Si le protocole sanitaire mis en place par l'Éducation nationale dans les écoles est une source de stress pour de nombreux·euses élèves, il est, selon les parents et les associations, particulièrement compliqué pour celles et ceux en situation de handicap.
Justine, 11 ans, a pu retourner dans sa classe de CM1 ce matin après avoir effectué hier un test antigénique, son troisième depuis la rentrée. Ce qui est quasiment devenu une habitude pour les écolier·ères de France ayant un camarade positif·ive dans leur classe reste un véritable parcours du combattant pour la jeune fille et sa maman, Catherine. Car pour Justine, présentant un trouble autistique sévère qui se caractérise par une hypersensibilité tactile, le test de dépistage, qu’il soit naso-pharyngé ou salivaire, est une source d’angoisse et de souffrance. Le tout en étant l’unique et précieux sésame qui lui permet de rester sur les bancs de l’école. Car depuis le 14 janvier, lorsqu’un·e élève est infecté·e dans une classe, tous·tes les autres élèves de moins de 12 ans doivent effectuer trois autotests (délivrés gratuitement en pharmacie sur présentation d’un courrier de l’école) : le jour même, puis deux et quatre jours plus tard.
« Justine ne peut pas non plus faire d'autotest, avec son hypersensibilité, elle ne supporte même pas le contact d'une étiquette sur sa peau donc imaginez un écouvillon dans la narine, raconte Catherine, 46 ans à Causette. On est obligé de la tenir de force, ce n’est vraiment pas un moment agréable ni pour Justine ni pour moi, ça peut vite donner lieu à des crises assez violentes. Une fois on m’a même dit “revenez demain si là c’est trop compliqué” sauf que le handicap de ma fille ne disparaîtra pas dans la nuit ! »
« Les tests à répétition nécessaires pour retourner en classe sont une source d’angoisse très importante pour ces enfants car ils viennent bousculer avec violence leurs habitudes. »
Maude Calvet, psychologue clinicienne qui prend en charge des enfants et adolescent·es autistes
Des témoignages comme celui de Catherine, Maude Calvet, psychologue clinicienne qui prend en charge des enfants et adolescent·es autistes en entend par dizaines depuis l’instauration du protocole sanitaire dans les écoles début janvier. « Les tests à répétition nécessaires pour retourner en classe sont une source d’angoisse très importante pour ces enfants car ils viennent bousculer avec violence leurs habitudes, indique à Causette la psychologue. Je vois beaucoup de parents qui préfèrent alors garder leurs enfants chez eux toute la semaine plutôt que de devoir leur faire subir des tests. Ce qui les empêche évidemment de poursuivre une scolarité normale. »
Un protocole pénalisant
Modifié trois fois depuis son annonce le 3 janvier, le protocole sanitaire mis en place par l’Éducation nationale semble donner le tournis aux parents et aux enseignant·es, si bien qu’il a été l’élément déclencheur de la grève massivement suivie le 13 janvier. « Le protocole est difficile à vivre pour tout le monde mais il pénalise davantage nos enfants, souligne Remy Bellet, père de Louise, 7 ans, atteinte de trisomie 21 scolarisée en grande section de maternelle à Nantes. Parce que justement, il n’existe pas de protocole spécifique pour des enfants qui ont, eux, des besoins très spécifiques. Ce manque d’accompagnement vient rajouter des difficultés, de l’épuisement et des souffrances à des souffrances qui existent déjà. »
Sur le site de l’Éducation nationale où est disponible ledit protocole, il n'est fait aucune mention des enfants en situation de handicap. Il semble donc être le même pour tous·tes les élèves, qu’iels soient en situation de handicap ou non. Ces dernier·ères doivent donc – sauf dérogation médicale – porter le masque et suivre le même dispositif de traçage en cas de cas positif dans la classe. Le ministère n’ayant pas répondu à nos sollicitations, il a donc fallu, pour trouver réponse à nos interrogations, fouiller dans la très longue foire aux questions (FAQ) dédiée au protocole sanitaire en milieu scolaire, publiée sur le site de l’Éducation nationale. Et c’est dans la rubrique « apprentissages et continuité pédagogique », qu’on a trouvé « les modalités d’accueil des élèves à besoins éducatifs particuliers ».
Faire un choix
Les élèves à besoins éducatifs particuliers bénéficient de dispositifs scolaires inclusifs. Iels peuvent par exemple être scolarisé·es dans des Unités localisées pour l’inclusion scolaire (Ulis). Ces dernières permettent la scolarisation d’élèves en situation de handicap au sein d’établissements ordinaires en leur offrant une organisation pédagogique adaptée à leurs besoins. Les élèves en Ulis bénéficient ainsi de temps d’inclusion dans leur niveau de classe ordinaire et participent à la vie collective et sociale de leur école ou de leur collège.
Le ministère indique dans sa FAQ que si ces élèves bénéficiant de dispositifs inclusifs en Ulis doivent « poursuivre leur scolarité comme les autres », iels doivent aussi, afin de « limiter les brassages », suivre tous les enseignements avec le même groupe d’élèves, c’est-à-dire choisir entre rester dans la classe ordinaire ou dans le dispositif Ulis. Après une levée de bouclier des parents d’élèves et des associations, la mesure a été assouplie le 7 janvier dernier. Il est désormais indiqué qu’« au regard des besoins de l’élève, et en lien avec l’équipe chargée de son suivi, le directeur de l’école peut mettre en place une organisation alternant temps en classe et temps dans le dispositif . »
« Pour nous qui nous battons depuis des années pour une école inclusive c’est un véritable retour en arrière. On remet en place des dispositifs ségrégatifs. »
Béatrice Lombart, secrétaire générale de l’association varoise CAP’Ecole qui milite pour l’inclusion scolaire.
« Devoir choisir entre les deux est un véritable non-sens car la classe ordinaire et le dispositif Ulis sont indissociables l’un de l’autre, soutient Béatrice Lombart, secrétaire générale de l’association varoise CAP’Ecole qui milite pour l’inclusion scolaire. Pour nous qui nous battons depuis des années pour une école inclusive, c’est un véritable retour en arrière remettant en place des dispositifs ségrégatifs. »
Car si choix il doit y avoir, il sera – selon la secrétaire générale, également mère d’un garçon de 13 ans – forcément par défaut. « On ne peut pas prétendre faire une école inclusive en laissant les enfants en situation de handicap entre eux car on sait très bien que pour 95 % des familles, le choix se portera vers le dispositif Ulis, l’école ordinaire toute la journée n’étant pas adaptée pour ces élèves », assure-t-elle. Et en ce qui concerne l'assouplissement du 7 janvier, l’association craint désormais « des mises en œuvre très différentes selon les établissements ». « La décision dépend du bon vouloir du chef d’établissement et on sait que si certains sont pro-inclusion, d’autres le sont beaucoup moins », souligne Béatrice Lombart.
Aménagements spécifiques
Pour autant, un même protocole sanitaire pour tous les enfants est, selon Nicolas Eglin, président de la Fédération nationale des associations au service des élèves présentant une situation de handicap (FNASEPSH), une preuve au contraire d’une certaine inclusion. « Je ne pense pas qu’il faille forcément un protocole spécifique, cela irait à l’encontre même d’une logique inclusive, alors que le droit commun est très important, note le président. Si un protocole strict est compréhensible au vu de la propagation de l’épidémie, il doit y avoir des aménagements spécifiques comme le maintien du dispositif Ulis mais surtout une information plus claire et visible donnée par le ministère. »
En termes d’aménagements spécifiques, Catherine, la mère de Justine et Remy, le père de Louise aimeraient notamment la création de créneaux prioritaires pour faire tester et vacciner leurs enfants. « On n'a pas de créneaux spécifiques sur Doctolib, regrette ainsi le père de Louise. L’autre jour, j’ai mis deux heures à trouver des autotests et les temps d'attente en labo sont interminables alors que nous devons déjà jongler entre les rendez-vous médicaux de Louise, nos emplois, les courses, l’entretien de la maison… ce protocole sanitaire c’est une charge mentale supplémentaire. » Une situation qui diffère toutefois selon les territoires. « Certaines régions ont des créneaux prioritaires mais ce n’est pas organisé de façon structuré et systématique », reconnaît Nicolas Eglin.
« Finalement avoir un enfant en situation de handicap dans cette crise sanitaire c’est comme rouler sur une route cabossée, on va évidemment moins vite que les autres. »
Remy Bellet, père de Louise, 7 ans, atteinte de trisomie 21 scolarisée en grande section de maternelle à Nantes.
Le père de Louise dénonce également le cruel manque d’accompagnant·es d'élèves en situation de handicap (AESH) dans les écoles qui, s'il est récurrent depuis des années, se fait plus que jamais sentir en ce moment. « Louise a beaucoup plus manqué l’école que ses camarades, regrette Remy Bellet. Si son AESH est absente à cause du Covid, même si l’école est quand même tenue de l’accueillir, sa maîtresse nous demande si c’est possible de la garder à la maison car Louise a besoin d’une attention particulière. Mais le “si c’est possible” sera finalement toujours au détriment de quelque chose. Finalement, avoir un enfant en situation de handicap dans cette crise sanitaire c’est comme rouler sur une route cabossée, on va évidemment moins vite que les autres. » Pour Remy, Catherine comme pour tant d’autres parents d’enfants en situation de handicap, il semblerait qu’il n’existe pas pour l’heure d’amortisseur social suffisant pour réduire la distance.