L’Observatoire des images, en collaboration avec l’activiste Corpscool, publie, ce vendredi 31 mars, une synthèse sur la représentation des corps gros à l’écran. Verdict : il y a encore du boulot.
Malgré une représentation croissante de la diversité des corps à l'écran, celle des corps gros reste rare, et lorsqu’elle existe, elle est bien souvent mal faite. C’est le constat établi par l’Observatoire des images (ODI)- organe associatif qui s'intéresse aux problématiques de représentations dans le cinéma, l’audiovisuel, les jeux-vidéos et les publicités. Avec l’activiste Corpscools, qui lutte sur les réseaux sociaux pour une meilleure représentation des personnes grosses, l'ODI publie ce vendredi une synthèse sur la grossophobie à l’écran. « Les représentations des personnes grosses sont bien loin des réalités », souligne d’emblée le rapport intitulé « Moi, gros et pas méchant : la fatigue des fat clichés », que Causette a pu consulter en exclusivité.
Premier point : la mise en scène de clichés grossophobes se joue dès l’enfance. Selon la synthèse, « la stigmatisation des personnes grosses est déjà présente dans les films et dessins animés destinés à la jeunesse » avec l’idée que la grosseur des personnages est associée à leur méchanceté. L’Observatoire des images et Corpscools en veulent pour preuve le personnage d’Agatha Trunchbull, l’affreuse directrice d’école acariâtre qui torture les élèves dans Mathilda (1996), l’adaptation cinématographique du roman de Roald Dahl. Ou encore celui d'Ursula, monstre tentaculaire des fonds marins, qui tente de prendre la place d’Ariel afin d’ensorceler le prince dans le dessin animé La petite Sirène (1989). « Tous ces personnages gros sont déshumanisés, observe l’activiste. Les personnages gros dans les films, s’ils existent, font figure de repoussoir. »
Rôle de « faire-valoir »
À l’adolescence, les personnes grosses prennent un rôle de « faire-valoir » à l’écran. « Un personnage secondaire et drôle qui attire la sympathie mais est présenté comme lent, étourdi et réduit à son poids », souligne la synthèse. Selon cette dernière, c'est dans les teen movies que se jouerait d’ailleurs l’un des messages récurents de la grossophobie : l’hypersexualisation des femmes grosses. Il serait souvent fait un « un parallèle entre leur présupposé appétit et leur appétit sexuel ». À l’image du personnage de Patricia dans la trilogie de films Pitch Perfect (2013 – 2017). Sympa et rigolote, elle se présente aux autres sous le pseudo « Amy la baleine » en raison de sa corpulence. Un peu pataude, elle a du mal à séduire des garçons. Une catégorie de rôle stigmatisante dont les acteur·rices grosses peinent d’ailleurs à sortir. « J’ai été cataloguée en jouant le rôle de la bonne copine grosse et drôle », a ainsi déclaré l’actrice Rebel Wilson qui a incarné Amy dans Pitch Perfect, en février dernier dans le podcast américain Call Her Daddy.
Sa grosseur faisait d’ailleurs pleinement partie du script. Rebel Wilson a révélé qu’une clause de son contrat lui interdisait, en effet, de perdre du poids. Mais, souvent, les acteur·rices gros·ses sont tout simplement invisibilisé·es. Ce sont des acteur·trices minces qui incarnent des personnages gros·ses à l’écran en portant ce qu’on appelle un « Fatsuit », en clair un costume de gros. C’est le cas de l’actrice Sarah Paulson qui a endossé le rôle de Linda Tripp dans la série Impeachment : American Crime Story en 2021. Elle a dû prendre treize kilos et porter du rembourrage pour le rôle.
Mettre en scène la perte de poids sur petit écran
Selon l’Observatoire des images, la grossophobie prend également ses aises sur le petit écran, et ce, de manière violente dans des émissions axées sur la perte de poids des participant·es. Ce genre de programmes pullule surtout aux États-Unis, mais existe aussi en France. Citons l’émission Opération renaissance diffusée, en janvier 2021, sur M6, par exemple, dans laquelle la caméra suit pendant trois ans, dix personnes dans leur parcours de chirurgie bariatrique. On vous en avait parlé dès 2018, horrifiées par la lecture du scénario grossophobe de l’émission. « Cette émission résulte de la croyance médicale et collective qu'un corps gros ne peut être heureux et encore moins sain, qu'il est forcément presque mort et qu'il aurait besoin de "renaître"», dénonçait Corpscools dans Vice en 2021 après la diffusion de l'émission. Dans ce type de programmes, « les personnes grosses sont réduites à leur poids et leur quotidien est mis en scène dans l’objectif de dégoûter le public, de le rassurer dans le culte de la minceur et d’ancrer l’idée que la grosseur est forcément pathologique », soutient l'ODI dans sa synthèse.
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Cette dernière pointe tout de même quelques œuvres audiovisuelles faisant preuve d’une réelle inclusivité et de nouvelles représentations. C’est le cas du documentaire La grosse vie de Marie, réalisé en 2020 par la journaliste, autrice de bande-dessinée et réalisatrice Marie de Brauer. Elle y aborde l’impact de la grossophobie dans de multiples pans de sa vie : l’amitié, la sexualité, le monde professionnel ou encore le corps médical. L’Observatoire des images cite également d’autres fictions dans lesquelles les personnages gros·ses ne sont pas réduits à des rôles secondaires ou des stéréotypes, comme le film Dumplin (2017) où l’héroïne, une ado participe à un concours de beauté. « L’axe narratif n’est pas centré sur sa corpulence, sans omettre non plus les difficultés qu’elle peut avoir à s’accepter », salue Corpscools.
À l’image de Dumplin, il convient, pour lutter efficacement contre la grossophobie sur petit et grand écran, de « représenter les personnes grosses au même titre que tous les personnages, sans oublier la réalité de leurs discriminations ni les y réduire », conclut la synthèse de l’Observatoire. C’est de cette façon que l’on pourra créer de nouveaux modèles auxquels s’identifier.