Queen Esie se revendique depuis trois ans comme activiste de la pilosité féminine. À travers son compte Instagram, l'artiste québécoise de 25 ans se bat pour normaliser les poils féminins sur les jambes et les aisselles, mais aussi sur le visage, le ventre et le torse.
Normaliser la pilosité féminine est le credo de Queen Esie aka Esther Calixte-Béa dans la vraie vie. Cette photographe et artiste québécoise a des poils sur le torse, le visage et le ventre depuis qu’elle a 11 ans. Si pendant longtemps, Esther a caché ses poils ou les a retirés pour calquer aux normes sociétales qu’on attendait d’elle, à 25 ans, celle qui se définit aujourd’hui comme une activiste de la pilosité féminine revendique haut et fort sa pilosité abondante.
De ses photos postées sur son compte Insta à la Une du magazine Glamour UK en 2021, la jeune femme a fait depuis trois ans de la cause des poils féminins une lutte collective contre l’injonction faites aux femmes de s’épiler. Pour Causette, Queen Esie revient sur un combat au poil !
Causette : À quel moment vous vous êtes rendu compte que vous étiez plus poilue que les autres femmes ?
Queen Esie : J’étais assez jeune, je devais avoir 11 ans quand j’ai remarqué que j’avais beaucoup plus de poils que les autres filles. Je me souviens qu’à l’époque, j’avais levé mon tee-shirt et mes copines avaient vu les poils sur mon ventre, elles étaient choquées. Et moi aussi, du coup, parce que je venais de me rendre compte que je n’étais pas « normale ». J’ai commencé à m’épiler à cet âge-là. Pendant longtemps, rien que le fait de me voir nue sous la douche me faisait pleurer. J’avais honte, je me disais : « Mais pourquoi Dieu m’a créée comme ça ? ». Je ne m’aimais pas.
Et à quel moment avez-vous eu ce déclic de les assumer ?
Q.E. : Il y a trois ans. Pendant longtemps, j’avais honte et ma pilosité était un grand secret. Personne ne le savait, ni ma famille ni mes amis. Soit, je les épilais soit je les cachais avec des vêtements couvrants, je ne mettais jamais de hauts décolletés ou de crop tops par exemple. Début 2019, je me suis aperçue que plus j’enlevais mes poils, plus ils étaient foncés et épais. En plus de ça, c’était très douloureux, j’avais sans cesse des boutons et des poils incarnés. Pour la première fois de ma vie, j’ai commencé à me questionner sur mon rapport à ma pilosité. Je me suis demandé « Pourquoi en tant que femme, je dois les enlever ? Pourquoi je devrais me raser, avoir mal juste pour être considérée comme belle et désirable par la société ? ». J’ai commencé à travailler sur moi-même. Quelque temps plus tard, mon esthéticienne m’a demandé si je voulais enlever les poils de ma poitrine, j’ai dit oui, mais je ne me sentais plus moi-même. C’est là que j’ai réalisé que mes poils faisaient partie de moi.
« Avant la colonisation française, les poils féminins étaient vus comme quelque chose de très beau en Côte d'Ivoire »
Vous avez aussi découvert que cette pilosité était présente depuis très longtemps dans votre famille.
Q.E. : Exactement. Je l’ai découvert en 2020 lorsque ma tante paternelle ivoirienne, qui a vu mon compte Instagram, m’a contactée pour me dire que les femmes du côté de mon père sont aussi très poilues. J'ai appris que ça vient de nos ancêtres et de notre tribu. Cette découverte m’a fait beaucoup de bien. Ça m’a rapprochée de mes origines. Avant la colonisation française, les poils féminins étaient vus comme quelque chose de très beau en Côte d'Ivoire. Ces poils font partie de mon identité culturelle. D’une certaine façon, c’est comme si à travers eux, on pouvait voir mes ancêtres sur moi.
À l’été 2019, vous lancez le projet Lavander sur Instagram.
Q.E. : Oui, je me suis dit « Maintenant que j’assume mes poils, comment je peux en parler autour de moi pour aider d'autres femmes à les assumer ? » J’ai alors eu l’idée de coudre une longue robe couleur lavande avec deux côtés, l’un, décolleté, montrait mes poils, l’autre les cachait. Et je me suis prise en photo. C’était un projet d’auto-photographie, mais aussi d’auto-libération. J’ai ensuite posté ces clichés de moi sur mon compte Instagram. À travers ce projet, je voulais parler du grand tabou de la pilosité féminine.
« Je rêvais de voir cette représentativité, mais je n’aurais jamais pensé que ce serait moi qui ouvrirais la voie »
Est-ce que votre pilosité conditionne vos relations avec les autres ?
Q.E. : Avant 2019, oui. Je faisais toujours attention qu’on ne voit pas mes poils. Si mes amis m’invitaient à la mer ou à la piscine, je disais toujours non. Je ne voulais pas me raser, car c’était trop long et trop douloureux donc je préférais ne pas sortir. Aujourd'hui, tout se passe bien. Dans mes relations amoureuses, par contre, ça s’est toujours bien passé. Je cachais mes poils au début, mais au bout d’un moment, je le disais à la personne avec qui j’étais. La plupart des mecs avec qui je suis sortie m’ont dit genre « Ok, ça ne me dérange pas ». Ça n’a jamais été un sujet dans l’intimité.
En janvier 2021, vous faites la Une de Glamour UK avec dix femmes choisies par le magazine pour célébrer la diversité corporelle. Comment l’avez-vous vécu ?
Q.E. : C’était une très grande fierté. La représentation de la diversité, c’est tellement important. Si j’avais vu ça quand j’étais petite, je n’aurais sûrement pas autant détesté mes poils. Je rêvais de voir cette représentativité, mais je n’aurais jamais pensé que ce serait moi qui ouvrirais la voie. Je suis heureuse d’avoir pu contribuer à cette représentativité pour d’autres petites filles. Faire cette Une, ça a guéri une partie de moi, ça m’a réconciliée avec la petite fille qui se détestait.
En avril 2022, Lourdes Leon (la fille de Madonna) affiche ses aisselles poilues dans une campagne publicitaire de Calvin Klein. En mars 2021, ce sont celles de la modèle et danseuse de pole dance Leila Davis que l'on voit dans la collab’ Adidas x Stella McCartney. Que pensez-vous de ce genre d’initiatives ?
Q.E. : C’est très bien, mais j’ai hâte que ces initiatives ne soient plus des événements. Ça devrait être normal qu’une femme pose poilue comme elle le ferait si elle était épilée. Et nous avons aussi besoin de représentations de poils ailleurs que sous les aisselles ou sur les jambes.
Si les poils féminins sur les jambes et sur les aisselles sont de plus en plus visibles dans l'espace public, on voit en effet beaucoup moins ceux présents sur la poitrine, le ventre ou encore le visage. Les seconds sont-ils encore plus tabous que les premiers ?
Q.E. : Complètement. Il suffit de voir les articles sur le sujet dans les médias. Quand on parle de pilosité féminine, on nous parle des poils sur les jambes et sous les aisselles, mais jamais d'autres poils. Pareil dans la publicité. Comme si dans la catégorie des poils féminins, il existait une sous-catégorie encore moins acceptée, moins normale et encore moins sexy.
« Un jour, un ami m’a dit : "Esther, tu es une activiste de la pilosité féminine !" »
Vous vous revendiquez activiste de la pilosité féminine. Est-ce que laisser ses poils pour une femme est devenu un acte politique ?
Q.E. : Oui, mais au début, je n’avais pas du tout conscience que ça pouvait l’être, d’ailleurs, pour moi, ça ne l’était pas. C’est en recevant beaucoup de messages de femmes elles aussi poilues qui me remerciaient que j’ai réalisé que c’était un acte militant, un acte politique. Un jour, un ami m’a dit « Esther, tu es une activiste de la pilosité féminine ! » Je le constate à chaque fois que je subis les remarques et la colère des gens sur ce sujet. J’ai limite l’impression d’avoir commis un crime en sortant comme ça. C’est tellement ancré dans nos sociétés occidentales – et amplifié par le poids de l’industrie de la beauté – qu’une femme ne doit pas avoir de poils que face à ces normes, tout acte de « rébellion » devient évidemment politique.
Vous subissez des remarques et de la colère. Est-ce qu’il est encore difficile de sortir dans l’espace public ?
Q.E. : Ça l'était surtout au début. J'étais obligée de me lancer des défis pour sortir. Ce n’était pas dur de sortir physiquement, car je mettais enfin les vêtements que je voulais, mais mentalement, même si j’assumais mes poils, c’était très compliqué de sauter le pas. J’entendais des remarques pas toujours sympas sur mon passage. Et je les entends toujours, mais je m’aime comme je suis et j’ai appris à me foutre du regard des autres sur moi. Je me mets aussi à leur place. C’est normal que les gens me regardent : une femme avec des poils sur la poitrine ou sur le ventre ce n’est pas courant. Moi aussi, j’aurais sûrement regardé. Ça me pousse encore plus à normaliser le fait d’avoir des poils et de les montrer : plus il y a aura de filles poilues dans l’espace public, plus ce sera accepté par la société.
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