Surfant sur l'absence de réponses médicales efficaces contre l'endométriose, des gourous du crudivorisme proposent des cures de jeûne, de purge et de jus de légumes pour « soigner » l'endométriose. Des pratiques scientifiquement contestables et dangereuses pour l'organisme.
Ils vendent des extracteurs de jus, des plannings de purge intestinale et sont depuis quelques années dans le radar de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). Dans un contexte de pandémie de Covid-19 où de plus en plus de personnes doutent de la médecine conventionnelle, les chantres des thérapies alternatives et auto-proclamés experts en mieux-être ont un boulevard pour toucher des patient·es déboussolé·es. Et puisque ces gourous promettent d'éloigner le cancer ou de guérir de l'autisme, alors, forcément, l'endométriose est une pathologie qu'ils estiment dans leurs cordes.
En quelques jours, deux médias se sont emparés des thérapies par l'alimentation proposées aux femmes atteintes d'endométriose. Fin juillet, France 5 diffusait l'épisode Fakenews sur ordonnance de sa série La Fabrique du mensonge. Dans la deuxième partie de l'émission, consacrée au gourou du crudivorisme et YouTubeur Thierry Casasnovas, Constance raconte comment elle s'est décharnée et a perdu pied après avoir suivi pendant deux ans les préceptes de Casasnovas pour soigner un insoutenable mal de ventre lié à son endométriose. Au menu : du jeune, des jus de légumes, beaucoup de fruits et basta così. « Je suis [à ce moment-là] boulimique de vidéos, parce que je veux absolument me soigner, rembobine la jeune fille au micro de France 5. […] Vu qu'il est seul face à la caméra et nous seuls face à nos symptômes et à notre écran, il devient notre sauveur. » Après une tentative de suicide due à la dégradation de son état, Constance finira par s'extraire de l'emprise du crudivore contre lequel ont été émis plus de 600 signalements à la Miviludes depuis 2016 et qui fait actuellement l'objet d'une enquête judiciaire.
Huile de ricin et arrêt des traitements conventionnels
Début août, c'est au tour du Parisien de s'intéresser à un autre faiseur de miracles, un certain Jérôme qui se présente comme ancien diététicien de sportif·ves et désormais naturopathe. Le journaliste Florian Loisy s'est fait passer auprès de lui pour une femme souffrant d'endométriose épuisée par ses douleurs digestives. La thérapie proposée pour « soigner » autant l'endométriose que l'autisme ou la dépression et « soulager face au cancer » ? Des fruits et des légumes crus agrémentés de régulières purges de l'organisme à l'huile de ricin, celle-là même censée faire des merveilles sur vos chevelures. « Purge, purge, purge, ça finira par devenir un plaisir », promet-il à ses adeptes démotivées par le fait d'aller trop souvent aux toilettes. Comme Thierry Casasnovas, le naturopathe Jérôme abhorre les aliments cuits. Et surtout, il préconise d'arrêter le Doliprane et la progestérone, traitements prescrits à certaines patientes pour diminuer la douleur et bloquer les règles, faute de mieux. Quelles conséquences pour ces femmes, que d'arrêter un traitement prescrit par un·e professionnel·le de santé ? Suite à une conversation avec le journaliste du Parisien infiltré, Jérôme assure quoi qu'il en soit être en mesure de fournir des témoignages de femmes de sa clientèle « débarrassées de l'endométriose » grâce à ses recommandations.
Un discours qui alerte Yasmine Candau, la présidente de l'association de patientes EndoFrance : « Le danger réside dans l'injonction à arrêter les traitements proposés par la médecine conventionnelle pour passer à une thérapie strictement alimentaire et ce alors même qu'aucune étude scientifique n'a jamais prouvé le rôle de l'alimentation dans la guérison d'une maladie, quelle qu'elle soit. » Yasmine Candau précise d'ailleurs à Causette recevoir régulièrement des propositions de collaboration avec EndoFrance de la part de thérapeutes non médicaux (naturopathes, diététicien·nes, sophrologues mais aussi laboratoires qui produisent des compléments alimentaires) qu'elle refuse « lorsque leur approche est de soigner leurs patientes en leur faisant au préalable suspendre leurs prises d'anti-douleur et d'hormones [utilisées pour mettre le cycle menstruel en sommeil et ainsi atténuer la maladie, ndlr]. » Pour Yasmine Candau comme pour Nathalie Clary, présidente pour sa part de l'association EndoMind, tout est une question de mesure : pour certaines femmes, les thérapies complémentaires telles que l'ostéopathie, le sport adapté ou le changement d'hygiène de vie peuvent aider à moins souffrir de l'endométriose, mais elles ne sauraient se substituer aux recommandations médicales.
Errance médicale et automédicamentation
Mais pourquoi donc les gourous de la pseudo médecine par l'alimentation s'engouffrent-ils dans le marché de l'endométriose ? « L'endométriose provoque pour de nombreuses patientes des atteintes digestives, car c'est une maladie au caractère inflammatoire, précise Nathalie Clary, qui, en ce qui la concerne, ne s'est jamais résolue à revoir son régime alimentaire. Des médecins peuvent conseiller de réduire – et non pas proscrire définitivement – la viande rouge et les laitages pour calmer ponctuellement ces irritations. » De là, une extrapolation habile de ces diseurs de mieux-être, qui exigent une totale rigueur dans l'alimentation confinant à l'orthorexie. Le naturopathe épinglé par Le Parisien et Thierry Casasnovas proposent ainsi un régime végétalien, mais encore, sans gluten ! « Le problème, observe Yasmine Candau, c'est que soigner son irritation digestive en ne consommant plus que des aliments richement pourvus en fibre, cela peut engendrer l'effet inverse dans l'organisme. »
En chœur, les deux femmes pointent un contexte spécifique à cette maladie qui favorise la popularité de ces pseudo-guérisseurs : bien qu'elle touche une femme sur dix et malgré la grande mobilisation du tissu associatif pour faire entendre la voix des patientes, l'endométriose demeure l'une des maladies à la plus longue durée d'errance médicale (encore sept ans en moyenne pour être diagnostiquée selon la dernière étude d'EndoFrance, publiée en 2020). « Encore beaucoup trop de médecins ne prennent pas au sérieux l'endométriose et font peu de cas de la parole des malades, soupire Nathalie Clary. Elles sont souvent mieux informées sur la complexité de leurs symptômes que les docteurs auxquels elles s'adressent. » Par ailleurs, pour l'heure, il n'existe pas de traitement pouvant guérir les patientes, mais seulement des traitements pour limiter les effets de l'endométriose. En fait, les charlatans surfent à la fois sur la vulnérabilité des patientes déboussolées et sur les béances de la médecine conventionnelle, dont les traitements palliatifs entraînent parfois de lourds effets secondaires. « Quand on prend 15 cachets par jour, il est parfois difficile de supporter leurs effets secondaires, souligne Yasmine Candau. Alors, on teste d'autres choses, l'autohypnose a ainsi été efficace dans mon cas. Mais on peut en arriver à être désespérées, se dire qu'on n'est pas entendue par son médecin, et donc chercher à se soigner toute seule, en cherchant des solutions sur Internet. »
La "stratégie nationale" sera-t-elle à la hauteur ?
Ces « dérives évidentes » de la médecine parallèle, Nathalie Clary atteste en voir une illustration lorsqu'un laboratoire a fait des pieds et des mains pour faire valoir son complément alimentaire marketté « soulagement de l'endométriose » auprès d'EndoMind. « Le représentant du laboratoire a littéralement harcelé notre ambassadrice, la chanteuse Imany, se souvient-elle. Et lorsque nous lui avons demandé de nous fournir les preuves scientifiques du miracle qu'il avançait, il nous a envoyé des documents tronqués ou peu satisfaisants. »
Face à ces vendeurs de potions magiques et autres pseudo-thérapies, Nathalie Clary et Yasmine Candau répondent par l'urgence de développer la recherche scientifique sur les traitements de l'endométriose. A ce titre, elles attendent de la stratégie nationale de lutte contre la maladie, qui sera dévoilée en septembre par Emmanuel Macron, une politique publique ambitieuse en faveur de la science. Et ici, tout se joue dans le financement.