Violences sexuelles : renaître par l'haptonomie

Connue dans le domaine périnatal, l’haptonomie peut s’avérer extrêmement utile dans un tout autre contexte : l’accompagnement de victimes de violences sexuelles. Soignantes et patientes racontent en quoi cette thérapie du toucher peut être révolutionnaire.

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©Marie Boiseau

Avant, Rachel, quadragénaire du sud de la France, était « fermée comme une huître ». Brutale. « Pour me coiffer, je tirais sur mes cheveux comme une bourrine. » Elle avait des « problèmes de dos et des crises d’angoisse ». Avec son mari, il lui arrivait d’avoir des orgasmes, mais « il y avait un côté rapide » et la plupart de ses gestes la « braquaient ». Pas besoin de tergiverser pour comprendre la cause de ces blocages. Un inceste, subi à « 9-10 ans », suivi de « viols répétés » au collège. Il a fallu, après quinze ans de thérapie, qu’une psy lui suggère l’haptonomie, il y a six mois, pour qu’elle « retrouve » ses « vrais ressentis » et se sente « dix fois mieux » dans son corps. Depuis, « pour la première fois » de sa vie, elle prend soin d’elle, « met de la crème ». Plus de douleurs ni de panique. « Sexuellement parlant, je découvre mon mari après seize ans. C’est juste énorme. »

Aglaé *, 54 ans, elle, « fonctionnait comme un robot ». Elle n’avait que « très peu de sensations ». Allongée sur le matelas de son haptothérapeute, au départ, elle était « incapable de décrire le contact entre [son] corps et le matelas ». Un symp- tôme classique de la dissociation, ce mécanisme de défense propre à de nombreuses victimes de violences sexuelles, par lequel le corps se coupe des émotions. Plus jeune, Aglaé a elle aussi subi plusieurs agressions. La dernière : un viol, à 18 ans. Elle a fait une tentative de suicide. C’est une ostéo qui lui a suggéré l’hapto, il y a trois ans. Une révolution, qui l’a « sauvée ». Elle n’a « toujours pas d’intimité » (de vie sexuelle), mais désormais, elle découvre le « plaisir » de faire des « petites choses ». La cuisine, des promenades, du rangement.

L’haptonomie est surtout connue dans le domaine périnatal. Avec une sage-femme, un·e kiné ou un·e psy, il s’agit d’apprendre aux parents à toucher (en grec, haptein) le ventre de la femme enceinte pour interagir avec le bébé, grâce à des techniques de contact spécifiques. La discipline a été inventée par le médecin néerlandais Frans Veldman en 1963. Il développe l’haptonomie à partir de patient·es face à des enjeux physiques (après une chirurgie, en géria- trie, etc.). On la décline aujourd’hui en trois branches : le périnatal, l’haptosynésie (dans la rééducation médicale) et l’haptopsychothérapie . C’est dans ce dernier domaine que les thérapeutes se sont rendu compte de la pertinence de l’haptonomie pour les victimes de violences sexuelles. Un peu comme l’hypnose, elle peut être exercée par un·e psy- chologue, un·e psychiatre spécialisé·e ou une sage-femme.

Rééducation sensorielle

L’une des principales techniques est le modelage. Imaginez- vous en sous-vêtements, comme chez le médecin. Avec votre accord, sa main, chaude, se pose sur votre cuisse droite, puis circule en bas de la jambe, enveloppe votre cheville, réchauffe vos orteils. Ce n’est ni un massage ni une caresse. « C’est un toucher bienveillant qui ne laisse pas de place au quiproquo, explique Rachel. Au début, je m’écartais. Peu à peu, la confiance s’est installée. Être touchée sans qu’il n’y ait aucun enjeu sexuel, ça fait un bien fou. » Pendant l’exercice, on demande aux patient·es « d’intégrer » – c’est-à-dire d’accueillir pleinement – le ou la professionnel·le.

L’objectif est de réapprendre au corps quel chemin il peut emprunter pour se sentir en sécurité en soi et avec autrui. La médecin Catherine Dolto (fille de) est LA porte-voix de la discipline en France. Elle explique. « Autour de nos neurones, il existe des protéines – les histones – qui sont modifiées par des réactions chimiques en fonction de ce que nous vivons. Ce qui transforme ensuite l’expression de nos gènes. » En cas de violence, « quand les tissus sont meurtris – surtout dans une zone très importante affectivement –, cela change durablement le tonus des tissus – ils sont tendus, crispés – et affecte le sentiment de soi. Ce qu’ap- porte l’haptonomie, c’est qu’elle restaure la détente des tissus à échelle locale, ce qui diffuse des messages de pacification à tout le reste de la personne ».

Une fois le sentiment de sécurité établi, on demande aux patient·es de décrire avec précision leurs ressentis physiques. Au début, « je parlais avec mon cerveau », se souvient Rachel. Mais au fil du modelage, « ça commence à venir, je réalise que ma peau se tend, que j’ai des frissons. Le chaud du matelas, le froid de l’air ». La reconnexion avec les sensations opère. Cette « complétude », explique Catherine Dolto, « les gens la ressentent quelques minutes, ensuite une journée, et après, ça s’installe ».

Affirmer ses limites

Le retour des sensations amène un autre chantier. Celui qui consiste à les accueillir sans être submergé·e de stress, grâce à d’autres exercices. « Parfois, lors de modelages, les sensations de ma dernière agression revenaient à moi. J’étais tétanisée. Je me repliais en position de fœtus sur la table. Mon haptonome m’enveloppait alors de ses mains. Et je me sentais sécurisée. Ça m’a appris qu’il est possible de laisser venir ces sensations diffi- ciles et de les traverser sans rester figée. » Le cadre de l’hapto- psychothérapie – où l’on n’est pas seul·e pour affronter le ressenti qu’on bloque depuis des années – permet de faire constater aux victimes qu’elles sont capables de digérer la terreur et de l’évacuer. « Libre ensuite à chaque praticien d’adapter ces différentes mises en pratique ou d’en inventer », poursuit Catherine Dolto. Celui de Rachel lui a demandé qu’elle le prenne dans ses bras, jusqu’à ce qu’elle réalise, après plusieurs séances, que ça la gênait. « Ça m’a appris comment affirmer mes limites. »

Plusieurs haptopsychothérapeutes nous ont confié avoir conscience de la méfiance que peut inspirer leur discipline. Mais les résultats prometteurs poussent les soignant·es à orienter les survivant·es vers l’hapto quoi qu’il en soit. Célina Deliens-Varrel est psychologue et haptopsychothé- rapeute à Annecy (Haute-Savoie). Elle estime que « dans 70 % des cas, les personnes qu’[elle] voit hors périnatal ont connu des violences sexuelles ou s’en rappellent en cours de thérapie ». Chaque fois, elle les voit renaître. « Quand je suis en contact avec une femme dans ce cas, au début, c’est comme si j’avais juste un corps sous mes mains. » Peu à peu, s’émeut- elle, elle les voit se « réunir ». « À la fin, sous mes mains, j’ai véritablement quelqu’un. »

* Le prénom a été modifié.

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