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© Alexis Brown / Unsplash

Dr Kpote sur l’affaire Godrèche : “Des filles de 14–15 ans, j’en ren­contre presque tous les jours et je mesure leur imma­tu­ri­té dans une vie rela­tion­nelle naissante”

À l’aune des révélations de Judith Godrèche, le Dr Kpote revient pour Causette sur la façon dont il a aborde, avec les ados qu’il voit lors de ses ateliers de prévention sur la vie affective et sexuelle, la notion de consentement.

Je viens de comprendre. Ce truc, le consentement, je ne l’ai jamais donné. Non. Jamais au grand jamais.” Cette révélation de Judith Godrèche, extraite de la lettre à sa fille publiée dans Le Mond, pourrait servir dans mes ateliers de prévention sur la vie affective et sexuelle auprès des ados. L’actrice explique qu’il lui a fallu près de quarante ans pour conscientiser qu’elle avait été abusée. La lecture du Consentement, de Vanessa Springora, livre dans lequel elle dit se noyer page après page, lui a permis d’assembler le puzzle des violences subies.
Les jeunes, accrocs à l’immédiateté, ont logiquement du mal à comprendre ce besoin de temps pour réaliser l’impensable, que le consentement n’est pas toujours identifiable ou bien identifié, qu’il est révocable et qu’il peut être regretté, qu’il a pu être posé en situation de vulnérabilité ou, plus concrètement, que le fait d’accepter une soirée en tête à tête avec un inconnu ou un psychanalyste célèbre ne signifie pas qu’on est prête à se faire peloter ou embrasser.

Des filles de 14-15 ans, j’en rencontre presque tous les jours et je mesure leur immaturité dans une vie relationnelle naissante. Récemment, ma fille a aussi soufflé ses quinze bougies. L’imaginer dans les bras et le lit d’un type de 40 ans… “Jamais au grand jamais.”

En ce moment, j’enchaîne les séances de prévention, me gardant toujours la dernière demi-heure pour évoquer la question désormais incontournable du consentement, au centre de nombreux débats et polémiques juridiques, et ceci jusque dans l’Hémicycle européen. Loin de toute députation, ma contribution sur le sujet se situe surtout dans l’éducation à une relation safe et positive, où l’on s’assure que la parole et le ressenti de chacun·e soient bien pris en compte.

Inentendable sentiment de totale impunité

Or, j’en fais l’expérience presque systématiquement, dès l’annonce du volet “consentement”, beaucoup de mecs décrochent. Ils discutent entre eux, s’écroulent sur leurs tables, sortent leurs téléphones de leurs poches, bayent aux corneilles ou, pire, exhibent un sourire entendu signifiant “ayé, le type ouvre le dossier #MeToo, ça va être notre fête”. Ce sourire me fait penser à celui qu’évoque Benoît Jacquot au Monde, quand il est questionné sur la plainte déposée par Judith Godrèche. “Cela ne m’empêche pas de dormir, cela me fait même plutôt sourire. Je ne me sens pas directement concerné.” Le sentiment de totale impunité, éprouvé par ces types, dépasse l’entendement.

Généralement, quelques individus font référence à la carrière brisée de Benjamin Mendy et à cette présomption d’innocence bafouée par les féministes et les mensonges des “michtos” vénales. Je laisse passer l’orage, stipulant la différence entre “jugé non coupable” et “innocent”. J’essaie de ne pas perdre trop de temps, parce que de toute façon avec eux, autant pisser dans un violon.

Le consentement est une histoire de négociation. Dans une étude, Gaëlle Amsellem-Mainguy et Arthur Vuattoux, de l’Injep*, en rappellent sa triple dimension : une négociation intime (de soi à soi), contractuelle (de soi à l’autre), mais aussi “une négociation collective (de soi aux autres), car lindividu jauge aussi sa décision au regard de normes sociales (société, pairs, morales, politiques, religieuse, communautaire…)”.

La négociation avec soi est un temps d’introspection qu’on s’accorde pour interroger nos limites et nos désirs. Faut-il encore en avoir le temps et la disponibilité psychique. C’est à cet endroit que les phénomènes d’emprise et de domination viennent brouiller notre connexion avec l’intime. Les prédateurs le savent parfaitement. Et quand Jacquot stipule que sa relation avec Godrèche relevait de l’amour, on a du mal à retenir un haut-le-cœur. Du haut de ses 15 ans, cette dernière avait écrit :“Je ne sais pas comment employer les mots du sexe, je dis truquer’ pour faire l’amour’.” Dans mes séances, les jeunes adolescentes d’aujourd’hui traduisent le sexe par “hum hum”, “faire des choses”, ou lâchent un “vous voyez ce que je veux dire, Monsieur” qui s’apparente au “truquer” de Judith. Ce sont des expressions pudiques de gosses gênées face à un adulte et sur un sujet d’adulte… Au sujet de la négociation collective qu’évoquent les deux sociologues de l’Injep, on remarque au regard des archives sur X, que le collectif, décrit par J. Godrèche comme une “forêt masculine”, jouissait par procuration au contact de ces vieux caciques exhibant leur chair fraîche. L’entre-couilles intellectuel se goinfrait de cette jeunesse exhibée et salie sous leurs yeux, sans un poil d’empathie. Voilà pourquoi on prend du plaisir à regarder tous ces hommes tomber, et on se surprend même à chantonner du Brel : “Au suivant, au suivant.”

Lire aussi I La comédienne Judith Godrèche porte plainte pour “viols avec violences sur mineure de moins de 15 ans” contre le cinéaste Benoît Jacquot

  • * Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire.

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