Révélée dès son premier spectacle en 2018, l'humoriste trentenaire remonte sur scène avec Les Autres, une séance de rire collectif qui envoie du lourd... Et une bonne dose de punchlines féministes.
Pour cause d'urgences au travail, on est arrivée en retard d'un bon quart d'heure dans la salle de L'Européen, ce mardi soir à Paris, et elle ne nous a pas loupée. Alors qu'on tente de se faire discrète pour trouver notre siège, elle nous apostrophe en nous demandant si on connait la différence entre « pénis de sang » et « pénis de chair », parce que c'est indispensable à notre compréhension de la suite du spectacle. Pendant qu'elle enchaîne en expliquant préférer les pénis de sang qui triplent de volume sous l'effet d'une érection, on tente de faire bonne figure. On dit qu'on est ravie de l'apprendre et on se maudit secrètement de se faire subir avec ce retard la hantise de tout·e spectateur·rice qui n'a aucun talent particulier pour l'impro : devoir durant des secondes qui paraissent des heures s'improviser sparring partner d'une meuf douée de ses punch(lines). Finalement, cette entrée en matière nous plonge directement au cœur du propos du spectacle. Avec Les Autres, Tania Dutel entend décortiquer les normes sociales de bienséance, les codifications qui nous obligent et notre relation à autrui. « Tout le monde vit pour les autres et moi, ces autres me pourrissent la vie. J'en ai fait un spectacle. »
La grossiereté avec grâce
Pendant une heure donc, Tania Dutel évoque en vrac et avec un franc-parler mordant la pression sociale à devenir mère, la curiosité mal placée à propos d'une relation lesbienne ou encore l'épisode où elle s'est sentie obligée de dire oui à un premier rencard dans les catacombes interdites de la capitale. On retrouve dans la verve et l'expressivité du jeu de scène de la comédienne le talent qu'on avait perçu en 2018 dans son premier spectacle, qui portait son nom. On retrouve aussi - c'est sa marque de fabrique - la même gouaille malicieuse qui manie la grossièreté et les mots crus avec grâce et aplomb. Surtout, on retrouve l'engagement féministe de Tania qui nous avait saisie lorsqu'elle s'était faite connaître.
Cette fois, Tania Dutel raconte entre deux blagues le viol dont elle a été victime de la part d'un humoriste qu'elle présente comme avoir fait carrière aujourd'hui. Avec une assurance combattive, elle décrit l'effet de sidération, la honte et le cheminement pour comprendre que ce n'est pas à la victime de se cacher. Dans le public, soudain, une atmosphère de compassion collective. Le rire reprend lorsque, juste après, Tania Dutel narre l'absolu ridicule du type qui, confronté à ses actes, dira comprendre « parce qu'il s'est fait siffler par des hommes dans le Marais ». Avec Les Autres, Tania Dutel nous montre la voie d'une jeune femme qui s'est réparée par le rire.
Les Autres, de Tania Dutel. À L'Européen (Paris XVII) les mardis 22 et 29 mars puis en tournée dans plusieurs villes.
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