essais

On lit quoi ? : nos recos d’essais fémi­nistes du mois de mars

Une ode à celles qu’on vou­drait exclure du fémi­nisme, un appel à regar­der où on éja­cule et un manuel pour les rabat-​joie des dîners de famille : voi­ci trois essais pour explo­rer les féminismes.

Éjaculer en toute res­pon­sa­bi­li­té, de Gabrielle Blair

Pratiquante, mor­mon, mère de six enfants… Le pedi­gree de Gabrielle Blair pou­vait lais­ser craindre le pire. Surtout en pleine période de back­lash aux États-​Unis. “Pour ceux qui veulent une baisse signi­fi­ca­tive du nombre d’IVG (ou une inter­dic­tion pure et simple, comme de nom­breux États amé­ri­cains l’ont fait), se foca­li­ser sur les femmes est une erreur fon­da­men­tale”, avance l’autrice de Éjaculer en toute res­pon­sa­bi­li­té, qui n’hésite pas à s’adresser au lec­to­rat le plus réac­tion­naire. Mais la der­nière ligne de son cur­ri­cu­lum vient lever nos doutes : cette lea­deuse d’opinion connue pour son blog Design Mom est aus­si une mili­tante pro-​choix. “Mon corps m’appartient”, cla­maient les fémi­nistes des années 1970. Mais il appar­tient aux hommes de maî­tri­ser le leur, plaide aujourd’hui Gabrielle Blair. “Une gros­sesse non dési­rée sur­vient uni­que­ment si un homme éja­cule de manière irres­pon­sable – qu’il dépose son sperme dans un vagin alors que lui et sa par­te­naire n’essaient pas de conce­voir d’enfant. Ce n’est pas beau­coup deman­der aux hommes que d’éviter cela”, souligne-​t-​elle. Que les choses soient claires : c’est au sexe mas­cu­lin – et d’abord à lui – de prendre ses res­pon­sa­bi­li­tés. Pourquoi ? Parce que les hommes, cin­quante fois plus fer­tiles que les femmes, peuvent contrô­ler le moment et l’endroit où ils déposent leur sperme, alors qu’une femme ne peut pas déci­der d’ovuler. Mais aus­si parce qu’enfiler un pré­ser­va­tif ou s’offrir une vasec­to­mie est une solu­tion plus simple, plus pra­tique, plus sûre – mais aus­si moins coû­teuse aux États-​Unis – que prendre la pilule ou se faire liga­tu­rer les trompes. Alors, comme il vaut tou­jours mieux pré­ve­nir que gué­rir, n’attendez plus, mes­sieurs, pour “éja­cu­ler en toute responsabilité”…

Editions Leduc

Éjaculer en toute res­pon­sa­bi­li­té. Une nou­velle façon de pen­ser la charge contra­cep­tive, de Gabrielle Blair. Traduit de l'anlgais (états-​Unis par Marie Tillol. éditions Leduc, 152 pages, 17 euros.

Manuel rabat-​joie fémi­niste, de Sara Ahmed

… Cette maxime fait-​elle de Gabrielle Blair une rabat-​joie ? Sans doute. Et ce ne serait pas pour déplaire à la phi­lo­sophe anglo-​australienne Sara Ahmed, théo­ri­cienne queer et fémi­niste qui était jusqu’alors peu tra­duite en fran­çais. Outre Vivre une vie fémi­niste et Vandalisme queer atten­dus d’ici au prin­temps, vient de paraître son pré­cieux Manuel rabat-​joie fémi­niste. Pour elle, tout a com­men­cé à table, sous l’œil hos­tile de son père. “Tu deviens une rabat-​joie fémi­niste quand tu te mets en tra­vers du bon­heur des autres, ou sim­ple­ment quand tu te mets en tra­vers de leur che­min, ou encore quand tu gâches les dîners, quand tu ruines les atmo­sphères, quand tu casses l’ambiance”, décrit-​elle. Et ça ne date pas d’hier. En 1972, un article du New York Times oppo­sait déjà les rabat-​joie du mou­ve­ment de libé­ra­tion des femmes aux pom-​pom girls. Plutôt que de ten­ter de se défaire de cette image pois­seuse, Sara Ahmed l’endosse. Oui, les fémi­nistes sont des kill­joy, et alors ? Tuer la joie est une mis­sion pour ces femmes répu­tées trop sen­sibles, prêtes à expo­ser le pro­blème quitte à poser pro­blème. Elles ne rient pas aux mau­vaises blagues, c’est à ça qu’on les repère. Et refusent que le fémi­nisme serve à exclure celles qui ne seraient pas des femmes, des vraies. “La caté­go­rie de femmes a tou­jours été objet de dis­pute”, relève ain­si Sara Ahmed…

La decouverte

Manuel rabat-​joie fémi­niste, de Sara Ahmed. Traduit de l’anglais par Mabeuko Oberty et Emma Bigé. La décou­verte, 330 pages, 22 euros.

Ne suis-​je pas un·e fémi­niste ? d’Emmanuel Beaubatie

… Un constat qui résonne avec la ques­tion d’Emmanuel Beaubatie : Ne suis-​je pas un·e fémi­niste ? Dans ce texte, le socio­logue déplore que les trans – comme les les­biennes, les femmes noires, les pros­ti­tuées, etc. – n’aient pas le droit de se récla­mer du fémi­nisme. Du moins du point de vue de la “femel­liste”, cette féministe-​femelle dotée d’un vagin et d’un uté­rus, gages ultimes de légi­ti­mi­té. “Parce qu’elles ne sont pas nées avec les mêmes organes que les leurs, les femmes trans’ sont, dans ce rai­son­ne­ment, jugées comme illé­gi­times à faire par­tie du mou­ve­ment”, explique l’auteur. Dans les années 1970, les Gouines rouges se voyaient déjà repro­cher de rompre “le pacte de soro­ri­té”. Quant à Simone de Beauvoir, elle accu­sait les les­biennes de des­ser­vir la cause. Les années passent, mais la ques­tion reste : à quand un fémi­nisme vrai­ment inclusif ?

Seuil

Ne suis-​je pas un·e fémi­niste ?, d’Emmanuel Beaubatie. Seuil, 60 pages, 4,90 euros.

Lire aus­si I Dans “Post-​romantique”, la jour­na­liste Aline Laurent-​Mayard appelle à mettre fin à l’injonction au couple romantique

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