Qui dit fête des Mères, dit poésie (et colliers de pâtes pour les plus chanceuses). Pour l'occasion, Causette vous a concocté une sélection de recueils qui s'emparent de la maternité et de sa palette de nuances.
L’Eau du bain, de Rim Battal
Elle est une voix incontournable de la poésie francophone contemporaine. Alors que vient de paraître son nouveau recueil X et Excès, dans lequel elle explore brillamment les zones d’ombre de notre ère numérique, l’artiste franco-marocaine Rim Battal réédite L’Eau du bain, journal poétique de sa maternité, initialement paru en 2019 et ici préfacé par la journaliste Judith Duportail. En 127 fragments, elle nous emmène dans les méandres de l’enfantement et des collisions intimes qu’il provoque. Sur le corps, d’abord – omniprésent et sans fard chez Rim Battal – mais aussi sur le désir, la psyché, l’identité et les profondeurs de soi. “L’épuisement. Ce n’est pas la fatigue l’épuisement. C’est la fuite de toute substance de la tête par les pieds qui fait flaque entre les jambes comme si dans un accès de démence, l’on eut pissé son âme, dépeint celle qui a créé la Biennale intime de la poésie.
De son verbe brut et charnel – elle ne considère pas ses textes comme “crus” ou “violents”, “justes honnêtes” – Rim Battal livre aussi une réflexion, à la fois intime et sociale, sur la figure maternelle. En premier lieu, celle de sa propre mère, qui plane inéluctablement sur elle. “En apprenant que j’étais enceinte la première fois, ma grande hâte était de voir se défaire mon nombril, se déplier ce que ma mère avait noué trente ans plus tôt. Voir en son creux, dans les plis effeuillés, le geste opéré, la main, la délicatesse, la panique, la solitude enterrée. La tragédie originelle”, écrit la poétesse, dont les textes slaloment entre drame et humour. Comme lorsqu’elle évoque ses contorsions sur la cuvette pour uriner sans souffrir, au retour de la maternité : “Mère et putain trouvent encore une fois pose commune : la levrette.” Car de la mère et de la putain, il est évidemment question dans ce recueil. D’ailleurs, conclut Rim Battal : “Le monstre s’est appelé d’abord Putain, maman ! puis Corps à corps, puis FEU ! pour devenir enfin L’Eau du bain.” Qui a tout d’une cascade.
![Rim Battal, Nawel Ben Kraïem, Hollie McNish : nos trois recos poésie pour la fête des Mères 2 Eau du bain](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2024/05/Eau_du_bain-651x1024.jpeg)
L’Eau du bain, de Rim Battal. Le Castor astral, 112 pages, 9,90 euros.
Le Corps don, de Nawel Ben Kraïem
Nawel Ben Kraïem ne cesse de tisser des ponts : entre la France et la Tunisie, la musique et les mots, la scène et l’écriture. Chanteuse, compositrice et comédienne, cette artiste franco-tunisienne de 36 ans s’apprête à publier son deuxième livre de poésie, Le Corps don, à paraître le 14 juin (éditions Bruno Doucey). Un recueil qu’elle a écrit durant un séjour à l’hôpital, pendant sa deuxième grossesse, alors qu’elle était malade. “Poésie de nos petites morts et de nos grandes survies”, où se mêlent déflagrations de vie et fantômes multiples, Le Corps don plonge dans les mille existences que peut abriter le ventre d’une mère. D’une plume incisive et pleine de saveurs – voire de malice –, Nawel Ben Kraïem y dépeint l’expérience vertigineuse de la maternité. “J’ai sauté d’une falaise à l’intérieur de moi/Pour plonger vers les astres ou pour plonger vers moi/Je suis mère deux fois et enfant tant de fois”, livre-t-elle dans Viens.
Au fil des vingt-cinq poèmes qui composent ce livre, elle ne cesse d’ailleurs de convoquer sa propre enfance en Tunisie, “petit pays piment”. Évoque ses peurs, ses combats, ses mues. Et puis les rêves : ceux qu’on fait pour soi et ses enfants comme “Ceux partis en fumée/Que le temps a brûlés/Elle fume comme un pompier/Pour les garder entiers/Pour les garder près d’elle/Qui vieillit à vue de nez/Alors elle sort une clope/Qui scintille à vue d’œil/Puis elle fume le paquet/Pleure comme un bébé/Et rallume le passé”, veut croire Nawel Ben Kraïem, qui livre ici un recueil incandescent. Dont elle interprétera des extraits, en musique, lors de son concert au New Morning (Paris), le 2 juin.
![Rim Battal, Nawel Ben Kraïem, Hollie McNish : nos trois recos poésie pour la fête des Mères 3 Le corps don](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2024/05/Le-corps-don.jpeg)
Le Corps don, de Nawel Ben Kraïem. éditions Bruno Doucey, 120 pages, 15 euros.
Je souhaite seulement que tu fasses quelque chose de toi, de Hollie McNish
C’est un objet hybride, “une sorte de mixture particulière, composée de journal en prose, d’essais et de poèmes avec également des nouvelles”, prévient en préambule Hollie McNish. Révélée en France avec Personne ne m’a dit (Solar, 2018), la poétesse et slameuse anglaise récidive avec Je souhaite simplement que tu fasses quelque chose de toi, son deuxième recueil traduit en français et paru en 2023 chez Le Castor astral. Hommage à sa grand-mère adorée, décédée durant l’épidémie de Covid, cet ouvrage réunit plusieurs années d’écriture, où se mêlent réflexions féministes, souvenirs d’enfance, discussions au supermarché et bouillonnements érotiques. Avec, toujours, les jongleries linguistiques et le regard facétieux de Hollie McNish, qui se saisit du quotidien pour nous tendre un miroir sur l’époque.
Entre rires (car oui, Hollie McNish est drôle) et colères, elle se saisit tour à tour des injonctions à être belle, de la sexualisation des petites filles, des céréales antimasturbation de Kellogg’s ou de l’expérience de la parentalité, dans laquelle elle a été propulsée au milieu de la vingtaine. “Alors je t’en prie pardonne-moi, mon amour, lève les yeux au ciel tant que tu veux/tandis que se déchaîne la vingtaine/de ma quarantaine”, écrit d’ailleurs Hollie McNish à sa fille. Qui s’adresse aussi à sa mère (Maintenant je comprends, maman, désolée), défend la mother (fucker) et rage de voir sa fille grandir à l’ombre du racisme – “Il n’y a pas de fées chérie, désolée/Il n’y a pas de lutins chérie, désolée/Même pas de sorcières chérie, désolée/Ici, qui te ressemblent”, scande-t-elle dans ce recueil doux-amer. Et résolument réjouissant.
![Rim Battal, Nawel Ben Kraïem, Hollie McNish : nos trois recos poésie pour la fête des Mères 4 611LgKzTE7L. AC UF10001000 QL80](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2024/05/611LgKzTE7L._AC_UF10001000_QL80_.jpg)
Je souhaite simplement que tu fasses quelque chose de toi, de Hollie McNish. Le Castor astral, 480 pages, 24,50 euros.
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