Cinq ans qu’on attendait, depuis le dernier tome de Vernon Subutex, un nouveau texte de Virginie Despentes. Le voilà. Cher connard, roman épistolaire cinglant, fait dialoguer un auteur quadra rattrapé par une affaire #MeToo et une star de ciné quinquagénaire sans filtre, tous deux un peu dépassés par l’époque.
![Virginie Despentes de retour avec “Cher connard" 1 Despentes c JF Paga](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/08/Despentes-c-JF-Paga-819x1024.jpg)
Entre eux, tout avait très mal commencé. Il l’attaque publiquement sur son physique dans un post Instagram consternant. Elle lui rabat le caquet sans sourciller : « Ouin ouin ouin je suis une petite baltringue qui n’intéresse personne et je couine comme un chihuahua parce que je rêve qu’on me remarque ». Le ton est donné. Les personnages plantés. Lui, Oscar, l’archétype du mâle blanc plaintif, auteur avec un peu de succès mais loser dans l’âme, qui n’a pas compris qu’harceler une meuf n’était pas être amoureux d’elle. Elle, Rebecca, star de ciné déjantée, au verbe haut, aimant les bad boys et s’embarrassant peu du politiquement correct (coucou Béatrice Dalle). Qu’ont-ils en commun ? La came d’abord, en bons produits des années 80 qu’ils sont. Mais aussi Corinne, la sœur d’Oscar, une lesbienne de la première heure et l’une des meilleures amies de Rebecca quand elles étaient gamines. Des piges que tout ce petit monde s’est perdu de vue.
Peu à peu, au fil de la plume, ces deux-là vont s’apprivoiser. Voilà qu’intervient alors un troisième personnage : Zoé Katana. Une « féministe radicale », ex-attachée de presse d’Oscar, qui l’accuse de harcèlement et lui colle un #MeToo aux fesses. Trois personnages, trois générations, et autant de visions de l’époque que nous traversons, passée au crible vénère et ultra affuté de la sociologue punk qu’est Virginie Despentes. Elle dépeint aussi bien les errances intellectuelles et émotives du mâle blanc tocard mais pas foncièrement dangereux qui tente péniblement de comprendre ce qui lui arrive, que la badass old school qui voit arriver les trentenaires énervées avec intérêt, elle dont la génération « a brillé par son endurance. On nous a dit "pas de féminisme ça fait débander" et on a répondu "pas de problème papa je n’emmerderai personne avec mes petites affaires". Mais j’ai vu, autour de moi, les femmes se briser une par une. Que ça se passe dans la dignité du silence ne nous aura pas avancées ».
Une plume toujours incisive
Tous.tes deux, confronté.es à la colère sans concession de Zoé Katana, sont obligé.es de changer de braquet. De sortir de leur zone de confort. Et tentent de se tirer vers le haut. Rebecca en essayant de déciller Oscar qu’elle traite sans ménagement « Tu t’es conduit en connard, modèle courant. Quelqu’un qui exerce le pouvoir et qui prétend qu’il y a égalité. Je te laisse faire ton bilan, tout seul, comme un grand ». Et Oscar en invitant Rebecca sur le chemin de la sobriété. Toxicos de la première heure, ils ont bien compris que la figure de l’artiste défoncé avait fait son temps et finissent par trouver du charme aux réunions de Narcotiques anonymes.
![Virginie Despentes de retour avec “Cher connard" 2 9782246826514 1](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/08/9782246826514-1-700x1024.jpg)
Virginie Despentes,
Grasset, 2022, 352 pages, 22€.
Politique, féminismes, réseaux sociaux, cyberharcèlement, covid… Despentes, en bonne anthropologue du XXIème siècle qu’elle est, passe notre société malade au scanner. Et tire sur tout ce qui bouge à boulet rouge (même les guerres de chapelle entre féministes) avec l’art de la punchline qu’on lui connait et qui, lui, n’a pas pris une ride. Tout en louant les vertus du dialogue, de l’empathie, de l’amitié. Un grand roman de l’espoir, finalement.