Portée par Nicole Kidman, orchestrée par Lulu Wang, talentueuse cinéaste sino-américaine, cette série de prestige met en scène trois femmes expatriées bouleversées par une tragédie dans le Hongkong tumultueux de 2014. Un récit captivant qui sonde avec finesse les thèmes de l’identité, de la maternité et de la culpabilité.
Certains mots convoquent davantage d’images que d’autres. Il suffit d’entendre “expats”, par exemple, pour se projeter aussitôt dans un univers exotique où de blanches familles privilégiées prennent du bon temps autour d’une belle piscine tandis qu’une pléiade de domestiques s’affairent discrètement alentour. Un cliché qui recouvre une réalité indéniable, certes, mais qui n’en demeure pas moins réducteur. Voilà ce que s’est dit Lulu Wang, la prometteuse réalisatrice de The Farewell (L’Adieu), lorsque Nicole Kidman, big star devant l’Éternel hollywoodien, l’a sollicitée pour adapter en série The Expatriates, le roman de Janice Y. K. Lee. Et voilà pourquoi cette quadra issue du ciné indé a accepté d’être la show-runneuse de cette grosse production. Américaine d’origine chinoise (elle a émigré toute petite), elle sait que le terme générique d’“expat” recouvre bien plus d’histoires et de nuances qu’il en a l’air. Autant dire que son point de vue sur la question bouscule pas mal de nos images toutes faites… pour le meilleur !
Ruptures
Situant l’intrigue à Hongkong en 2014 –, ville cosmopolite, tiraillée entre l’Orient et l’Occident, en proie alors à la “révolution des parapluies” –, Lulu Wang et son staff d’autrices ont choisi de dérouler leurs six épisodes autour de trois héroïnes, déjouant d’emblée nombre de stéréotypes. Première rupture : elles ne sont pas toutes blanches, ni riches, ni mères (un détail qui a son importance)… De fait, Expats explore à la fois le quotidien de Margaret (vibrante Nicole Kidman), une blonde Américaine qui a suivi son cadre supérieur de mari en Chine et s’occupe à temps plein de ses trois enfants (bien aidée par sa gouvernante-nounou-femme à tout faire) ; de Hilary (somptueuse Sarayu Blue), la voisine et amie de Margaret, une brune Américaine issue d’une riche famille hindoue et tout entière dédiée à son job dans l’industrie du luxe ; et de Mercy (touchante Ji-young Yoo), une jeune New-Yorkaise d’origine coréenne qui s’est exilée à Hongkong juste après la fin de ses études pour s’éloigner d’une mère toxique et survit de petits boulots en jobs d’appoint.
Deuxième rupture manifeste par rapport aux sagas dédiées aux vies tellement “enviables” des expatrié·e s : c’est un drame qui va réunir ces trois femmes, d’ores et déjà bousculées par la clameur, en arrière-fond, d’un territoire en plein soulèvement. Une tragédie même, puisque le plus jeune des enfants de Margaret disparaît sans laisser de trace lors d’une balade en famille dans le fameux marché de nuit de Temple Street (Mercy ayant été chargée, à la base, de le surveiller). Que lui est-il arrivé ? Est-il encore à Hongkong ? Est-il encore vivant ? Faut-il rentrer aux États-Unis ou continuer de le chercher en Chine ? Comment survivre, de toute façon, à ce deuil impossible ? Autant de questions qui vont tarauder Margaret, Mercy et même Hilary (indirectement, mais il convient de ne rien divulgâcher…), chacune étant amenée à reconsidérer ses liens, ses projets et sa vie à partir de cet événement traumatique. Un cheminement douloureux, mais émancipateur aussi puisqu’il va leur permettre d’interroger leur rapport à la maternité, à leur famille, à leur identité… pour mieux se réinventer.
À fond la forme
On le voit, l’ambition est de mise dans cette minisérie atypique, aussi bien sur le fond que sur la forme d’ailleurs puisque l’audacieuse Lulu Wang n’hésite pas à chambouler la structure et la narration d’Expats en cours de route. Nous offrant même un véritable coup de théâtre ! Alors que les quatre premiers épisodes durent quelque cinquante minutes chacun et s’attardent sur les tourments croisés de nos trois expatriées en crise, voilà que le cinquième change de durée (1 h 26, l’équivalent d’un long-métrage !) et de point de vue (on bascule sans prévenir du côté des nounous-femmes de ménage-gouvernantes de ces dames). Une autre façon d’envisager le statut d’expatriées pour le coup, car si ces maids jusqu’alors invisibles viennent toutes d’ailleurs elles aussi (des Philippines), elles connaissent mieux l’intimité des familles pour lesquelles elles se dévouent six jours sur sept que celle de leurs propres enfants laissés au pays. Entretenant avec leurs patronnes une relation ambiguë – un mix d’obéissance, de rivalité muette, d’affection et de lucidité –, elles posent donc un autre regard sur leurs privilèges, leurs déboires et leurs peines. Le temps de cet épisode magistralement réalisé, elles donnent ainsi un nouveau souffle, teinté d’humour et d’émotion, à cette série décidément imprévisible et captivante de bout en bout !
![“Expats”, ou les destins croisés de trois Américaines dans le tumulte de la “révolution des parapluies” à Hongkong 2 Capture decran 2024 01 09 a 15.43.17](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2024/01/Capture-decran-2024-01-09-a-15.43.17.png)
Expats, de Lulu Wang. Série de 6 épisodes (de durées variables). à partir du 26 janvier sur Prime Video (à raison de deux épisodes le 26 janvier, puis d’un nouvel épisode par semaine jusqu’au 23 février).