Chaque mois, Causette vous balade dans ses lectures idéales. En cette rentrée d’hiver, plusieurs ouvrages se payent l’époque à travers ses vérités, ses absurdités et ses postures.
Entrons dans notre rayonnage par les lignes les plus revigorantes de cette rentrée. On les doit à Lydie Salvayre. Irréfutable essai de successologie oscille entre fantaisie littéraire, pastiche, essai… Au bout du compte, c’est un pamphlet. En dix-huit chapitres provocants, elle concocte un (anti) manuel sur une question vieille comme le monde et qui le fait tourner bourrique à l’heure de TikTok et d’Insta : « Comment se faire un nom ? Comment émerger de la masse ? Comment s’arracher à son insignifiance ? » Et puisque « l’heure n’est plus aux pudeurs virginales devant la suprématie de l’argent et les money makers », la lauréate du prix Goncourt 2014 (dé)fait le portrait de « l’influenceuse bookstagrameuse » (qui s’évertue « à plaquer sur son visage la profondeur qui manque à son cerveau », de « l’homme influent » (qui rachète des médias et fréquente les buffets mondains) et de quelques autres. Le fond est plein de colères, la forme est d’une mauvaise foi omniprésente : éclats de rire garantis.
Ce n’est pas aux écrans de fumée, mais à ceux du ciné que s’attaque Hélène Frappat dans Trois femmes disparaissent. Qu’ont en commun Les Oiseaux, l’un des Hitchcock les plus connus, Body Double ou Working Girl, films emblématiques des eighties, et Cinquante nuances de Grey, romance porno-soft du XXIe ? Leurs héroïnes sont incarnées par des actrices de la même famille que leur carrière a, tour à tour, mises en danger. Sur le tournage du film du même nom, Tippi Hedren a été attaquée par de vrais oiseaux, alors que ceux-ci auraient dû être faux. Elle a ensuite été harcelée par le réalisateur anglais. Melanie Griffith, sa fille, a été griffée et défigurée par une lionne sur le tournage d’un film où elle jouait avec sa mère. Petite-fille de la première et fille de la seconde, Dakota Johnson a incarné un personnage de jeune femme prise dans l’engrenage d’une domination masculine. Imaginant une détective qui plonge dans leur filmographie, Hélène Frappat raconte le corps supplicié et/ou exploité des trois femmes, et comment elles furent finalement contraintes à une certaine invisibilisation.
Chez Wendy Delorme, la lionne est dans le titre. On l’a tellement appelée « poule », « poussin », tant voulu la prendre « comme une chienne », si souvent vue comme « une morue » ou « une vipère », – elle a été à elle toute seule un tel « bestiaire » –, qu’elle a fini par décider de choisir : « De toutes les animales, quitte à en choisir une, je serais lionne – la seule fauve qui vit en clan avec ses sœurs. […] Cet être appartient à une double minorité : animale, femelle. » Dans Devenir lionne, l’autrice et performeuse rembobine un peu son propre parcours : à Berlin où elle vivait au début des années 2000, elle allait souvent voir une (vraie) lionne dans un zoo tout en vivant un amour qui finirait par l’enfermer. Son livre alterne souvenirs personnels et chapitres plus érudits, sur la prédation et le patriarcat dans notre Histoire. Ses lignes sont ici « une incantation pour faire advenir la puissance déferlante, cette puissance d’être et de réalisation […]. Un chant pour effacer les traces de culpabilité. » Ou comment trois livres de janvier dévorent leur temps et notre époque.
Irréfutable essai de successologie, de Lydie Salvayre. Seuil, 176 pages 17,50 euros. En librairie le 6 janvier.
Trois femmes disparaissent, d’Hélène Frappat. Actes Sud, 192 pages, 20 euros. En librairie le 4 janvier.
Devenir lionne, de Wendy Delorme. JC Lattès, 200 pages, 19 euros. En librairie le 18 janvier.