­né­ment sans qu’on entrave les choses. C’est un choix que l’on peut qua­li­fier de fémi­niste si l’on consi­dère qu’il per­met aux femmes de dis­po­ser de leurs corps comme elles le souhaitent. » 

Clémence
Clémence © Lola Fourmy

Clémence, pull à pois et crâne rasé, est l’une des repré­sen­tantes des usager·ères de Doumaïa. Si elle s’investit dans cette tâche, c’est pour faire savoir que cette alter­na­tive existe. Elle-​même l’a décou­verte après son pre­mier accou­che­ment et peut ain­si com­pa­rer. Pour l’aîné de ses enfants, elle a subi l’utilisation de la ven­touse, une épi­sio­to­mie, la péri­du­rale… l’inverse de ce qu’elle sou­hai­tait. Pour le second, elle a accou­ché toute seule à Doumaïa, sans inter­ven­tion ou presque de la sage-​femme, et à quatre pattes, une posi­tion bien éloi­gnée de celle pro­po­sée habi­tuel­le­ment. La dou­leur, elle ne l’a pas du tout vécue de la même manière : « Je par­le­rais plu­tôt de force, comme une puis­sance qui veut sor­tir et un sou­la­ge­ment extrême ensuite. C’est comme s’il y avait eu un réglage dans ma tête, comme si mon esprit et mon corps s’étaient ali­gnés. » Le choix de la mai­son de nais­sance et d’accoucher sans péri­du­rale est par­fois jugé par l’entourage, ce qui sur­prend Juliette Dassonville-​Leroy. « Ce n’est pas une déci­sion d’illuminée ! J’ai du mal à com­prendre pour­quoi on applau­dit un mara­tho­nien qui court 40 km et qu’une femme qui fasse ce choix, on la trouve folle. C’est juste une volon­té de res­sen­tir des sen­sa­tions. Il faut la res­pec­ter ! » conclut la sage-femme. 

La sécu­ri­té avant tout
Ophélie
Ophélie et sa sage-​femme, durant une consul­ta­tion
© Lola Fourmy

Dans la salle de consul­ta­tion, pas de table médi­cale en métal froid. On aus­culte sur un véri­table lit avec mate­las. Ophélie, 26 ans et enceinte de six mois, s’installe. « J’ai l’impression que plus j’avance dans la gros­sesse, mieux je me sens ! » plaisante-​t-​elle. La jeune com­mer­ciale récem­ment ins­tal­lée dans le Tarn avec son conjoint mili­taire a trou­vé que cette mai­son de nais­sance était « une véri­table chance ». « Je ne suis pas très hôpi­tal, explique-​t-​elle. Ici, on a l’impression d’être en famille. Les sages-​femmes me tutoient, demandent des nou­velles du papa quand il n’est pas là. D’ailleurs, lui qui est tou­jours dans le dur, là, pen­dant les cours de pré­pa­ra­tion, il se livre, et je découvre un autre homme. Ça ne serait pas pos­sible dans un autre lieu qu’ici. » Sa seule crainte, le cas des trans­ferts dont elle a beau­coup par­lé avec sa sage-​femme. En effet, sur cinquante-​cinq femmes admises pour accou­cher à Doumaïa en 2019, douze ont dû être trans­fé­rées à l’hôpital. Les causes sont mul­tiples : le tra­vail prend trop de temps, des com­pli­ca­tions appa­raissent ou, plus sim­ple­ment, la femme demande fina­le­ment une analgésie. 

Pauline fils
Pauline et son fils dans la chambre bleue
où elle avait com­men­cé son tra­vail avant d'être trans­fé­rée
© Lola Fourmy

Le trans­fert, c’est ce qui est arri­vé à Pauline, 30 ans. Admise pour l’accouchement de son pre­mier fils, il y a dix-​huit mois, elle s’était alors ins­tal­lée dans la chambre bleue avec son conjoint, la play­list pré­pa­rée en amont réson­nant dans une enceinte pour accom­pa­gner les contrac­tions. Elle alter­nait bain, marche, repos sur le grand lit, mais le soir, le tra­vail s’est arrê­té, les bat­te­ments du cœur du bébé ont ralen­ti. C’est là que Juliette, sa sage-​femme, lui a annon­cé son trans­fert à l’hôpital. « J’étais déçue, mais je savais que c’était pour la san­té de mon fils. » Pauline est infir­mière et si elle a choi­si l’accouchement en mai­son de nais­sance, c’est pour évi­ter ce qu’elle appelle par­fois « un manque d’écoute des mamans. » Ce soir-​là, alors qu’elle ne par­court que quelques mètres, à pied, jusqu’à l’hôpital, l’ambiance est dif­fé­rente. Les notes de Nina Simone sont rem­pla­cées par les bips des machines. « La pré­sence humaine est dif­fé­rente. À l’hôpital, ils ont plu­sieurs accou­che­ments à gérer en même temps ; à Doumaïa, ce que j’aimais, c’est que j’étais sui­vie par la même sage-​femme qui allait m’accoucher, il y a un côté ras­su­rant. » Aujourd’hui, Pauline est enceinte de son deuxième enfant et si cette deuxième gros­sesse devait néces­sai­re­ment avoir lieu ici, l’équipe de la mai­son de nais­sance a étu­dié de près son dos­sier avant de l’accepter, pour ne prendre aucun risque. « On tra­vaille beau­coup avec l’hôpital, c’est une rela­tion essen­tielle à bâtir », pré­cise Henny Jonkers, l’une des cofon­da­trices de Doumaïa et sage-​femme depuis vingt-​sept ans. « Tous les trois mois, on tra­vaille ensemble sur les trans­ferts pour com­prendre pour­quoi ils ont eu lieu. On pré­fère des trans­ferts qui se finissent très bien à côté que pas de trans­fert et que ça se ter­mine mal ici », développe-​t-​elle. 

De fait, un rap­port d’étude sur la qua­li­té des soins pro­di­gués en mai­sons de nais­sance, publié en novembre 2019 par un comi­té de chercheur·euses en san­té, a rele­vé un niveau de sécu­ri­té satis­fai­sant et un très faible taux d’intervention. Par exemple, moins de 2 % d’épisiotomie ont été pra­ti­quées en 2018 sur l’ensemble de ces struc­tures expé­ri­men­tées en France. Ailleurs en Europe, les mai­sons de nais­sance ont fait leurs preuves, on en compte 169 au Royaume-​Uni et une cen­taine en Allemagne, bien loin devant les chiffres français.

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