Le livre de Vanessa Springora, Le Consentement, paru en janvier 2020 – dont l’adaptation au cinéma sort mercredi avec Jean-Paul Rouve dans le rôle de l’écrivain Gabriel Matzneff –, a permis de renforcer l’arsenal de protection des mineur·es contre les violences sexuelles, “mais la politique reste en retard” selon les associations.
Un an avant La Familia grande (Seuil), de Camille Kouchner, qui a libéré la parole sur le fléau de l’inceste en France, il y a eu Le Consentement. Un récit qui, comme le second, a contribué à faire évoluer la société sur les violences sexuelles faites aux enfants. Le livre de Vanessa Springora, Le Consentement, et dont l’adaptation au cinéma sort ce mercredi, a d’ailleurs permis de renforcer la protection des mineur·es contre ces violences.
Paru il y a bientôt quatre ans, en janvier 2020 chez Grasset, Le Consentement relate la relation traumatisante et sous emprise que l’autrice a eue dans les années 1980, à l’âge de 14 ans, avec l’écrivain pédocriminel Gabriel Matzneff. À sa sortie, le livre fait l’effet d’une bombe tant dans le milieu littéraire, médiatique que dans notre société. “Il y a eu un avant et un après”, note d’ailleurs Marlène Schiappa, ex-secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes de 2017 à 2020. Le livre de Vanessa Springora a créé un “terreau favorable” à des changements législatifs, abonde de son côté Adrien Taquet, ex-secrétaire d’État chargé de l’Enfance de 2019 à 2022.
D’après une source proche du dossier, l’enquête pénale ouverte le lendemain de la parution du livre est proche de sa clôture et devrait s’achever par un classement sans suite, les faits qui auraient pu faire l’objet de poursuites contre Gabriel Matzneff étant prescrits. “Un enfant ne peut jamais être consentant vis-à-vis d’un adulte, car ils ne sont pas dans un rapport d’égalité. Ce récit a éclairé sous un jour nouveau les rapports de domination liés à l’âge et au statut social”, explique à l’AFP Adrien Taquet.
“Mécanismes de l’emprise”
Surtout, le livre “a permis d’interroger la notion complexe de consentement, utilisée encore abusivement contre les victimes dans des situations inégalitaires, ajoute Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes. “‘Vous aviez consenti, vous ne pouvez pas vous plaindre’, dit-on aux victimes. ‘Oui, mais qu’est-ce que je pouvais faire ? J’avais 12 ans, c’était mon père, mon patron.’” Pour elle, Le Consentement a “montré la stratégie de l’agresseur et les mécanismes de l’emprise : l’adulte manipule l’enfant, le flatte, utilise son statut social d’écrivain célébré pour accéder au corps d’une enfant.”
Il faut aussi ajouter que le livre de Vanessa Springora, qui s’est vendu à 300 000 exemplaires, est arrivé dans un contexte post #MeToo, entre le roman autobiographique La Consolation (2016), de Flavie Flament, le film les Chatouilles (2018), d’Andréa Bescond, et donc La Familia grande (janvier 2021), de Camille Kouchner, œuvres évoquant des affaires de pédocriminalité. “Cette production artistique montrait que la société était en train de changer. Le livre [Le Consentement, ndlr] nous a aidés à passer la loi Billon et à créer la Ciivise”, explique Adrien Taquet.
“La politique en retard”
En août 2020, le secrétaire d’État annonce la création de cette Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants. Installée en janvier 2021, elle est chargée depuis de recueillir le témoignage des victimes et de conseiller le gouvernement en matière de protection des victimes et de lutte contre les violences sexuelles faites aux enfants. Le débat public autour du Consentement a aussi conduit “à la loi Billon d’avril 2021 qui établit qu’aucun adulte ne peut se prévaloir du consentement sexuel d’un enfant s’il a moins de 15 ans”, explique à l’AFP Marlène Schiappa. Cette loi est aussi née du choc né d’un fait divers en 2017, à Pontoise, où un homme de 28 ans avait abusé sexuellement d’une fillette de 11 ans abordée dans un square, “sans exercer de violences, menace ou contrainte physique”.
“Nous avions tenté, en 2018, d’établir un seuil d’âge de non-consentement aux relations sexuelles, nous heurtant à une montagne d’hostilité. Après la publication du Consentement et de La Familia Grande, nous avons repris les travaux en montrant que c’était un fait de société, qui faisait l’objet d’une condamnation unanime”, souligne Marlène Schiappa.
L’opinion “a commencé à comprendre que la société, en tolérant cela, avait permis ces agressions, ces viols. Des violeurs utilisent l’art ou la liberté d’expression ou la libération sexuelle pour créer de l’impunité autour d’eux”, estime Anne-Cécile Mailfert.
Pour Anne Clerc, déléguée générale de l’association Face à l’inceste, “la société a mûri sur ces sujets, mais la politique reste en retard” : “La Ciivise a fait vingt préconisations (pour mieux repérer, écouter, protéger, soigner les victimes de violences sexuelles dans l’enfance) et la plupart ne sont pas mises en œuvre”, dénonce-t-elle. La Commission indépendante a recueilli depuis sa création 27 000 témoignages d’inceste et de violences sexuelles dans l’enfance. Elle doit rendre ses conclusions finales en novembre prochain. Son coprésident, Édouard Durand, partageait en septembre auprès de Causette ses craintes de voir cet espace essentiel fermer ses portes… et ses oreilles.