Une colocation féminine un peu particulière, un concours de Miss, et les mots de Constance Debré sur un plateau, voici notre sélection scène 100 % féminine des spectacles qui nous ont marquées ces dernières semaines
Cavalières, d’Isabelle Lafon
Causette est une fidèle du travail de la comédienne et metteuse en scène Isabelle Lafon. Depuis des années, elle peuple les plateaux de théâtre avec ses créations qui font la part belle aux autrices : Duras, Anna Akhmatova, Monique Wittig, Virginia Woolf… Cette fois, c’est son seul texte et sa voix qu’elle fait entendre avec Cavalières, un drôle d’objet scénique qui rassemble quatre comédiennes sur une scène quasiment vide. Ou l’histoire d’une colocation de femmes un peu particulière. Denise est celle qui a passé l’annonce. Un peu revêche, la Denise est entraîneuse de chevaux. Dans cette annonce, elle mentionne trois critères d’élection à la cohabitation : avoir un rapport au cheval, s’occuper de Madeleine, ne pas apporter de meubles. Madeleine est une petite fille handicapée dont Denise s’occupe depuis que sa mère est morte. Trois femmes seront finalement élues. L’une, Jeanne, qui parle trop vite, ne termine pas ses phrases, lit beaucoup et travaille dans un bar ; l’autre Saskia, une Danoise ingénieure dans le ciment qui a tout quitté sans que l’on sache très bien pourquoi, et puis Nora, une éducatrice auprès d’enfants délinquants qui charrie bien des secrets. Le plus grand d’entre eux étant qu’elle n’a strictement aucun rapport avec les chevaux. Le cours de la vie démarre alors dans cette colocation de femmes claudiquantes, toutes un peu escamotées par la vie. Il y a des endroits de tension, des moments de joie, des petits mots échangés pour se dire des choses du quotidien, des conciliabules autour de la prise en charge de Madeleine. Il y a surtout, du vivre ensemble, de la sororité. Une façon, sans que cela ne soit jamais théorisé ni expliqué, de faire famille autrement. Isabelle Lafon, comme souvent, sait produire, sur scène, des condensés d’humanité.
Cavalières, conception et mise en scène d’Isabelle Lafon. Théâtre de la Colline, jusqu’au 5 avril.
Nom, d'après Constance Debré
Alerte performance d’actrice ! Au théâtre du Rond-Point, à Paris, jusqu’au 6 avril, on peut aller découvrir le talent assez saisissant de Victoria Quesnel. Seule sur scène, dirigée par Hugues Jourdain, elle interprète avec une intensité remuante le texte non moins radical de Constance Debré. Ancienne avocate devenue écrivaine, celle-ci s’était fait largement connaître en 2018, avec Play Boy, dans lequel elle racontait comment elle avait tout quitté, son mari, son métier et l’hétérosexualité pour vivre de rien et selon ses codes. Pas mal pour la petite-fille d’un Premier ministre. Dans Nom, paru en 2022, Debré raconte à nouveau le dénuement, le plaisir de la dépossession, de nager tous les jours, de rencontrer des femmes parfois, mais surtout, elle raconte comment elle a accompagné son père dans la mort. Son père, ancien journaliste, qui a cramé la vie par les deux bouts. Son père, en phase terminale dans sa maison froide et vide. Il et elle se parlent peu. Pas leur genre. Mais l’amour résiste, en creux. C’est toute la force de ce texte. Et Victoria Quesnel, qu’on a vue chez les plus grand·es, de Pascal Rambert à Julien Gosselin en passant par Tiphaine Raffier, le porte très haut. Un uppercut autant qu’un coup au cœur.
Nom, d’après Constance Debré, mise en scène d’Hugues Jourdain, avec Victoria Quesnel. Théâtre du Rond-Point, Paris, jusqu’au 6 avril.
Tenir debout, de Suzanne de Baecque
“Je me suis demandé comment numéro 3, numéro 5, numéro 8, numéro 12 vivaient ce moment que nous partagions ensemble. Je ne connaissais même pas leurs prénoms”, raconte au public Suzanne de Baecque, créatrice et interprète de la pièce Tenir debout. Accompagnée sur scène par la chorégraphe Raphaëlle Rousseau, la jeune comédienne joue son passage bien réel par le concours de Miss Poitou-Charentes en 2020. Un spectacle à la fois drôle, violent, jouissif et émouvant, dans lequel Suzanne de Baecque met en scène son expérience au cœur de cette compétition – avec tous les carcans réducteurs et absurdes qu’elle charrie –, mais aussi celle de ses “concurrentes”. La metteuse en scène pose ainsi un regard loin du mépris que cette élection régionale peut inspirer, pour parvenir à livrer le récit tendre et profondément humain d’une jeunesse féminine en quête de réalisation. Parce que “n’est-ce pas finalement se réapproprier son propre corps que de s’exhiber sous les regards ?”.
Tenir debout, conception, mise en scène et interprétation de Suzanne de Baecque. Au théâtre du Rond-Point, à Paris, en automne 2024.