Chaque mois, un auteur, une autrice, que Causette aime, nous confie l’un de ses coups de cœur littéraires.
C’est un mystère, un météore, c’est incompréhensible, ce livre est paru il y a un quart de siècle et son autrice est encore vivante, comment se peut-il que le nom de Davenport ne nous soit pas aussi familier que celui de Morrison ou d’Adichie ou de Roy ? Car c’est de ce niveau-là, je vous le promets : oui, un univers littéraire aussi riche et une écriture aussi magistrale que Beloved ou qu’Americanah ou que Le Dieu des petits riens.
![La pépite de Nancy Huston 1 nancy huston copyright patrice normand](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/04/nancy-huston-copyright-patrice-normand-768x1024.jpg)
Le thème est Hawaï, dont Davenport est originaire. Mot qui évoque irrésistiblement des clichés touristiques : femmes sémillantes aux cheveux longs, aux seins nus et aux colliers de fleurs, qui dansent en disant « Aloha » pour nous attirer sur des plages immaculées. L’Île aux mirages nous fait entrer à la fois dans la vie d’une famille et dans l’histoire de ces îles situées à 4 000 kilomètres de la Californie, destinées à former le cinquantième et dernier des États dits unis. Histoire sanglante et méconnue, comme toutes les histoires de conquête coloniale.
On rencontre dès les premières pages les principales protagonistes, quatre cousines métisses, dissemblables autant par l’apparence que par le caractère : Ming l’Hawaïenne-Chinoise, Vanya l’Hawaïenne-Philippine, Rachel l’Hawaïenne-peut-être-Japonaise, et Jess l’Hawaïenne-Américaine. Adultes désormais, elles se retrouvent comme chaque été de leur enfance dans la Grande Île, chez Pono, leur grand-mère adorée et crainte. On suit le fil de ces quatre destinées-là et de bien d’autres, remontant dans le temps jusqu’aux arrière-grands-parents, au XIXe siècle. On verra des chasses à la baleine, des spoliations et des viols, on séjournera dans une île réservée aux lépreux, on vivra le bombardement de Pearl Harbour sous un angle totalement nouveau, on circulera parmi des prostituées mineures à Bangkok, des vétérinaires à Manhattan et des barons de la drogue à Hongkong ; on assistera à des scènes d’amour sublimes et à des préparatifs de révolution violente. On apprendra de nouveaux mots dans la langue hawaïenne si musicale, et une nouvelle manière d’appréhender le monde.
![La pépite de Nancy Huston 2 Capture d’écran 2022 03 07 à 16.05.53](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/04/Capture-d’écran-2022-03-07-à-16.05.53.jpg)
Le cœur battant du livre en fin de compte, c’est Pono la grand-mère – fière, têtue, butée et passionnément amoureuse ; on ne l’oubliera jamais. Il faut tout faire pour que ce chef‑d’œuvre renaisse des cendres de l’oubli !
L’île aux mirages. Une saga hawaïenne, de Kiana Davenport. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Martine Desoille. Éd. Presses de la Cité, 638 pages, 1996.
Reine du réel. Lettre à Grisélidis Réal
![La pépite de Nancy Huston 3 Reine du réel 1](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/04/Reine-du-réel-1-585x1024.jpg)
Habituée à « franchir les limites », « casse-cou » de l’écriture intime, Nancy Huston a trouvé une version plus trash d’elle-même. Dans Reine du réel. Lettre à Grisélidis Réal, l’autrice féministe s’adresse à cette écrivaine scandaleuse, prostituée révolutionnaire, « dealeuse, taularde, romancière, militante, mère, amante, amie, peintre et poétesse » de vingt ans son aînée. Elle cherche à comprendre les ressorts de la fascination, mais aussi de la révolte que cette alter ego lui inspire parfois, se demandant comment une femme aussi lucide a pu défendre la soumission « nécessaire » des travailleuses du sexe à la violence masculine. Nancy Huston sillonne la vie de Grisélidis Réal, ses carnets de prison, ses correspondances, des premiers traumatismes d’enfance à Lausanne, dans une famille calviniste, jusqu’à son engagement dans « la lutte des prostituées ». Elle découvre la trajectoire d’une femme à vif, qui jouit et souffre de sa féminité. Une femme qui lui ressemble et qui, se reflétant dans cette lettre en forme de miroir brisé, nous apparaît, à nous aussi, comme une sœur.
Reine du réel. Lettre à Grisélidis Réal, de Nancy Huston. Éd. Nil.176 pages, 16 euros.