Pour sa toute première série, loufoque et fantasque, Judith Godrèche se met en scène avec pas mal d’autodérision dans le rôle d’une actrice oubliée qui tente de faire son come-back, mais aussi d’exorciser un passé qui ne passe pas. Touchant.
C’est un drôle de cadeau de Noël que nous offre Arte cette année. Une nouvelle série loufoque, en effet, mais également touchante, téméraire, lunaire… assez casse-gueule pour tout dire. Et pour cause ! Icon of French Cinema, de et avec Judith Godrèche, met en scène le double de fiction de l’autrice-réalisatrice, à savoir une actrice française oubliée qui tente de faire son come-back après un long exil à Los Angeles. Un retour improbable au cours duquel rien ne lui sera épargné : ni la comparaison constante avec Juliette Binoche (elles ont démarré leur carrière à la même époque), ni l’humiliation dans un show télé tout pourri (il faut bien gagner sa vie), ni les réflexions blessantes de gens du métier ou d’anonymes dans la rue, ni la confrontation avec sa fille adolescente (à l’âge où elle-même a commencé à travailler).
Et encore… tout cela n’est que la partie émergée de l’iceberg, celle qui amuse, interloque, agace et ravit tout à la fois, s’appuyant sur des personnages farfelus (un patron de chaîne télé déjanté, une agente d’artistes déchaînée) et des comédien·nes savoureux·euses (Laurent Stocker et Liz Kingsman en tête). De fait, même si le show fantasque de Judith Godrèche, quasiment de tous les plans, affiche une face rieuse et privilégie l’art délicat de l’autodérision, il n’en possède pas moins une face obscure, autrement plus grave sinon cachée. Celle qui, cette fois, nous projette à la mi-temps des années 1980 pour nous raconter, par le biais de flash-back, les ravages d’une relation abusive entre un réalisateur célébré de 40 ans et la toute jeune apprentie comédienne de 15 ans qu’elle était alors (interprétée par Alma Struve dans la série).
Autofiction et confrontation
Certes, Judith Godrèche ne cite jamais nommément le cinéaste Benoît Jacquot, mais on ne doute pas un instant de qui elle veut parler, leur liaison bien réelle et pour le moins choquante, étant connue de tout le métier à l’époque (elle s’est exprimée là-dessus dans les médias, pour la toute première fois, en amont de la diffusion de Icon of French Cinema). La vraie surprise, qui serre le cœur, c’est qu’elle choisisse près de quarante ans après d’exorciser ce trauma personnel dans une série en forme d’autofiction (qu’elle a lancée, écrite, réalisée et dans laquelle elle tient le rôle principal…). D’abord pour expliquer ce que cachait son sourire frondeur de Lolita émancipée au moment des faits (une grande vulnérabilité assortie d’une profonde solitude, nous dit-elle), ensuite pour dénoncer la complaisance irresponsable des adultes qui l’entouraient et n’ont pas levé le petit doigt pour la protéger (une scène d’ivresse, poignante, lors d’un dîner réunissant le gratin du cinéma synthétise parfaitement leur indifférence glaçante).
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Personne pour poser des limites : voilà ce qu’elle nous montre… et voilà pourquoi, quelque quarante ans après, on la voit s’inquiéter pour sa propre fille (Tess Barthélémy, très à l’aise dans une version bis d’elle-même), quand elle découvre que cette jeune danseuse de 18 ans s’emballe pour un chorégraphe bien plus âgé. Le jeu de miroirs est touchant. Il est également futé puisqu’il révèle combien, heureusement, les temps semblent avoir changé : merci #MeToo, merci Le Consentement, livre-jalon de Vanessa Springora, et merci Judith (elle fut l’une des premières, rappelons-le, à avoir dénoncé les exactions de Harvey Weinstein en 2017) !
D’ailleurs, la légèreté obstinée de son récit débouche sur une question profonde, bien dans l’air du temps : l’art peut-il tout permettre ? Spoiler 1 : la réponse est non. Spoiler 2 : en dénouant les fils de sa propre histoire, l’ex-“icône du cinéma français” dévoile, en tout cas, qu’elle est devenue l’actrice de sa propre vie. C’est dire si son come-back est gagnant, quoi qu’il en soit.
Icon of French Cinema, de Judith Godrèche. Série de 6 épisodes de 30 min. Sur Arte le jeudi 28 décembre à 20h55 et sur Arte.tv à partir du 21 décembre.