Faut-il s’enfuir ou rester ? Tout plaquer, disparaître ou s’accrocher et résister ? Parmi les nombreuses parutions de la rentrée de janvier 2024, voici quatre fictions pures qui nous propulsent loin d’ici et interrogent nos façons d’habiter ce monde.
“Eve Melville, Cantique”, de Justine Bo
Chez Justine Bo, l’héroïne semble indéracinable. Dans son septième roman, Eve Melville, Cantique, cette jeune et déjà grande écrivaine raconte sa version du mythe américain, à travers le destin d’Eve Melville. Infirmière de la police de New York, sans enfant, Eve vit à Brooklyn dans un quartier en voie de gentrification. Tout devrait la pousser à partir : l’augmentation des prix, les appels incessants de promoteurs immobiliers qui veulent faire main basse sur sa maison, les voisin·es qui déménagent les un·es après les autres. Un matin d’août 2016, un acte de vandalisme confère une tournure encore plus dramatique à cette situation. Une baignoire remplie d’immondices est déposée sur le seuil de sa maison, et la façade de sa voisine d’en face a été entièrement repeinte en noir. Terrifiée, hantée par le besoin de comprendre pourquoi sa rue est prise pour cible, Eve se lance dans une enquête impossible. Elle convoque la mémoire de son arrière-grand-père, Solomon Melville, un esclave affranchi qui a réussi à rejoindre New York cent cinquante ans plus tôt, après mille kilomètres de marche clandestine, du sud au nord, puis à acquérir cette maison – refuge d’une vie de souffrance. Cette maison qui lui a été léguée, Eve s’y accroche comme à la seule chose qu’elle possède au monde. “Le lieu de son obstination.” Projetée dans un exil intérieur, Eve Melville glisse vers la folie. Cette folie, c’est celle du monde dans lequel elle vit. Une folie qui ne date pas d’hier, qui prend[…]