En lançant Dalva, maison d’édition qui ne publiera que des autrices, Juliette Ponce souhaite donner la place aux femmes, encore sous représentées dans le monde de la littérature. À lire dès le 6 mai : L'octopus et moi d'Erin Hortle et Trinity, Trinity, Trinity d'Erika Kobayashi.
Causette : Pourquoi avoir créé une maison d'édition pour autrices ?
Juliette Ponce : Ces dernières années, j’ai publié des ouvrages écrits par des femmes avec des voix assez fortes. J’ai constaté que ces livres très important pour moi étaient aussi accueillis de façon hyper chaleureuse quand on allait en librairies ou en festivals. Il y avait une vraie envie du public. J'ai commencé à me renseigner et les chiffres sont venus confirmer ce que je pensais : les femmes sont beaucoup moins publiées, le ratio est de l’ordre de 65% de livres écrits par des hommes pour seulement 35% d'autrices. Même sur la scène littéraire, elles sont beaucoup moins considérées. On arrive péniblement à 25 % de récompenses. C'est comme ça qu'est née l’idée de Dalva : porter des voix de femmes, avec des récits qui mettent en scène des thématiques sur lesquelles on les attend moins, comme les sciences. Et puis je voulais une maison qui soit à taille humaine, afin de pouvoir suivre le projet du moment où je craque sur un manuscrit, jusqu’à bien après, sa commercialisation.
Pourquoi ce nom, Dalva ?
J.P. : C’est une référence à l’héroïne du livre éponyme de Jim Harrison, un très beau personnage qui s’appelle Dalva. Je trouvais que ça faisait un petit clin d’œil ironique, puisque c’est écrit par un homme. C’est un personnage qui m’a beaucoup porté à l’adolescence. Dalva est une femme libre qui s’installe seule dans le ranch familial. Elle se réapproprie l’espace et sa vie, son histoire. J’aime me dire que les autrices de ma maison d’édition, c’est un peu toutes des Dalva : des femmes puissantes, libres, sensuelles, en contact avec la nature environnante. Si la Dalva de fiction écrivait un livre, j’adorerais le publier !
Quel genre de livres pourra-t-on lire ?
J.P. : En tant que lectrice, je suis portée vers des textes d’émancipation. Je suis quelqu’un d’assez pessimiste, donc j’adore les histoires qui vont de l’avant, qui ont un vrai élan. J’aimerais mettre à l’honneur ce regard féminin sur le monde, mais je ne sais pas si j’irai vers des textes ouvertement militants. Je souhaite vraiment mettre en avant toutes ces histoires, ces voix de femmes qu’on met de côté, comme si leur regard était moins intéressant. La devise de Dalva c’est « Les femmes écrivent le monde ». D'ailleurs, les autrices viennent un peu du monde entier. Les deux premiers livres qui sont publiés en mai sont d'une Australienne, Erin Hortle qui nous parle dans son premier roman L'octopus et moi des échos de la vie sauvage sur nos vies humaines. Et dans le même temps, la Japonaise Erika Kobayashi avec Trinity, Trinity, Trinity qui explore les mutations de notre société à travers trois générations de femmes. Dès janvier 2022, il y aura une Française.
Est-ce que cela a été difficile de fonder une maison d’édition réservée aux autrices ?
J.P. : Est-ce que j’ai eu droit à des remarques sceptiques ? Oui, quelques unes, généralement venant d’hommes d’un certain âge, qui trouvent que c’est atrocement sexiste d’exclure les hommes. Or, moi, ma vie de lectrice a été forgée par des lectures d’auteurs hommes. Alors je ne vois pas pourquoi dix livres par an qui sont publiés spécifiquement parce qu’ils sont écrits par des femmes, justement pour rétablir une certaine injustice, ça suscite le débat. C’est un peu triste, mais ces remarques ont été ultra minoritaires. Pour être honnête, j’ai surtout ressenti un grand enthousiasme autour de cette idée. Je pense que ça aurait été encore différent si j’avais fondé une maison à visée militante, parce que je crois qu’en France, on n’est pas très à l’aise avec cette idée de séparer, de mettre en avant un genre, une communauté. Je m’attendais à entendre plus de critiques. Après on verra, peut-être qu’une fois que les livres sortiront, de fervents opposants sortiront aussi !