En mai, elle dévoilait son nouveau titre À perte de vue, poignant plaidoyer écolo dont les bénéfices seront reversés au Groupe de recherche et d'éducation sur les mammifères marins. Trois mois plus tôt, Pomme jetait un pavé dans la mare en publiant une lettre ouverte sur les violences sexistes et sexuelles au sein de l’industrie musicale, la veille du grand raout des Victoires de la musique. Entre-temps, Causette l’a rencontrée pour parler musique et militantisme, évidemment.
Causette : Vous avez signé la tribune des Femmes engagées des métiers de la musique (Femm), en 2019. Qu’est-ce qui a changé depuis ?
Pomme : Je ne sais pas si beaucoup de choses ont changé, malheureusement. Peut-être que les gens écoutent un peu plus les victimes et ceux qui ont des choses à dénoncer. Après, il y a un tel retour de bâton quand tu prends la parole sur ces sujets… Quand tu vois comment est traitée Camélia Jordana, juste parce qu’elle pose des faits sur la table [sur les violences policières, ndlr], je ne sais pas si ça a tant changé que ça.
Y a‑t-il un risque, en tant qu’artiste, à dénoncer des discriminations ?
Pomme : Oui, carrément. D’ailleurs quand j’ai publié ma lettre ouverte [sur les violences sexistes et sexuelles au sein de l’industrie musicale], j’ai pris la décision de ne regarder aucun commentaire. Ça m’a pris des semaines d’écrire cette lettre, je l’ai fait relire par différentes personnes. Donc quand je la publie, à un moment symbolique que j’ai choisi – la veille des Victoires –, je ne me sens pas « insecure ». Si je prends la parole sur ces sujets-là – et c’est assez rare –, c’est parce que je me suis renseignée avant. Je n’attends pas que les gens soient d’accord avec moi.
« Je trouve parfois frustrant de voir certains artistes dans des postures de pouvoir ultime et ne rien dire, alors qu’ils auraient la possibilité de faire changer les choses en deux temps, trois mouvements »
Et professionnellement, quel est le risque ?
Pomme : Je pense que ça dépend de ton entourage. En fait, c’est très simple : si tu vends des albums, tu peux dire ce que tu veux. Mais si tu as un projet en développement… C’est hyper trash, mais c’est la réalité. La possibilité de parler est très liée à la place que tu occupes dans cette industrie, à ton pouvoir ou non-pouvoir. Moi, j’ai fait cette lettre parce que je savais que j’étais dans une posture qui me permettait de le faire, sans que mon équipe soit affolée. Mais j’entends à 100 % que des artistes qui galèrent à faire connaître leur projet aient l’impression d’être bâillonnées.
Pour vous, celles et ceux qui sont en haut de l’affiche ont-elles·ils la responsabilité de prendre position sur ces questions ?
Pomme : C’est un questionnement en cours. Il y a des artistes très connus qui n’ont pas du tout envie de parler de ça, et je le respecte à 100 %. Je ne pense pas que ça soit une obligation. Et en même temps, je trouve parfois frustrant de voir certains artistes dans des postures de pouvoir ultime et ne rien dire, alors qu’ils auraient la possibilité de faire changer les choses en deux temps, trois mouvements. On a eu des artistes comme ça, Diam’s par exemple : elle était tout en haut, et ça ne l’empêchait pas de dénoncer le système, le racisme, de parler de drogue, de viol… J’ai l’impression qu’aujourd’hui, cette place-là est vacante.
Ces derniers temps, pourtant, on a vu de plus en plus d’artistes prendre position publiquement contre le sexisme, le racisme ou la grossophobie. Ça vous semble anecdotique ?
Pomme : Non, pas du tout. Mais j’ai l’impression que c’est plus de la survie : ce que dénoncent Yseult ou Camélia Jordana, par exemple, ce sont des choses qu’elles vivent dans leur quotidien, en tant que femmes racisées qui vivent le racisme, et c’est viscéral pour elles d’en parler. Comme c’est viscéral pour moi de parler du sexisme. Mais je n’ai pas non plus envie de politiser mes chansons.
Pourquoi ?
Pomme : Quand j’écris, je suis inspirée par des émotions, par un trop-plein de quelque chose. Écrire une chanson sur l’anxiété, ça m’aide à l’attraper un peu, j’ai besoin de mettre des mots dessus. À l’inverse, écrire une chanson militante, c’est figer quelque chose qui, pour moi, doit être en réflexion permanente. L’écriture, ça reste un espace où je ne suis pas trop intellectuelle, justement. Si je pense trop, je n’arrive pas à écrire.
En 2018, vous disiez avoir eu envie de créer un groupe Facebook avec des professionnelles de la musique, mais la chose vous semblait un peu compliquée. Vous avez tenté de le faire, finalement ?
Pomme : Non, car c’était le début de la prise de conscience des problématiques de sexisme et de violences sexuelles dans la musique, et je me sentais trop jeune, trop petite, pas super légitime pour le faire. Les témoignages de Music Too, puis les prises de parole autour des Victoires de la musique ont fait que, depuis quelques mois, les gens se sont plus parlé, et des petites initiatives se créent, via différents groupes WhatsApp. Mais il y un tel boulot… Ce n’est pas toujours évident à conjuguer avec les vies qu’on a. Et puis on a aussi des expériences différentes et on n’a peut-être pas toutes le même niveau d’engagement ni la même vision du féminisme. Donc, je crois plus en l’action de petits collectifs.
Collectifs que vous souhaitiez justement mettre en lumière à l’occasion de votre tournée. Où en est ce projet ?
Pomme : L’idée, c’était d’inviter des associations différentes, avec un panel très large, et de leur donner une tribune à chaque date. Je me dis que si, chaque soir, une asso locale engagée sur l’écologie, les luttes antiracistes ou les luttes anti-discriminations parle à 1 500 personnes, ça peut avoir un impact. Malheureusement, ça n’a pas encore été possible à cause du Covid. Mais pour ma prochaine tournée en salles, je remettrai ça en place.
Comme une forme d’éducation populaire, finalement ?
Pomme : Je vois le militantisme de manière intersectionnelle et j’essaie de n'oublier personne. Il y a des gens beaucoup plus qualifiés et légitimes que moi pour parler de certains sujets, donc je préfère leur donner la parole. C’est une manière pour moi d’être dans le concret. Malgré les critiques, c’est aussi très à la mode aujourd’hui de se dire féministe ou engagé… Et je n’ai pas envie de faire partie des gens qui disent des choses mais ne les font pas.
Retrouvez Pomme dans le Causette n° 123, actuellement en kiosques.