En milieu de semaine dernière, certains médias ont fait état d'une hausse de 120 % des signalements concernant les atteintes à la laïcité. Causette a interrogé Marie-Laure Tirelle, spécialisée dans les questions de laïcité au sein du syndicat des enseignants-Unsa, pour tout comprendre à ce chiffre.
Avant l'annonce faite par Gabriel Attal, cette semaine, de vouloir interdire l'abaya à l'école, un chiffre a fait parler de lui et provoqué la prise de parole et de décision du ministre de l'Éducation nationale : l'augmentation de 120% (selon BFMTV, Le Monde et l'Agence France-Presse) ou de 150% (selon Europe 1) des signalements pour atteintes à la laïcité. Que regroupent-elles ? À quoi cette hausse fait-elle vraiment référence ? Faut-il s'en inquiéter ? Causette fait le point avec Marie-Laure Tirelle, spécialisée dans les questions de laïcité au sein du syndicat des enseignants-Unsa.
Que représentent les atteintes à la laïcité ?
En 2018, à la suite d'une demande de Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l'Éducation nationale, « il est décidé que les atteintes à la laïcité soient remontées auprès du gouvernement », explique à Causette Marie-Laure Tirelle, spécialisée dans les questions de laïcité au sein du syndicat des enseignants-Unsa.
Deux outils sont alors utilisés pour chiffrer ces faits. Le premier, une application baptisée Faits établissement, qui permet aux directeur·trices d'école et aux chef·fes d'établissements de faire remonter différents événements graves (violence verbale, physique…), intègre un module concernant la laïcité. Le deuxième est un formulaire en ligne à destination de l'ensemble des personnel·les de l'Éducation nationale, pour que ces dernièr·es puissent alerter en cas de problèmes en ce sens. Dans les deux cas, il faut alors remplir qui est la personne à l'origine de l'atteinte (un·e élève, ses parents…) et le type de l'atteinte en question. Cela correspond au port de tenues ou de signes religieu·ses, au refus d'activité scolaire, aux revendications communautaires, à la contestation d'enseignement, à la suspicion de prosélytisme, au refus des valeurs républicaines et aux provocations verbales.
Ces données étaient ensuite collectées et regroupées de manière trimestrielle. Mais depuis la rentrée 2022, dans un souci de transparence et d'affinage, elles sont synthétisées tous les mois et publiées sur le site du ministère de l'Éducation nationale.
À quoi correspond la hausse de 120 ou 150% des atteintes ?
Le dernier bilan concernant les atteintes à la laïcité date de mai 2023 sur le site du gouvernement. En tout, 438 signalements ont été recensés ce mois-là dans les 59.260 écoles et établissements du second degré en France. Deux synthèses trimestrielles sont également données pour l'année scolaire 2022–2023 : il y a eu 1386 faits signalés au premier trimestre et 1432 au deuxième.
Certains médias ont cependant eu accès à une note gouvernementale plus récente avec des chiffres actualisés portant sur l'ensemble de l'année : 4710 signalements, toutes catégories confondues, ont été effectués en 2022–2023, contre 2167 en 2021–2022. Une hausse de 117,3%, donc, entre les deux années scolaires. Une donnée proche de la hausse arrondie de 120% avancée par BFMTV, Le Monde et l'AFP. La majorité des faits remontés correspondent au port de signes et tenues, s'accordent en revanche tous les médias. BFMTV note une hausse de 150% pour ces atteintes spécifiques sur l'année 2022–2023.
Contacté par Causette, le ministère de l'Éducation nationale indique ne pas avoir ces chiffres actualisés et nous renvoie vers ceux publiés sur son site, datant donc de mai. Marie-Laure Tirelle affirme que son syndicat n'a pas non plus eu accès à ces récentes données.
Faut-il s'inquiéter de cette hausse ?
Le passage de 2167 signalements d'atteintes à la laïcité en 2021–2022 à 4710 en 2022–2023 peut sembler inquiétant. Il faut cependant le ramener au nombre d'établissements concernés : 150 sur les 59.260 écoles et établissements du second degré françai·es. « C'est inquiétant parce qu'on voit qu'il y a une augmentation. Il ne faudrait pas que ça prenne encore plus d'ampleur. Pour autant, effectivement, il faut relativiser quand on sait que cela concerne 150 établissements publics sur toute la France », abonde Marie-Laure Tirelle du syndicat des enseignants-Unsa.
En outre, depuis l'assassinat de Samuel Paty, le 16 octobre 2020, une formation continue des enseignant·es sur la laïcité a été mise en place. « La formation leur permet d'être mieux formés, d'être plus au clair sur les atteintes et plus précis sur la nature des faits, explique la spécialiste des questions de laïcité. Cela peut expliquer l'augmentation des signalements : en étant plus formés, les personnels de l'Éducation nationale vont plus facilement identifier certains actes, alors qu'ils pouvaient sembler ne pas porter atteinte à la laïcité auparavant. »
Au-delà de simplement commenter cette hausse des atteintes, qui n'est pas à négliger, Marie-Laure Tirelle demande surtout à essayer de la « comprendre » : « Pourquoi les jeunes ont-ils tendance à vouloir défier ce principe de laïcité et les valeurs de la République ? C'est ce qui nous interroge. Il n'y a que 150 établissements concernés, mais pour ne pas que ça s'étende, il faut que le profil de ces lieux soit analysé. »