Un ennemi du peuple, Adieu triste amour et Deux ans dans les rangs : les trois bande-dessinées à découvrir ce mois-ci.
Haro sur le lanceur d’alerte
![Sélection BD : avril 2022 1 97910347379631](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/04/97910347379631-782x1024.jpg)
« La démocratie […], c’est un combat continu. » En mettant en exergue, au milieu de son album, cette citation de l’écrivain turc Hakan Günday, le bédéaste Javi Rey justifie brillamment son choix de donner une nouvelle vie à la pièce d’Henrik Ibsen, Un ennemi du peuple. Le texte du dramaturge norvégien, écrit en 1882, raconte le combat d’un médecin d’une station thermale, sur laquelle repose toute l’économie de la ville, qui entre en lutte contre le maire, après avoir découvert une contamination des eaux. Maire qui s’avère être son propre frère… On y parle de populisme, de désastre écologique et de lobbying. Un programme on ne peut plus contemporain, près de cent cinquante ans plus tard. Mais la BD de l’auteur espagnol est une véritable adaptation, qui arrive habilement à écarter le versant nihiliste de l’œuvre d’Ibsen pour souligner la modernité de ce classique à redécouvrir d’urgence. Situer l’intrigue sur une île permet ainsi à Javi Rey d’en exacerber les enjeux, quand son dessin en ligne claire les rend accessibles à tous et toutes.
Un ennemi du peuple, de Javi Rey (d’après Henrik Ibsen). Éd. Dupuis/Coll. Aire libre, 152 pages, 24 euros.
Cléo en violet
![Sélection BD : avril 2022 2 Couv Adieu triste amour BD 1 1](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/04/Couv-Adieu-triste-amour_BD-1-1-699x1024.jpg)
Avec un blog sur les représentations du genre dans la pop culture (Commando Culotte), une BD jeunesse et une première fiction sur la dépression, Mirion Malle s’est imposée en quelques années comme l’une des figures montantes de la BD française, hissant haut les couleurs du féminisme. Elle revient avec un nouvel album encore plus personnel, où l’on suit Cléo, une autrice de BD expatriée à Montréal (comme elle) qui, déçue par son petit ami, quitte la ville pour se réinventer. Afin de raconter cette mue, Mirion Malle a remisé ses planches en noir et blanc. Usant de teintes bleues grisées dans les premières pages pour évoquer le doute qui s’insinue quant à la bienveillance du copain de Cléo, l’album ne va cesser de se réchauffer au fil des pages pour culminer avec un ciel violacé éclatant, dont la couleur, étroitement liée aux mouvements féministes, ne doit bien sûr rien au hasard. Au croisement d’influences éclectiques, de la Nouvelle Vague à Tom-Tom et Nana, cette BD est un hymne à la sororité, profondément sincère et attachant.
Adieu triste amour, de Mirion Malle. Éd. La ville brûle, 212 pages, 20 euros. Sortie le 1er avril
Femmes au service
![Sélection BD : avril 2022 3 Deux ans COUV](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/04/Deux-ans_COUV-736x1024.jpg)
Deux ans : c’est la version « courte » du service militaire en Israël, celle destinée aux femmes, les hommes ayant six mois supplémentaires. Obligatoire, cette période au sein de Tsahal – l’armée nationale – est un véritable rite de passage à l’âge adulte, promu comme un puissant intégrateur social. Derrière cette jolie propagande, la réalité est un peu moins brillante, entre corvées inutiles et bassesses humaines, les jeunes recrues étant à la merci de petit·es chef·fes omnipotent·es, parfois à peine plus âgé·es qu’elles. Dix ans après avoir effectué son devoir civique, Aya Talshir revient, dans ce premier album, sur son expérience. Tout en racontant avec humour les difficultés d’un quotidien absurde, l’autrice brosse aussi le portrait d’un apprentissage de la solidarité face à un système pensé par et pour les hommes. Si le récit a parfois du mal à dépasser la collection d’anecdotes, il porte néanmoins un sérieux coup de canif à l’institution militaire et interroge l’enrôlement forcé d’une jeunesse influençable.
Deux ans dans les rangs, d’Aya Talshir. Éd. Cambourakis, 128 pages, 18 euros.