Transhumanistes : méga­los devant l’éternel

Chaque mois, un cher­cheur, une cher­cheuse, nous raconte sa thèse sans jar­gon­ner. Salomé Bour, doc­teure en phi­lo­so­phie, a consa­cré sa thèse aux trans­hu­ma­nistes1. Des hommes et des femmes persuadé·es que les tech­nos­ciences leur offri­ront une vie éter­nelle et sans souffrance.

vieEternelle A
© Placide Babillon pour Causette

Causette : À quoi res­sem­ble­rait une socié­té trans­hu­ma­niste ?
Salomé Bour :
Dans sa Lettre d’utopie, le phi­lo­sophe Nick Bostrom décrit le futur de l’humanité si le pro­jet trans­hu­ma­niste venait à se concré­ti­ser. Il ima­gine des êtres qui auraient accom­pli trois trans­for­ma­tions. D’abord, ils ne seraient plus à la mer­ci de la mort et des mala­dies, et vivraient indé­fi­ni­ment. Ils ne subi­raient plus, non plus, la domi­na­tion des ins­tincts ou des réac­tions « pri­maires » et néga­tives : ils auraient réus­si à ampli­fier leurs émo­tions et à aug­men­ter leur intel­li­gence. Enfin, ils ne souf­fri­raient plus. Ils se seraient éle­vés à un état de bien-​être abso­lu qui dépasse l’imagination. Les trans­hu­ma­nistes voient l’existence comme la pos­si­bi­li­té infi­nie d’expériences. Ainsi, la mort doit être ban­nie. Pour eux, il ne doit pas y avoir de limites au pro­grès de l’humain et à son amé­lio­ra­tion. Ils ont choi­si de se rebel­ler contre la condi­tion humaine.

D’où vient cette phi­lo­so­phie ?
S. B. :
Elle est née à la fin des années 1980 en Californie, dans la tête de Max More. Ce qui motive ce phi­lo­sophe bri­tan­nique, c’est à la fois une cer­taine frus­tra­tion et un très grand opti­misme. Selon lui, les tech­nos­ciences contiennent en elles un réel poten­tiel pour l’espèce humaine, mais les men­ta­li­tés, qui portent un regard défai­tiste sur l’avenir, freinent ces progrès.

Qu’en est-​il aujourd’hui ? Existe-​t-​il des tech­no­lo­gies qui per­mettent d’« aug­men­ter » l’humain signi­fi­ca­ti­ve­ment ?
S. B. :
Pas vrai­ment. Cependant, de nom­breuses recherches scien­ti­fiques portent sur la pro­lon­ga­tion de la vie en bonne san­té et il existe déjà des pro­cé­dés de cryo­pré­ser­va­tion, pro­po­sés notam­ment par Alcor Life Extension, aux États-​Unis. Des per­sonnes choi­sissent aujourd’hui de pré­ser­ver leur corps et/​ou leur cer­veau après leur mort dans des cuves d’azote liquide en atten­dant les pro­grès scien­ti­fiques qui leur offri­raient une seconde vie. Mais ce pro­cé­dé reste tout à fait incertain.

Le pro­jet trans­hu­ma­niste ne relève-​t-​il pas de la science-​fiction ?
S. B. :
Oui, par cer­tains aspects. Il a d’ailleurs été nour­ri par ce genre. Son ambi­tion paraît tout à fait impos­sible à réa­li­ser et n’est peut-​être pas sou­hai­table. Pour autant, des per­sonnes y croient et déploient énor­mé­ment de moyens pour ten­ter de le concré­ti­ser. On peut prendre l’exemple des recherches menées au sein de Calico, une socié­té de bio­tech­no­lo­gies de Google. Son objec­tif prin­ci­pal est de vaincre la mort en com­pre­nant mieux le vieillis­se­ment et les mala­dies qu’il entraîne. De façon plus géné­rale, la volon­té de pro­lon­ger la durée de vie en bonne san­té donne lieu à plu­sieurs recherches scien­ti­fiques, qui n’en sont encore qu’à leurs débuts.

La phi­lo­so­phie trans­hu­ma­niste a‑t-​elle été cap­tée par la Silicon Valley ?
S. B. :
En effet, la Silicon Valley s’est empa­rée de la phi­lo­so­phie trans­hu­ma­niste. Les prin­ci­paux finan­ceurs de recherches d’orientation trans­hu­ma­niste en font par­tie, comme Google ou Facebook, qui s’intéressent notam­ment à l’intelligence arti­fi­cielle. En l’absence de réflexion éthique, les pro­grès réa­li­sés pour­raient être réser­vés à quelques pri­vi­lé­giés. Au vu de la dif­fu­sion plus ou moins avouée des idées trans­hu­ma­nistes dans le monde scien­ti­fique et médi­cal, il paraît impor­tant que des débats soient menés. Tout le monde devrait pou­voir s’emparer des ques­tions sou­le­vées par le pro­jet trans­hu­ma­niste, étant don­né qu’il concerne l’avenir de l’espèce humaine dans son ensemble.

Certains « piratent » déjà leur propre corps : les « bio­ha­ckers trans­hu­ma­nistes ». Qui sont-​ils ?
S. B. :
Comme les trans­hu­ma­nistes, ces adeptes de la modi­fi­ca­tion cor­po­relle que l’on appelle « grin­ders » œuvrent à l’amélioration de l’humain, mais ils se dis­tinguent des fon­da­teurs du mou­ve­ment par leurs expé­ri­men­ta­tions. Les tech­no­lo­gies qu’ils déve­loppent sont sou­vent réa­li­sées de façon arti­sa­nale et les pro­to­coles qu’ils éla­borent sont dif­fu­sés sur des forums. Ils ont mis au point leur propre code éthique pour gui­der leurs pra­tiques. La bio­ha­ckeuse Lepht Anonym, par exemple, prône un trans­hu­ma­nisme « pra­tique », qui consiste à mettre en œuvre le pro­jet trans­hu­ma­niste en pro­cé­dant à des expé­ri­men­ta­tions sur son propre corps pour obte­nir de nou­velles capa­ci­tés. Elle a insé­ré au bout de ses doigts des aimants qui lui per­mettent de res­sen­tir les champs élec­tro­ma­gné­tiques, lui offrant une sorte de sixième sens. Elle a notam­ment été ins­pi­rée par Amal Graafstra, qui s’est ser­vi de puces RFID [Radio Frequency Identification, une tech­no­lo­gie d’identification par radio­fré­quences, ndlr] inté­grées sous la peau pour pou­voir ouvrir et fer­mer des portes (de mai­son ou de voi­ture) sans clés. On peut aus­si pen­ser à Tim Cannon, fon­da­teur de la start-​up de bio­tech­no­lo­gies Grindhouse Wetware, qui s’est implan­té son dis­po­si­tif Circadia 1.0 dans le bras pour pou­voir récu­pé­rer ses propres don­nées bio­mé­di­cales par Internet grâce au Bluetooth.

Où en est le mou­ve­ment aujourd’hui ?
S. B. :
L’optimisme des années 1980 s’est un peu estom­pé. Toutefois, les idées trans­hu­ma­nistes se sont dif­fu­sées à l’échelle inter­na­tio­nale et, depuis une dizaine d’années, on voit les choses évo­luer, en Europe notam­ment où l’on conti­nue à inter­ro­ger le trans­hu­ma­nisme. En France, par exemple, l’accent est mis sur une concep­tion tech­no­pro­gres­siste [idéo­lo­gie qui consi­dère que le déve­lop­pe­ment tech­no­lo­gique favo­rise le pro­grès social s’il est bien enca­dré], sous l’égide de l’association Technoprog, qui pro­meut un « trans­hu­ma­nisme démo­cra­tique », selon ses propres termes. Aujourd’hui, la défi­ni­tion et la concep­tion du trans­hu­ma­nisme donnent lieu à des débats et le mou­ve­ment évolue.

  1. Essai sur ce sujet à paraître aux édi­tions Otrante en 2021. Otrante.fr[]
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