Avec Amours croisées (éd. Marabulles), Laura Nsafou, accompagnée de Camélia Blandeau au dessin, se met au roman graphique et raconte finement les infinies possibilités des combinaisons amoureuses.
L’écrivaine afroféministe Laura Nsafou, découverte avec le blog Mrs Roots, s’est attelée avec Amours croisées à un nouveau projet littéraire. Après trois ans de travail de concert avec Camélia Blandeau, illustratrice lumineuse, l’autrice dévoile la complexe histoire d’amour entre Yari et Hide, deux jeunes Parisien·nes, mais aussi celles d’une truculente galerie de personnages secondaires. Aucune certitude assénée dans cette BD, qui, jusqu’à sa fin grande ouverte, vogue d’une idée à l’autre. Mais l’envie de proposer une vision élargie des relations amoureuses.
![« Amours croisées » de Laura Nsafou : « J’ai essayé de faire une bande dessinée qui nous force à réfléchir à notre manière d’aimer » 1 image002](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/05/image002.jpg)
Causette : Vous tenez à préciser à la fin d'Amours croisées qu’il ne s’agit pas d’une bande-dessinée sur le couple libre, alors que c’est son thème central. Pourquoi ?
Laura Nsafou : Parce que le couple libre est souvent présenté de façon racoleuse et réductrice dans la sphère mainstream – « le polyamour, c’est ça ». Or, en rencontrant les personnes concernées, je me suis rendu compte que chacune le vivait à sa manière, sans forme définie. Il y a évidemment des principes et une éthique, mais les façons dont on choisit de relationner en dehors de certains codes sont infinies, tout comme les formes de singularité que cela crée. Et c’est ça que j’ai voulu explorer, pour que chacun des lecteurs en viennent à se demander comment il aimerait et comment il voudrait être aimé si le spectre des possibles était grand ouvert. Et aussi parce qu’il y a déjà beaucoup de livres, écrits par des personnes polyamoureuses, qui parlent mieux que moi du polyamour !
Les dialogues sonnent particulièrement vrais, comment les avez-vous travaillé ?
L. N. : Le cœur du projet est vraiment venu de mon entourage, de discussions entre amies aux situations amoureuses très différentes que j'écoutais en me disant que j’avais vraiment envie d’un livre qui retranscrive ça, ces échanges entre différentes visions. En ce qui concerne l’aspect polyamour, je suis évidemment allée à la rencontre de personnes polyamoureuses, dont certaines ont d’ailleurs créé des espaces de discussion bienveillants et qui permettent de montrer que le polyamour peut-être complexe, que c’est un travail constant et que ce n’est pas du tout « que du gain » comme on peut le penser.
En dehors des témoignages de vos amies, avez-vous eu recours à des sources plus théoriques pour préparer cette bande dessinée ?
L.N. : Oui, j'ai vraiment essayé de mélanger le côté organique et un aspect plus théorique. J’ai notamment beaucoup travaillé avec des écrits de féministes noires, parce que, en prenant le personnage de Yari [l’une des deux protagonistes principales, ndlr], je voulais évoquer la difficulté supplémentaire que représente le fait d’être une jeune femme noire dans le milieu du dating en Occident, le fait de déjà batailler contre des représentations qui nous ont stigmatisées ou hypersexualisées. Le travail d’Audre Lorde sur l’érotisme m’a beaucoup nourri, ainsi que l’essai de bell hooks qui – bien que de nombreux débats aient émergé dans les sphères féministes ces dernières années sur "comment on aime" – me paraît toujours inégalé. C’est pour ça que, sur le compte Instagram dédié à Amours croisées, on a voulu remettre des extraits de certaines oeuvres marquantes, pour que les lecteurs qui souhaitent continuer leurs réflexions puissent s’en saisir.
Pourquoi cette envie de passer à la bande dessinée pour raconter cette histoire ?
L. N. : J’ai toujours adoré les romans graphiques, et, de la même façon qu’en littérature jeunesse, je ne pouvais m’empêcher de constater un manque en termes de diversité de personnages. Chaque fois que je cherchais une bande dessinée avec une héroïne noire, j’étais en fait soit renvoyée aux comics américains, soit à une histoire qui se déroule quelque part dans un pays d’Afrique francophone en guerre ou durant la ségrégation raciale. En gros, on voit souvent les mêmes choses. Et, à force de galérer pour trouver une bande dessinée portant sur une femme noire vivant en France, j’ai eu cette volonté d’en faire une moi-même.
Avez-vous des recommandations culturelles qui justement ne présentent pas les relations amoureuses sous un biais normatif ?
L. N. : Corps sonores, de Jul’Maroh, qui est vraiment un roman graphique que j’adore. Mais aussi La Saveur du printemps, de Kevin Panetta et Savanna Ganucheau, qui traite d’une histoire d’amour gay entre deux adolescents. Et, évidemment, La Couleur pourpre, d’Alice Walker – qui est également un film mais que je préfère en livre, certains éléments étant édulcorés dans la version cinématographique –, qui raconte l’histoire de deux femmes noires sur fond de ségrégationnisme américain.
Amours croisées, de Laura Nsafou et Camélia Blandeau. Éd. Marabulles, 192 pages, 19,95€ euros.