Le 15 octobre, c’est la Journée mondiale de sensibilisation au deuil périnatal. Le documentaire d’Anaïs Feuillette et Sophie de Chivré, Le Berceau vide, diffusé sur la plateforme FranceTV, se concentre sur les interruptions de grossesse pratiquées pour des raisons médicales, sujet encore tabou.
On connaît l’interruption volontaire de grossesse (IVG), mais on connaît moins l’IMG, interruption médicale de grossesse, pourtant les deux datent de la loi Veil de 1975 : la seconde est autorisée jusqu’au terme, dans certaines conditions. “L’IMG, c’est la face cachée de la loi Veil,” résume la coréalisatrice du film, Sophie de Chivré. Lorsqu’une malformation est détectée, lorsque le bébé ne survivra pas à la naissance, les parents peuvent ainsi décider, après validation par un conseil de médecins, d’interrompre la vie du fœtus. On en dénombre environ sept mille par an, en France.
Les deux réalisatrices de ce documentaire en ont fait l’expérience douloureuse et se sont associées après que l’une d’elles, la journaliste Sophie de Chivré, a lancé son podcast sur le deuil périnatal, Au-revoir en 2020. Elle se souvient : “Mon IMG a eu lieu fin 2017, c’était ma première grossesse. Après, j’ai été de nouveau enceinte et j’ai eu des jumelles.” Face au peu de témoignages et de ressources disponibles sur le sujet, les deux femmes décident de créer “le docu qu’elles auraient aimé voir à l’époque”. Il rassemble des témoignages de parents concernés et de soignant·es de l’hôpital de Colombes (Hauts-de-Seine), ainsi que de la pédopsychiatre Marie-José Soubieux, autrice de l’ouvrage de référence sur le sujet, Le Berceau vide, qui donne son nom au documentaire. “On voulait donner la parole à des personnes qui ont vécu des histoires horribles, vu de l’extérieur, mais montrer que ces personnes sont toujours debout et donner espoir. Car avec un bon accompagnement, il peut y avoir de beaux souvenirs autour de tout ça,” détaille Sophie de Chivré.
“Mourir avant de naître”
Une spécialiste évoque dans le documentaire ce “deuil singulier” : “on peut mourir avant de naître et c’est impensable”. Car une fois passé le choc du diagnostic et de l’impossible prise de décision, de nombreuses questions se posent aux parents : comment faire ses adieux ? Que faire du corps ? Faut-il le voir ou pas ? Encore plus tabou que les fausses couches ou arrêts naturels de grossesse, l’IMG confronte les parents au regard suspicieux de la société : “L’avortement thérapeutique est une décision que l’on prend à un moment mais qui reste impensable, car la grossesse était désirée. La décision de l’interrompre est un tabou ultime.” Les parents concernés sont souvent nombreux·euses à dissimuler pudiquement la réalité : “J’ai perdu mon bébé”, sans plus de détails. “Il y a la peur de s’exposer au jugement des autres. Or, malgré les fantasmes, l’IMG n’est pas du validisme, de l’eugénisme ou un infanticide.”
Les femmes ayant subi une IMG accouchent aujourd’hui à l’hôpital, après avoir été longtemps endormies et empêchées de voir le corps de leur enfant décédé. “C’est une question taboue depuis des générations, avance Sophie de Chivré. Dès qu’il y a eu une prise en charge dans les hôpitaux, il y a eu une invisibilisation de ce qui se passait. Jusque dans les années 1990, il ne fallait pas en parler, les femmes étaient endormies, elles ne savaient pas ce qu’était devenu leur enfant. La médecine décidait pour les femmes. Aujourd’hui, les prises en charge se sont adaptées.”
Si les parents endeuillés sont accompagnés à l’hôpital, le retour à la maison peut être encore plus traumatisant. “Cela touche le couple, mais ça se passe surtout dans le corps des femmes, précise-t-elle. Il y a une dimension corporelle très spécifique dans ce deuil : on passe de future mère avec un gros ventre à un ventre vide. Socialement, on a l’impression de ne plus exister et les gens ne savent plus comment s’adresser à nous. On se retrouve en post-partum sans comprendre ce qui se passe.”
Le Berceau vide, d’Anaïs Feuillette et Sophie de Chivré, en replay sur France.tv jusqu’au 16 novembre.