Tiffany Cooper, l’illustratrice, autrice jeu­nesse et pod­cas­teuse fémi­niste qui célèbre la vie libre

Photo de presse TC4003
© Joanna Doukov

Autrice de bande des­si­née, illus­tra­trice pro­lixe, pod­cas­teuse fémi­niste et défri­cheuse pleine d’humour, Tiffany Cooper s’invite aus­si, désor­mais, en lit­té­ra­ture jeu­nesse. À l’occasion de la sor­tie du deuxième tome de Patatouille, Causette lui a tiré le portrait.

Après Patatouille, qui s’attaquait avec humour aux injonc­tions viri­listes, l’autrice et illus­tra­trice Tiffany Cooper réci­dive avec Patatouille : Solal est amou­reux, second tome de sa série de lit­té­ra­ture jeu­nesse, en librai­rie depuis le 11 jan­vier. Un ouvrage féministo-​rigolo, qui vient ponc­tuer une car­rière démar­rée dix ans plus tôt, presque par hasard. “Cooper, c’est un pseu­do. Parce qu’à l’époque, je cher­chais un ‘vrai bou­lot’ et je ne vou­lais pas que des recru­teurs puissent m’identifier. Je pen­sais que c’était une blague, la BD”, lâche-​t-​elle fran­co. Si elle a mis du temps à envi­sa­ger d’en faire son métier, le des­sin, lui, a tou­jours fait par­tie de sa vie. “Quand j’avais 4 ans et qu’il y a eu le trem­ble­ment de terre à San Francisco, en 1989, je me sou­viens que j’étais en train de des­si­ner et que mon trait s’est mis à trem­bler”, rap­porte l’illustratrice, qui tient son bilin­guisme des années d’expatriation fami­liale en Californie.

De ses 3 à ses 5 ans, elle a en effet vécu à San Francisco, avant de retour­ner à Grenoble, où elle est née. Deux salles, deux ambiances. “La culture anglo-​saxonne, c’est très bien­veillant, très encou­ra­geant. Quand on est arri­vés en France avec mon frère et mes sœurs, on a tous les quatre été un peu sai­sis par la froi­deur du sys­tème édu­ca­tif fran­çais”, se sou­vient Tiffany, troi­sième enfant et troi­sième fille de la fra­trie. “Pour la petite anec­dote, ma mère vou­lait deux filles et deux gar­çons, dans un truc bien ‘fami­ly Kinder’. Elle a même fait un régime spé­cial en espé­rant avoir un fils… et elle a eu une fille ! Je pense qu’il y a eu chez moi une espèce de truc de vou­loir prendre une place d’homme en étant une femme. Aujourd’hui, dans ma famille, je suis la seule femme qui tra­vaille”, poursuit-​elle. 

Elle qui a gran­di à l’aune d’un modèle fami­lial clas­sique, entre un père sala­rié d’une mul­ti­na­tio­nale amé­ri­caine et une mère au foyer – “Elle tra­vaillait, mais gra­tui­te­ment”, tient-​elle à pré­ci­ser – n’a jamais rêvé de s’y fondre un jour. Au contraire. “Je crois que ça m’a ren­due un peu aller­gique au sché­ma cis-​hétéro : le papa qui part le matin avec sa mal­lette, qui rentre tard, qui demande pour­quoi il n’y a rien dans le fri­go, et la maman qui est tout le temps en train de faire des trucs dans la mai­son. De ce que j’ai per­çu, j’ai vu ma mère assez mal­heu­reuse – même si aujourd’hui, elle dit qu’elle le refe­rait sans hési­ter. À aucun moment de mon enfance, je ne me suis dit que j’aurai un mari et des enfants”, résume celle qui a tou­jours avan­cé à l’instinct.

Hasard, culot et intuition

Après son diplôme des Arts déco, à Strasbourg, c’est d’abord vers le monde de l’art contem­po­rain, puis celui de la mode, que s’est tour­née Tiffany Cooper. “Je n’avais pas de plan pré­éta­bli. J’ai tou­jours été vers des trucs qui m’intéressent, à l’intuition”, retrace-​t-​elle. Elle a envie de mon­ter des expos d’art ? Elle décroche un poste comme assis­tante de gale­rie, pour fina­le­ment quit­ter ce monde qui l’a rapi­de­ment “dégoû­tée”. Elle ambi­tionne de bos­ser dans la mode ? Elle dégote alors un poste de ven­deuse chez Sonia Rykiel, puis frappe à la porte d’Isabelle Marant, où elle se retrouve – là encore, “un peu par hasard” – à mana­ger une tren­taine de per­sonnes pen­dant plus de deux ans. Avant de tout quit­ter pour par­tir voyager.

C’est à ce moment-​là, en 2012, qu’elle se décide à ouvrir un blog, Le meilleur des mondes pos­sibles, où elle com­mence à par­ta­ger ses illus­tra­tions. Ces des­sins qu’elle avait un peu mis entre paren­thèses depuis son entrée dans le monde du tra­vail mais qui, depuis gamine, lui ont tou­jours valu l’assentiment des autres. “Petite, j’ai vécu beau­coup de rejet, d’exclusion et de har­cè­le­ment à l’école. Par contre, quand je des­si­nais, les autres enfants m’aimaient bien, ils me don­naient des chewing-​gums en échange… Je ne com­pre­nais pas trop pour­quoi, mais j’ai com­pris que j’avais une sorte de pou­voir là-​dessus. Plus tard, quand j’étais en école d’art, j’ai fait un mil­liard de choses : de la sculp­ture sur tis­su, de la pho­to, de la vidéo, des trucs plus ou moins bien… Et à chaque fois que je fai­sais mes petits des­sins de blagues ou d’anecdotes, les gens étaient exta­tiques. Mais à aucun moment je ne me disais que je vou­lais deve­nir illus­tra­trice. Pour moi, à moins d’être Joann Sfar ou Sempé, c’était quand même un métier de crève-​la-​dalle. Je ne voyais pas com­ment rem­plir une vie avec ça”, confie-​t-​elle, presque sur­prise, une décen­nie plus tard, d’en avoir fait son gagne-pain.

Quelques mois après avoir lan­cé son blog, mal­gré son ambi­va­lence, elle contacte alors des dizaines et des dizaines de mai­sons d’édition, jusqu’à réus­sir à faire publier son pre­mier livre, Le Meilleur des mondes, en 2013. Deux ans plus tard, elle se met en tête d’écrire une lettre à Karl Lagerfeld, pour qui elle s’est prise de pas­sion. “Quand tu le vois, c’est le mec snob, méchant, avec ses lunettes… Mais quand tu lis ses livres, il raconte des trucs abra­ca­da­brants et tu te rends compte que c’est un mec qui a beau­coup d’humour, y com­pris sur lui”, dépeint-​elle. Banco : Tiffany Cooper, qui avait déjà créé des tee-​shirts ven­dus dans la bou­tique de luxe pari­sienne Colette, se retrouve à conce­voir une collection-​capsule pour Karl Lagerfeld, une expo iti­né­rante inter­na­tio­nale, puis à publier un livre illus­tré sur le bon­homme (Karl’s Secrets, en 2015).

Ouvrir nos univers

Après ça, il y a eu bien d’autres col­la­bo­ra­tions avec des marques – quoique très rare­ment avec la mode, ces der­nières années. Sans comp­ter ses livres : Les Contes de notre enfance (qu’elle a revi­si­tés, en 2016), Moi, maman ? (sur la mater­ni­té, en 2019) et Homme sweet homme (sur la charge men­tale et domes­tique) – car oui, entre temps et contre toute attente, Tiffany Cooper est deve­nue mère. Et puis la lit­té­ra­ture jeu­nesse, donc, dans laquelle elle a mis le pied en 2023 avec Patatouille. “Ce qui est génial avec un livre jeu­nesse, c’est que tu vas peut-​être le lire trente ou qua­rante fois avec ton gosse – là où une BD, tu la lis une fois et c’est fini. Moi, ce que j’aime, c’est que les choses que je fais soient uti­li­sées. Et puis sur­tout, j’aime bien glis­ser des mes­sages impor­tants, des mes­sages que j’aurais par­fois vou­lu entendre quand j’étais petite”, confie cette mère, qui a elle-​même gran­di avec The Berenstain Bears, Tom-​Tom et Nana ou Max et les Maximonstres.

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Éditions On ne compte pas pour du beurre, jan­vier 2024.

Dans Patatouille, elle montre ain­si que les petits gar­çons ne sont pas obli­gés de se confor­mer aux dik­tats de la mas­cu­li­ni­té et qu’ils ont le droit d’être qui ils veulent. Dans Patatouille : Solal est amou­reux, elle vient par­ler de consen­te­ment, de charge men­tale ou d’injonction à la mater­ni­té à hau­teur d’enfant. Dans L’amour est par­tout (2023), elle rap­pelle que celui-​ci ne se limite pas au seul couple roman­tique, his­toire de contre­ba­lan­cer la myriade de récits qui invitent les petites filles à surin­ves­tir les rela­tions amou­reuses. Quant à son pro­chain livre, qui sor­ti­ra au prin­temps, il par­le­ra d’amour incon­di­tion­nel. “En tant que fémi­niste, je me dis qu’on revient tou­jours à l’éducation. Que ce soit la façon dont on envi­sage notre vie, notre vision du couple, notre façon de se com­por­ter les uns avec les autres, de vivre notre genre. C’est vrai­ment des choses qu’on nous a apprises quand on était petit”, constate l’autrice, qui aime­rait “ouvrir un peu l’univers” de nos enfants… comme le nôtre. 

Qu’elle s’adresse aux petit·es ou aux grand·es, elle tente notam­ment d’apporter un contre­pied à ce qui, dénonce-​t-​elle, s’apparente à de “la pro­pa­gande” autour du couple roman­tique – et presque tou­jours hété­ro. “Toutes ces images qu’on te jette à la gueule en per­ma­nence. L’autre jour, dans le métro, il y avait d’un côté une pub pour le Salon du mariage, de l’autre une affiche avec un couple qui s’embrassait. Depuis l’enfance, on t’apprend que c’est le seul che­min pos­sible. En fait, je trouve ça fou, parce que c’est super enfer­mant”, relève-​t-​elle.

Va vers ton risque

Chez Tiffany Cooper, c’est d’ailleurs par le prisme de la conju­ga­li­té que s’est fait son éveil fémi­niste. Elle qui a long­temps été “en mode céli­ba­taire endur­cie” a ren­con­tré le père de son fils au début de la tren­taine, se retrou­vant fina­le­ment dans le rôle très bali­sé de l’amoureuse hété­ro. “Au début, j’ai plon­gé là-​dedans avec beau­coup d’effroi, je ne com­pre­nais pas tous ces codes [du couple, ndlr]. Et puis, fina­le­ment, je suis par­tie dans l’extrême inverse, en repro­dui­sant un sché­ma très clas­sique. Quatre ans après, ça ne me conve­nait plus du tout. J’étais mal­heu­reuse, ça m’épuisait. J’avais vrai­ment un sen­ti­ment d’injustice très fort. Puis un jour, je me suis dres­sée. Je suis par­tie. Et je me sou­viens que le pre­mier truc que j’ai fait alors qu’on était en train de se sépa­rer, c’est que je suis allée ache­ter le livre de Titiou Lecoq, Libérées [Le com­bat fémi­niste se gagne devant le panier de linge sale, 2017], raconte-​t-​elle. Le point de départ d’une longue bou­li­mie de lec­tures fémi­nistes – mais pas que.

Savourant aujourd’hui sa “liber­té incroyable”, elle a éga­le­ment lan­cé son pod­cast, Cours vers ton risque, en 2021. Un titre ins­pi­ré d’une cita­tion du poète René Char – “Impose ta chance, serre ton bon­heur et va vers ton risque” –, qu’elle a décou­verte, enfant, sur un faire-​part de nais­sance et qui s’est rap­pe­lée à elle à plu­sieurs reprises dans sa vie, comme un man­tra. Jusqu’à deve­nir le nom de ce pod­cast dédié “aux per­sonnes qui osent sor­tir des sché­mas clas­siques”. “J’adore ren­con­trer des gens et c’était le pré­texte par­fait. Les per­sonnes à qui je donne la parole ne font pas des choses extra­or­di­naires au sens où elles ne vont pas grim­per le Kilimandjaro. Mais par un tout petit truc, elles ont une vie aty­pique, elles ouvrent un che­min dif­fé­rent”, estime Tiffany.

“C’est Marie Kock qui dit : cher­cher l’amour, ça ne m’intéresse pas. Moi, je pré­fère vapo­ter en regar­dant le pla­fond. C’est Barbara Butch qui dit : je suis obèse, je fais de la musique, je suis sur scène et je vous emmerde. C’est Fiona Schmidt qui dit : un enfant, non mer­ci. C’est ma cou­sine qui dit : je vais faire un enfant avec mon meilleur ami, qui est la per­sonne que je pré­fère au monde”, égrène-​t-​elle avec pas­sion. Convaincue que nous avons “besoin” d’entendre des femmes et des hommes qui se sont autorisé·es à vivre comme elles et ils l’entendaient. Tout comme elle a appris à s’autoriser : à publier ses des­sins, à mettre fin à son couple ou, plus récem­ment, à ces­ser de consom­mer de l’alcool, puis à prendre ses dis­tances avec Instagram. Elle est comme ça, Tiffany Cooper : elle va vers son risque. Et nous invite, non sans une bonne dose d’humour, à en faire de même.

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