Rose Lamy, curatrice du compte Instagram féministe « Préparez-vous pour la bagarre », vient de publier Défaire le discours sexiste dans les médias, un livre qui décrypte les propos culpabilisant des victimes et déresponsabilisant des auteurs.
![Rose Lamy : « Encore trop souvent en matière de violences de genre, une bonne victime est une victime morte » 1 rose lamy 2 credit tay calenda](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2021/12/rose-lamy-2-credit-tay-calenda-682x1024.jpg)
A une époque où le bagage féministe de Rose Lamy n’était pas encore celui qu'elle porte aujourd’hui, elle s'interrogeait déjà sur les termes sexistes utilisés par les médias. Au fil de son parcours professionnel, alors qu’elle se spécialise dans la gestion de crise, la communicante acquiert les outils nécessaires à la compréhension de la sémantique, et réalise alors l’importance du poids des mots. En créant son compte instagram « Préparez-vous pour la bagarre » en mars 2019, elle cherche à montrer que le discours sexiste des médias n’est pas que « malchance » ou « maladresse ». Pour elle, rien n’est laissé au hasard. Aujourd’hui aidée dans ce travail d’analyse par son réseau d’abonné·es, elle décrypte des titres de journaux ou des propos diffusés sur des radios ou des plateaux TV. De ce compte insta est né le livre Défaire le discours sexiste dans les médias, publié aux Éditions Lattès en novembre 2021.
Causette : Quels sont les discours médiatiques sexistes les plus marquants que vous avez pu analyser au cours de votre travail ?
Rose Lamy : Premièrement, les articles qui parlent de violences punitives : dire que les femmes ont mérité ce qui leur arrive est très ancré. Pendant le premier confinement par exemple, sur une histoire de viol, le journaliste a jugé bon de mentionner que nous n’avions pas le droit de sortir et que c’était affiché clairement sur les parcs. Si elle prend des risques, c'est mérité, si elle répond, c'est mérité, si elle n’a pas réagi, c'est encore mérité…
La déresponsabilisation m’a également fascinée car je ne pensais pas que le phénomène était aussi important. C’est une vraie incapacité collective à dire que ce sont les hommes, les agresseurs et les violeurs.
Enfin, la métonymie est aussi assez spectaculaire : désigner la partie pour parler du tout. On va parler de la main de l'agresseur ou des coups qui tuent. La démonstration ultime est le concept des « mains baladeuses ». Comme on nomme pas, on humanise pas le problème, il reste abstrait, et on se dit qu’on ne peut pas lutter, c'est fataliste.
Quelle évolution avez-vous pu voir sur le sujet depuis la création de votre compte en mars 2019 jusqu’à aujourd’hui ?
R.L. : Ça change au niveau du discours d'omerta, de protection des élites. Les médias ont développé des enquêtes de presse sur l'inceste et les féminicides, sur lesquels on a beaucoup avancé. C'est plus facile de travailler sur le sujet parce que les victimes sont mortes et qu'on a pas besoin de les croire, c’est une bonne victime. Encore trop souvent, pour certains médias, à partir du moment où elles survivent, elles sont suspectes. Il faut démonter ces croyances profondément ancrées et misogynes. On tolère encore trop de discours de culture du viol dans les médias. A chaque affaire, c'est toujours les mêmes résistances. C'est une bataille, mais j'ai l'impression qu'on est au cœur de tout ça, que c’est en train d’évoluer. En tous cas, j'ai de l'espoir.
Y a‑t-il eu un élément déclencheur à ce changement ?
R.L. : Il y a eu MeToo, mais nous avons perdu des années avec des mécanismes de protection visant à rassurer les Français en leur disant « mais non pas tous les hommes » ou « mais oui, vous allez pouvoir continuer à draguer ». Une des réactions face à MeToo a été de parler de « délation », c’est le glissement sémantique le plus spectaculaire et l'inversion de la charge de la responsabilité en un mot. Cela nous a ralentis sur le travail de la parole des victimes : arrêter de penser par principe qu'elles mentent, qu’elles ont quelque chose à y gagner…Récemment, les affaires PPDA et Hulot ont été assez marquantes parce qu'on a assisté à des dénonciations où nous n’avons pas cru les femmes et protégé les hommes [alors que Florence Porcel l’accusait de viols, Patrick Poivre d’Arvor s’est rendu sur le plateau de Quotidien en mars 2021 pour se défendre. Lors de l’enquête d’Ebdo sur Nicolas Hulot en 2018, l’ensemble du gouvernement a pris la défense de celui qui était alors ministre de la Transition écologique, ndlr]. Et il y a eu une deuxième attaque, cette fois organisée, coordonnée, avec des enquêtes de presse, des médias qui montent au front, et tout de suite, la crédibilité des victimes a complètement changé. [En novembre, le témoignage de 8 femmes accusant Patrick Poivre d’Arvor, publié par Libération, a contribué au #MeTooMedia, tandis que l’enquête diffusé par Envoyé Spécial sur l’affaire Hulot a fait réagir au sein même de la classe politique, ndrl]
Prévoyez-vous un second volume ?
R.L. : Il va peut-être falloir un deuxième tome mais pas tout de suite. Je vois que les discours se réinventent, on entend de plus en plus de propos féministes, beaucoup de livres sont publiés, les femmes s'exposent, prennent confiance. Je soupçonne plein de médias training solidaire entre féministes, ça m'intéresse plus que le discours sexiste ! Je regrette juste de n’avoir pas pu parler de wokisme, c'est arrivé un peu après. Il manque aussi des secteurs que je n'ai pas abordés : la presse féminine, la presse satirique, la presse people, il pourrait y avoir plein de déclinaisons, que j'invite tout le monde à faire.