Virginie Despentes de retour avec “Cher connard"

Cinq ans qu’on atten­dait, depuis le der­nier tome de Vernon Subutex, un nou­veau texte de Virginie Despentes. Le voi­là. Cher connard, roman épis­to­laire cin­glant, fait dia­lo­guer un auteur qua­dra rat­tra­pé par une affaire #MeToo et une star de ciné quin­qua­gé­naire sans filtre, tous deux un peu dépas­sés par l’époque.

Despentes c JF Paga
©JF-​Paga

Entre eux, tout avait très mal com­men­cé. Il l’attaque publi­que­ment sur son phy­sique dans un post Instagram conster­nant. Elle lui rabat le caquet sans sour­ciller : « Ouin ouin ouin je suis une petite bal­tringue qui n’intéresse per­sonne et je couine comme un chi­hua­hua parce que je rêve qu’on me remarque ». Le ton est don­né. Les per­son­nages plan­tés. Lui, Oscar, l’archétype du mâle blanc plain­tif, auteur avec un peu de suc­cès mais loser dans l’âme, qui n’a pas com­pris qu’harceler une meuf n’était pas être amou­reux d’elle. Elle, Rebecca, star de ciné déjan­tée, au verbe haut, aimant les bad boys et s’embarrassant peu du poli­ti­que­ment cor­rect (cou­cou Béatrice Dalle). Qu’ont-ils en com­mun ? La came d’abord, en bons pro­duits des années 80 qu’ils sont. Mais aus­si Corinne, la sœur d’Oscar, une les­bienne de la pre­mière heure et l’une des meilleures amies de Rebecca quand elles étaient gamines. Des piges que tout ce petit monde s’est per­du de vue.

Peu à peu, au fil de la plume, ces deux-​là vont s’apprivoiser. Voilà qu’intervient alors un troi­sième per­son­nage : Zoé Katana. Une « fémi­niste radi­cale », ex-​attachée de presse d’Oscar, qui l’accuse de har­cè­le­ment et lui colle un #MeToo aux fesses. Trois per­son­nages, trois géné­ra­tions, et autant de visions de l’époque que nous tra­ver­sons, pas­sée au crible vénère et ultra affu­té de la socio­logue punk qu’est Virginie Despentes. Elle dépeint aus­si bien les errances intel­lec­tuelles et émo­tives du mâle blanc tocard mais pas fon­ciè­re­ment dan­ge­reux qui tente péni­ble­ment de com­prendre ce qui lui arrive, que la badass old school qui voit arri­ver les tren­te­naires éner­vées avec inté­rêt, elle dont la géné­ra­tion « a brillé par son endu­rance. On nous a dit "pas de fémi­nisme ça fait déban­der" et on a répon­du "pas de pro­blème papa je n’emmerderai per­sonne avec mes petites affaires". Mais j’ai vu, autour de moi, les femmes se bri­ser une par une. Que ça se passe dans la digni­té du silence ne nous aura pas avancées ». 

Une plume tou­jours incisive 

Tous.tes deux, confronté.es à la colère sans conces­sion de Zoé Katana, sont obligé.es de chan­ger de bra­quet. De sor­tir de leur zone de confort. Et tentent de se tirer vers le haut. Rebecca en essayant de décil­ler Oscar qu’elle traite sans ména­ge­ment « Tu t’es conduit en connard, modèle cou­rant. Quelqu’un qui exerce le pou­voir et qui pré­tend qu’il y a éga­li­té. Je te laisse faire ton bilan, tout seul, comme un grand ». Et Oscar en invi­tant Rebecca sur le che­min de la sobrié­té. Toxicos de la pre­mière heure, ils ont bien com­pris que la figure de l’artiste défon­cé avait fait son temps et finissent par trou­ver du charme aux réunions de Narcotiques anonymes.

9782246826514 1
Cher Connard,
Virginie Despentes,
Grasset, 2022, 352 pages, 22€.

Politique, fémi­nismes, réseaux sociaux, cybe­rhar­cè­le­ment, covid… Despentes, en bonne anthro­po­logue du XXIème siècle qu’elle est, passe notre socié­té malade au scan­ner. Et tire sur tout ce qui bouge à bou­let rouge (même les guerres de cha­pelle entre fémi­nistes) avec l’art de la pun­chline qu’on lui connait et qui, lui, n’a pas pris une ride. Tout en louant les ver­tus du dia­logue, de l’empathie, de l’amitié. Un grand roman de l’espoir, finalement. 

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