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© Kelly Sikkema

En place le 1er juillet, le ral­lon­ge­ment du congé deuxième parent est déjà jugé insuffisant

Violaine Dutrop, formatrice à l’égalité en entreprise, vient de faire paraître, le 3 juin, l’essai Maternité, paternité, parité aux éditions du Faubourg. Elle y relève les insuffisances de la réforme du congé deuxième parent, qui sera, à compter du 1er juillet, d’un mois dont sept jours obligatoires, et plaide pour un congé bien plus ambitieux. Entretien.

Photo Violaine Dutrop
© DR

Causette : Pourquoi la réforme du congé deuxième parent, effective le 1er juillet, ne vous satisfait pas ?
Violaine Dutrop :
Cet allongement du congé, qui passe de onze jours à un mois, dont seulement sept jours obligatoires, me semble dérisoire. Ce congé est là pour soulager la mère dans ses premiers pas de parent et dans la charge mentale administrative que la naissance impose, mais aussi pour permettre au père de développer sa relation avec le nouveau-né. Et le rapport dit des « 1 000 premiers jours » commandé par le gouvernement au pédopsychiatre Boris Cyrulnik a, lui, montré le grand bénéfice pour l’éveil et le bien-être de l’enfant d’une parentalité partagée de façon égalitaire. L’idéal serait que les congés soient les mêmes, seize semaines pour chacun des parents !

Diriez-vous que cette réforme est contre-productive, dans le sens où, maintenant que le congé a été allongé, les avancées peuvent s’arrêter là ?
V.D. :
Je n’irais pas jusqu’à dire que cette réforme est contre-productive, car je préfère rester optimiste, mais si on veut la voir comme une simple étape dans la justice et le progrès social, il faut continuer à revendiquer mieux. Il ne faut surtout pas relâcher et persister à dire que quatre mois, ce n’est pas un mois.
À cette demande d’égalité, on rétorque souvent que ce n’est pas nécessaire de donner aux hommes aussi longtemps qu’aux femmes parce que ce sont elles qui portent l’enfant. Mais justement, elles ont besoin d’être accompagnées !

Dans votre livre, vous citez le dossier que nous avions publié chez Causette en 2017, avec une tribune portée par quarante personnalités masculines. Avez-vous d’autres exemples d’une mobilisation des hommes sur le sujet ?
V.D. :
J’observe de plus en plus de jeunes pères investis sur cette question, notamment à travers le collectif Parents et féministes dont je suis membre. Ils ont un œil extrêmement averti sur la façon dont les enfants sont accueillis aujourd’hui : on organise la passivité des hommes, en tout cas on leur donne une place assez facultative. Ils revendiquent un partage égal de cette période d’accueil parce qu’ils sont absolument désolés de voir leurs compagnes, qui souvent doivent gérer des difficultés physiques ou psychiques post-partum, propulsées seules comme parent principal aux yeux de l’administration ou de l’école. Ils développent aussi une conscience salariale en observant les employeurs envisager différemment les carrières des femmes, pour lesquelles il existe un « risque maternité » et des hommes. D’où l’intérêt de rendre le congé deuxième parent obligatoire 8 semaines sur les 16 semaines de congé total, comme pour les femmes, afin de créer un « risque parentalité » et éviter les discriminations pénalisant les femmes.
L’appétence des pères et des futurs pères est là. Je serai bientôt l’invitée du podcast Papatriarcat, tenu par Cédric Rostein, membre du collectif Parents et féministes, et je suis aussi en relation avec Alexandre, le blogueur Papa plume [dont la devise est un fier « décomplexé de la couche », ndlr].

Lire aussi : Congé paternité : laissez-les pouponner

Cette demande sociétale fait donc son chemin, contrairement à ce que Marlène Schiappa, alors secrétaire d’État à l’égalité entre les femmes et les hommes avait pu dire pour justifier de ne pas modifier le congé deuxième parent…
V.D. :
Tout à fait, alors que le secrétaire d’État à l’enfance et aux familles Adrien Taquet était, lui, favorable à un mois obligatoire, alors que Marlène Schiappa voulait bien l'allonger mais sans le rendre obligatoire. Donc on peut tout à fait penser que s’il avait été seul décideur, la réforme aurait été plus ambitieuse.
En ce moment, le gouvernement étudie une hausse de l’indemnisation du congé parental d’éducation [de six à douze mois renouvelables deux fois pour un maximum de 24 mois par parent, il se prend après les congés maternité ou deuxième parent], qui est pour l’heure un échec en termes de parité. Alors qu’en 2017 l’objectif affiché était que 25 % des congés parentaux soient pris par des hommes, cela n’est le cas que de 5 % aujourd’hui. Sauf que l’indemnisation n’est que de 398 euros. Les couples arbitrent, en faisant majoritairement le choix de conserver le salaire le plus élevé, très souvent encore celui de l’homme. Il devient donc urgent de le rendre plus incitatif.

Vous montrez dans votre essai que même des pays comme l’Espagne et le Portugal font mieux que la France en matière de congé deuxième parent. Comment expliquez-vous le retard français ?
V.D. :
L’Espagne et le Portugal ont pris des dispositions sur des arguments économiques. Pour le Portugal, depuis 2009, les pères ont trois semaines, dont deux obligatoires. L’argument économique était que l’inégalité dans ces congés nuisait aux femmes, qui restaient éloignées du travail trop longtemps et avaient des difficultés à revenir sur le marché de l’emploi par la suite. Les mouvements féministes ont réussi à faire prendre la mesure de cette injustice.
En ce qui concerne les raisons du retard français, je dirais que nous avons intériorisé plus qu’ailleurs une division genrée des rôles dans l’organisation du soin. Par exemple, on n’est absolument pas choqué qu’il y ait 98 % de femmes chez les assistantes maternelles et d’ailleurs on n’est pas choqué que ce métier s’appelle comme ça. Ni même que nos enfants soient scolarisés dans des écoles dites maternelles.

Peut-être que nous avons aussi intériorisé un soupçon de pédocriminalité des hommes, qui complique les revendications à les inclure dans ces métiers de l’enfance ?
V.D. :
Effectivement, c’est un thème qui revient régulièrement puisqu’il y a un présupposé plus ou moins tabou et plus ou moins exprimé de la nature prédatrice des hommes. Je pense qu’on touche là à une espèce de paradoxe. À mon sens, il faut donner à voir que ce comportement prédateur n’est pas « la nature », mais est une construction sociale. La pédocriminalité arrive parce que ce sont des hommes qui sont éduqués d’une certaine façon, qui ont un ego problématique, ou encore qui peuvent avoir vécu des violences et les reproduisent.
Nous pouvons résoudre ce problème en arrêtant de dévaloriser ces métiers, c’est-à-dire en considérant que s’occuper des enfants est un métier dont on attend autant de professionnalisme que dans d’autres voies. Plutôt que de convoquer des critères personnels comme une prétendue aptitude féminine à l’empathie envers les enfants, faisons valoir dans nos recrutements des critères professionnels dont nous serions tous capables.

Votre essai est un manifeste pour un congé deuxième parent ambitieux : même durée que le congé maternité, obligatoire, correctement rémunéré et moment de « parentage autonome ». C’est un concept novateur, pouvez-vous l’expliquer ?
V.D. :
J’essayais d’être assez réaliste dans cette revendication-là, en proposant que, durant deux semaines, le deuxième parent s’occupe seul de son enfant, lorsque la mère a repris le travail. Deux semaines, c’est loin d’être suffisant, en Islande par exemple, le parentage autonome est équivalent au temps de la mère passée seule en congé maternité.
Ce parentage autonome est crucial, car il pourrait permettre aux femmes de reprendre le travail de façon plus apaisé, sans avoir à prendre en charge par exemple l’adaptation aux modes de garde. L’enjeu, c’est d’arrêter de réduire le père à une fonction d’aidant. Ce n’est pas normal que dans tous les lieux d’enfance, on commence par appeler la mère quand quelque chose ne va pas.
Avec ce livre, je lance une bouteille à la mer pour envisager des pratiques de partage dans la parentalité.

Une bouteille à la mer pour atteindre les décideur·euses politiques ?
V.D. :
J’aimerais en effet que cette proposition soit entendue par une majorité de partis d’ici à 2022, qu’ils se questionnent sur ce thème et voient dans mon livre une source de réflexion.

Pour ce faire, une partie de votre ouvrage s’intéresse au financement d’un congé deuxième parent paritaire.
V.D. :
Oui, car c’est toujours l’objection première : ça va coûter de l’argent. Bien sûr que cela va coûter de l’argent, c’est normal, quand on a des ambitions. Mais comme je le montre, on peut trouver ces milliards en mettant à plat le quotient familial, par exemple. Ce coût est à mettre en perspective avec les bénéfices sur la santé et le travail des femmes, qui s’en porteraient bien mieux.
Il faudrait aussi faire un travail d’analyse des bénéfices économiques d’une telle mesure, mais pour moi, c’est avant tout une question politique, je ne veux pas qu’on me demande sans arrêt si la mesure est rentable. Et si elle ne l’était pas, ça ferait quoi ? L’égalité n’a pas à être rentable.

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Maternité, paternité, parité, de Violaine Dutrop. Éditions du Faubourg.

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