Rose Lamy : « Encore trop sou­vent en matière de vio­lences de genre, une bonne vic­time est une vic­time morte »

Rose Lamy, cura­trice du compte Instagram fémi­niste « Préparez-​vous pour la bagarre », vient de publier Défaire le dis­cours sexiste dans les médias, un livre qui décrypte les pro­pos culpa­bi­li­sant des vic­times et déres­pon­sa­bi­li­sant des auteurs. 

rose lamy 2 credit tay calenda
© Tay Calenda

A une époque où le bagage fémi­niste de Rose Lamy n’était pas encore celui qu'elle porte aujourd’hui, elle s'interrogeait déjà sur les termes sexistes uti­li­sés par les médias. Au fil de son par­cours pro­fes­sion­nel, alors qu’elle se spé­cia­lise dans la ges­tion de crise, la com­mu­ni­cante acquiert les outils néces­saires à la com­pré­hen­sion de la séman­tique, et réa­lise alors l’importance du poids des mots. En créant son compte ins­ta­gram « Préparez-​vous pour la bagarre » en mars 2019, elle cherche à mon­trer que le dis­cours sexiste des médias n’est pas que « mal­chance » ou « mal­adresse ». Pour elle, rien n’est lais­sé au hasard. Aujourd’hui aidée dans ce tra­vail d’analyse par son réseau d’abonné·es, elle décrypte des titres de jour­naux ou des pro­pos dif­fu­sés sur des radios ou des pla­teaux TV. De ce compte ins­ta est né le livre Défaire le dis­cours sexiste dans les médias, publié aux Éditions Lattès en novembre 2021.

Causette : Quels sont les dis­cours média­tiques sexistes les plus mar­quants que vous avez pu ana­ly­ser au cours de votre travail ?

Rose Lamy : Premièrement, les articles qui parlent de vio­lences puni­tives : dire que les femmes ont méri­té ce qui leur arrive est très ancré. Pendant le pre­mier confi­ne­ment par exemple, sur une his­toire de viol, le jour­na­liste a jugé bon de men­tion­ner que nous n’avions pas le droit de sor­tir et que c’était affi­ché clai­re­ment sur les parcs. Si elle prend des risques, c'est méri­té, si elle répond, c'est méri­té, si elle n’a pas réagi, c'est encore mérité…

La déres­pon­sa­bi­li­sa­tion m’a éga­le­ment fas­ci­née car je ne pen­sais pas que le phé­no­mène était aus­si impor­tant. C’est une vraie inca­pa­ci­té col­lec­tive à dire que ce sont les hommes, les agres­seurs et les violeurs.

Enfin, la méto­ny­mie est aus­si assez spec­ta­cu­laire : dési­gner la par­tie pour par­ler du tout. On va par­ler de la main de l'agresseur ou des coups qui tuent. La démons­tra­tion ultime est le concept des « mains bala­deuses ». Comme on nomme pas, on huma­nise pas le pro­blème, il reste abs­trait, et on se dit qu’on ne peut pas lut­ter, c'est fataliste.

Quelle évo­lu­tion avez-​vous pu voir sur le sujet depuis la créa­tion de votre compte en mars 2019 jusqu’à aujourd’hui ?

R.L. : Ça change au niveau du dis­cours d'omerta, de pro­tec­tion des élites. Les médias ont déve­lop­pé des enquêtes de presse sur l'inceste et les fémi­ni­cides, sur les­quels on a beau­coup avan­cé. C'est plus facile de tra­vailler sur le sujet parce que les vic­times sont mortes et qu'on a pas besoin de les croire, c’est une bonne vic­time. Encore trop sou­vent, pour cer­tains médias, à par­tir du moment où elles sur­vivent, elles sont sus­pectes. Il faut démon­ter ces croyances pro­fon­dé­ment ancrées et miso­gynes. On tolère encore trop de dis­cours de culture du viol dans les médias. A chaque affaire, c'est tou­jours les mêmes résis­tances. C'est une bataille, mais j'ai l'impression qu'on est au cœur de tout ça, que c’est en train d’évoluer. En tous cas, j'ai de l'espoir.

Y a‑t-​il eu un élé­ment déclen­cheur à ce changement ?

R.L. : Il y a eu MeToo, mais nous avons per­du des années avec des méca­nismes de pro­tec­tion visant à ras­su­rer les Français en leur disant « mais non pas tous les hommes » ou « mais oui, vous allez pou­voir conti­nuer à dra­guer ». Une des réac­tions face à MeToo a été de par­ler de « déla­tion », c’est le glis­se­ment séman­tique le plus spec­ta­cu­laire et l'inversion de la charge de la res­pon­sa­bi­li­té en un mot. Cela nous a ralen­tis sur le tra­vail de la parole des vic­times : arrê­ter de pen­ser par prin­cipe qu'elles mentent, qu’elles ont quelque chose à y gagner…Récemment, les affaires PPDA et Hulot ont été assez mar­quantes parce qu'on a assis­té à des dénon­cia­tions où nous n’avons pas cru les femmes et pro­té­gé les hommes [alors que Florence Porcel l’accusait de viols, Patrick Poivre d’Arvor s’est ren­du sur le pla­teau de Quotidien en mars 2021 pour se défendre. Lors de l’enquête d’Ebdo sur Nicolas Hulot en 2018, l’ensemble du gou­ver­ne­ment a pris la défense de celui qui était alors ministre de la Transition éco­lo­gique, ndlr]. Et il y a eu une deuxième attaque, cette fois orga­ni­sée, coor­don­née, avec des enquêtes de presse, des médias qui montent au front, et tout de suite, la cré­di­bi­li­té des vic­times a com­plè­te­ment chan­gé. [En novembre, le témoi­gnage de 8 femmes accu­sant Patrick Poivre d’Arvor, publié par Libération, a contri­bué au #MeTooMedia, tan­dis que l’enquête dif­fu­sé par Envoyé Spécial sur l’affaire Hulot a fait réagir au sein même de la classe poli­tique, ndrl]

Lire aus­si l Affaire Nicolas Hulot : « Les femmes qui ont témoi­gné sont sou­la­gées de voir que leur parole est suf­fi­sam­ment cré­dible pour que la jus­tice s'en empare »

Prévoyez-​vous un second volume ?

R.L. : Il va peut-​être fal­loir un deuxième tome mais pas tout de suite. Je vois que les dis­cours se réin­ventent, on entend de plus en plus de pro­pos fémi­nistes, beau­coup de livres sont publiés, les femmes s'exposent, prennent confiance. Je soup­çonne plein de médias trai­ning soli­daire entre fémi­nistes, ça m'intéresse plus que le dis­cours sexiste ! Je regrette juste de n’avoir pas pu par­ler de wokisme, c'est arri­vé un peu après. Il manque aus­si des sec­teurs que je n'ai pas abor­dés : la presse fémi­nine, la presse sati­rique, la presse people, il pour­rait y avoir plein de décli­nai­sons, que j'invite tout le monde à faire.

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