Julia Mayle © Astrid di Crollalanza 1
© Astrid di Crollalanza

“La Louisiane” : les rai­sons du (gros) suc­cès de la ren­trée littéraire 

En 2010, Julia Malye avait été un phé­no­mène de pré­co­ci­té : alors en pre­mière, au lycée Henri IV à Paris, elle publiait son pre­mier roman. En 2024, elle est un phé­no­mène de ren­trée : écrit en anglais, édi­té après enchères, son qua­trième livre est le car­ton de ce début d’année. Derrière : toute une his­toire, qui explique aus­si son succès.

1 – L’histoire vraie du roman

La Louisiane est ins­pi­ré d’une page réelle de notre his­toire : entre 1719 et 1721, le royaume de France envoya de force des cen­taines de jeunes femmes dans les colo­nies de Louisiane et du Mississippi. Le but : don­ner des épouses blanches à des colons. Ces femmes de France venaient de la Salpêtrière, qui n’était pas encore un hôpi­tal, mais quelque chose entre un orphe­li­nat et une pri­son pour filles. Tenu par des bonnes sœurs, à qui on demande de dres­ser des listes : des noms des jeunes femmes qu’on choi­sit d’expédier de l’autre côté de l’Atlantique.

Reposant sur de solides recherches, le roman (que Causette a aimé) suit trois femmes d’entre celles envoyées : Charlotte, orphe­line mau­dite, Pétronille, aris­to­crate reje­tée, et Geneviève, une avor­teuse. Pourquoi ont-​elles été pla­cées sur la “liste” ? Quelle sera leur vie outre-Atlantique ?

2 – L’histoire du livre

Julia Malye raconte à Causette ses recherches : “Entre 2015 et 2017, j’ai fait un mas­ter de créa­tion lit­té­raire à l’Oregon State University, où j’ai étu­dié, mais aus­si ensei­gné. Juste avant de ren­trer à Paris, je me suis dit qu’en tant que Française, ce serait inté­res­sant d’aller en Louisiane : le pas­sé, la culture, une par­tie nous est com­mune. Et je suis tom­bée sur l’histoire de ces femmes, au XVIIIe.” Stupéfaite par ces des­tins “com­plè­te­ment oubliés”, elle décide d’en faire un roman. Nous étions alors fin 2016-​début 2 017. Donald Trump venait d’être élu pré­sident des États-​Unis. Bientôt allait sur­gir le mou­ve­ment #MeToo. C’était pen­dant l’écriture de La Louisiane. Aujourd’hui, le tout donne fata­le­ment une caisse de réson­nance plus fémi­niste à l’histoire de ces femmes. 

3 – Huit ans et deux langues

L’écriture, jus­te­ment, a duré pas moins de huit ans ! C’est que Julia Malye, avant tout pro­fes­seure d’écriture à Sciences Po et tra­duc­trice aux édi­tions Les Belles Lettres, se met­tait à l’ouvrage “le matin ou le soir”. De plus, ce livre a d’abord été écrit en anglais. “Un choix qui s’est impo­sé à moi, car je vivais aux États-​Unis quand j’ai com­men­cé. Mes pre­mières lec­trices ont été des Américaines.” Parmi celles-​ci : l’agente lit­té­raire Sandra Pareja, de l’agence new-​yorkaise Massie & McQuilkin, vers qui l’autrice s’est tour­née assez tôt. Elle a lu le manus­crit une fois ache­vé, en 2021, et c’est par elle que l’histoire a été pla­cée sur les rails d’un par­cours international…

4 – Enchères et… réécriture

C’est elle qui a pro­po­sé le texte, en anglais, à dif­fé­rents éditeur·rices bri­tan­niques et américain·es (for­cé­ment), puis français·es. Comme sou­vent en pareil cas, plu­sieurs mai­sons hexa­go­nales se sont posi­tion­nées pour en acqué­rir les droits de publi­ca­tion : il y a eu des enchères. Classique quand il s’agit de livres étran­gers, plus rares sinon. En France, ce sont les édi­tions Stock qui l’ont empor­té en jan­vier 2022, pour une somme “à six chiffres” (selon le maga­zine pro­fes­sion­nel Livres Hebdo). Raphaëlle Liebaert, qui y dirige le sec­teur étran­ger, raconte à Causette : “En décembre 2021, j’ai rendez-​vous avec Sandra Pareja, que je connais bien, et elle me parle entre autres de cette jeune Française. Elle me raconte ce texte, son his­toire, et son ‘par­cours’. Je trouve ça incroyable, mais je lui dis qu’il me faut au moins un pre­mier cha­pitre ‘tra­duit’ pour me faire une idée.” Pendant des semaines, Julia Malye va donc, non pas tra­duire son propre livre, mais, selon ses propres mots, “le réécrire” : “La ten­ta­tion de tout reprendre, de me cor­ri­ger a été immense, au début. J’ai dû trou­ver un pro­ces­sus pour par­ve­nir à un équi­libre entre créa­ti­vi­té et fidé­li­té. Rester aus­si proche du texte que pos­sible.” Une fois le roman signé chez Stock, ce tra­vail a duré deux ans. “Je ne suis pas sûre que beau­coup de per­sonnes auraient la capa­ci­té de réa­li­ser ça : écrire entre deux langues. Et ça montre com­bien c’est une vraie écri­vaine”, témoigne Raphaëlle Liebaert.

5 – Succès (sto­ry)… comme Laetitia Colombani ?

Voilà com­ment, fin 2023, elle pou­vait com­mu­ni­quer ain­si : la mai­son serait la pre­mière à publier le manus­crit d’une Française convoi­té par les éditeur·rices du monde entier, ache­té dans une ving­taine de pays. Le 5 mars, il paraî­tra aux États-​Unis, chez Harper Collins. Chez nous, ce fut le 3 janvier.

Libraire au rayon “lit­té­ra­ture” chez Mollat (Bordeaux), pre­mière enseigne indé­pen­dante de l’Hexagone, Sylvie Latour a vite flai­ré “l’enjeu” : “On en avait pris une grosse quan­ti­té, et il s’est ven­du dès le pre­mier jour. Ça n’a pas ces­sé pas depuis”, témoigne-​t-​elle auprès de Causette. Fin jan­vier, dix mille exem­plaires avaient été ache­tés en France (sources : ins­ti­tut Gfk), un chiffre remar­quable pour une autrice qui n’est pas encore “grand public”. Surtout dans la période actuelle, peu favo­rable au secteur.

Un suc­cès que la libraire explique ain­si : “Il y a tous les ingré­dients pour que ça marche : c’est un livre sur les femmes. Sur les femmes à une cer­taine époque. Il traite de racisme, il traite d’égalité. C’est un roman simple, effi­cace, il parle tout de suite.” “J’ai l’impression qu’il va car­ton­ner comme La Tresse [de Laetitia Colombani, en 2017, ndlr] a pu car­ton­ner : un bouche-​à-​oreille favo­rable, une autrice jeune, un phé­no­mène qui décolle d’un coup.” La Louisiane raconte une his­toire, mais il en est aus­si une.

Couv La Louisiane

La Louisiane, de Julia Malye. Stock, 560 pages, 23 euros.

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