La pépite de Nancy Huston

Chaque mois, un auteur, une autrice, que Causette aime, nous confie l’un de ses coups de cœur littéraires. 

C’est un mys­tère, un météore, c’est incom­pré­hen­sible, ce livre est paru il y a un quart de siècle et son autrice est encore vivante, com­ment se peut-​il que le nom de Davenport ne nous soit pas aus­si fami­lier que celui de Morrison ou d’Adichie ou de Roy ? Car c’est de ce niveau-​là, je vous le pro­mets : oui, un uni­vers lit­té­raire aus­si riche et une écri­ture aus­si magis­trale que Beloved ou qu’Americanah ou que Le Dieu des petits riens. 

nancy huston copyright patrice normand
Nancy Huston © Patrice Normand

Le thème est Hawaï, dont Davenport est ori­gi­naire. Mot qui évoque irré­sis­ti­ble­ment des cli­chés tou­ris­tiques : femmes sémillantes aux che­veux longs, aux seins nus et aux col­liers de fleurs, qui dansent en disant « Aloha » pour nous atti­rer sur des plages imma­cu­lées. L’Île aux mirages nous fait entrer à la fois dans la vie d’une famille et dans l’histoire de ces îles situées à 4 000 kilo­mètres de la Californie, des­ti­nées à for­mer le cin­quan­tième et der­nier des États dits unis. Histoire san­glante et mécon­nue, comme toutes les his­toires de conquête coloniale.

On ren­contre dès les pre­mières pages les prin­ci­pales pro­ta­go­nistes, quatre cou­sines métisses, dis­sem­blables autant par l’apparence que par le carac­tère : Ming l’Hawaïenne-Chinoise, Vanya l’Hawaïenne-Philippine, Rachel l’Hawaïenne-peut-être-Japonaise, et Jess l’Hawaïenne-Américaine. Adultes désor­mais, elles se retrouvent comme chaque été de leur enfance dans la Grande Île, chez Pono, leur grand-​mère ado­rée et crainte. On suit le fil de ces quatre destinées-​là et de bien d’autres, remon­tant dans le temps jusqu’aux arrière-​grands-​parents, au XIXe siècle. On ver­ra des chasses à la baleine, des spo­lia­tions et des viols, on séjour­ne­ra dans une île réser­vée aux lépreux, on vivra le bom­bar­de­ment de Pearl Harbour sous un angle tota­le­ment nou­veau, on cir­cu­le­ra par­mi des pros­ti­tuées mineures à Bangkok, des vété­ri­naires à Manhattan et des barons de la drogue à Hongkong ; on assis­te­ra à des scènes d’amour sublimes et à des pré­pa­ra­tifs de révo­lu­tion vio­lente. On appren­dra de nou­veaux mots dans la langue hawaïenne si musi­cale, et une nou­velle manière d’appréhender le monde. 

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Le cœur bat­tant du livre en fin de compte, c’est Pono la grand-​mère – fière, têtue, butée et pas­sion­né­ment amou­reuse ; on ne l’oubliera jamais. Il faut tout faire pour que ce chef‑d’œuvre renaisse des cendres de l’oubli ! 

L’île aux mirages. Une saga hawaïenne, de Kiana Davenport. Traduit de l’anglais (États-​Unis) par Martine Desoille. Éd. Presses de la Cité, 638 pages, 1996.

Reine du réel. Lettre à Grisélidis Réal
Reine du réel 1

Habituée à « fran­chir les limites », « casse-​cou » de l’écriture intime, Nancy Huston a trou­vé une ver­sion plus trash d’elle-même. Dans Reine du réel. Lettre à Grisélidis Réal, l’autrice fémi­niste s’adresse à cette écri­vaine ­scan­da­leuse, pros­ti­tuée révo­lu­tion­naire, « dea­leuse, tau­larde, roman­cière, mili­tante, mère, amante, amie, peintre et poé­tesse » de vingt ans son aînée. Elle cherche à com­prendre les res­sorts de la fas­ci­na­tion, mais aus­si de la révolte que cette alter ego lui ins­pire par­fois, se deman­dant com­ment une femme aus­si lucide a pu défendre la sou­mis­sion « néces­saire » des tra­vailleuses du sexe à la vio­lence mas­cu­line. Nancy Huston sillonne la vie de Grisélidis Réal, ses car­nets de pri­son, ses cor­res­pon­dances, des pre­miers trau­ma­tismes d’enfance à Lausanne, dans une famille cal­vi­niste, jusqu’à son enga­ge­ment dans « la lutte des pros­ti­tuées ». Elle découvre la tra­jec­toire d’une femme à vif, qui jouit et souffre de sa fémi­ni­té. Une femme qui lui res­semble et qui, se reflé­tant dans cette lettre en forme de miroir bri­sé, nous appa­raît, à nous aus­si, comme une sœur. 

Reine du réel. Lettre à Grisélidis Réal, de Nancy Huston. Éd. Nil.176 pages, 16 euros.

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