L'inédit d'Annie Ernaux, bien sûr, mais aussi le dernier né du Libano-américain Rabih Alameddine et celui de la Canado-japonaise Aki Shimazaki.
Ernaux en mai
Ce mois-ci, les fans d’Annie Ernaux, figure majeure de la littérature, devraient se trouver comblé·es ! D’abord est publiée une novella de quarante pages, Le Jeune Homme, écrite en 1998 et demeurée inédite jusqu’à aujourd’hui. Elle y raconte l’histoire d’amour qu’elle vécut alors avec un étudiant de trente ans son cadet. Retraçant cette relation avec la minutie qui lui est propre, et fidèle à son audace, elle brise une nouvelle fois un tabou qui reste un impensé de nos sociétés : un corps féminin de plus de 50 ans qui jouit, qui plus est avec un homme plus jeune. « Devant [le visage] d’A., le mien était également jeune. Les hommes savaient cela depuis toujours, je ne voyais pas au nom de quoi je me le serais interdit », écrit-elle.
Au même moment paraît une somme consacrée à son œuvre, un numéro des Cahiers de L’Herne, ces fameuses monographies consacrées à de grands noms de la pensée et du paysage littéraire hexagonal (de Lévi-Strauss à Houellebecq en passant par Bobin, Céline, Michon). Il s’adresse à ses fidèles aussi bien qu’aux profanes, avec une quarantaine de contributions d’autrices (Nathalie Kuperman, Geneviève Brisac, Delphine de Vigan, Audrey Diwan, Jeanne Cherhal…), trois entretiens inédits avec l’écrivaine et de nombreux extraits jamais dévoilés de son journal d’écriture. Deux ouvrages qui disent beaucoup d’Ernaux et des coulisses de son œuvre. H. A.
Le Jeune Homme, d’Annie Ernaux. Éd. Gallimard, 48 pages, 8 euros.
Cahiers de L’Herne no 138, dirigé par Pierre-Louis Fort. Éd. de L’Herne, 330 pages, 33 euros
La voie des invisibles
Devenir plus grand·es que nous-mêmes, un cheminement qui passe par l’empathie et l’engagement. C’est la voie qu’emprunte Mina Simpson, une médecin libano-américaine qui décide de se rendre sur l’île de Lesbos pour y aider une amie à secourir les migrant·es syrien·nes, et principale protagoniste de La Réfugiée. Elle y rencontre un écrivain, également sur place, à qui elle confie son histoire : transsexuelle, Mina est reniée depuis trente ans par sa propre famille, au Liban, raison pour laquelle elle entre en empathie avec ces réfugié·es, eux·elles-mêmes rejeté·es par à peu près tout le monde. C’est le portrait tour à tour déchirant et rageur de migrant·es accumulant les handicaps que dépeint Rabih Alameddine. Du début à la fin, c’est une leçon de vies. Lui aussi libano-américain, il avait remporté le prix Femina étranger 2016 pour Les Vies de papier. H. A.
La Réfugiée, de Rabih Alameddine, traduit de l’anglais (États-Unis) par Nicolas Richard. Éd. Les Escales, 400 pages, 22 euros.
La dame sur l'échiquier
Clac, clac… Les talons hauts d’une Japonaise à l’allure parfaite résonnent dans un hall d’aéroport. Direction : un bar à cocktail chic pour retrouver l’homme qu’elle fréquente en ce moment. Cette femme, c’est Kyôko-san, héroïne fascinante du nouveau roman d’Aki Shimazaki, écrivaine québécoise d’origine japonaise. Dans ce livre intitulé No-no-yuri, du nom d’un restaurant caché dans les hauteurs de Tokyo, on suit les aventures sexuelles, professionnelles, familiales et gastronomiques d’une femme libre. Libre de quoi ? De vivre, de jouir… et de dire non à ceux qui veulent l’épouser ou faire d’elle leur poupée. Jusqu’à quand ? Dans cette chorégraphie gra- cieuse, des pièges surgissent, ici et là… Un roman exal- tant qui se lit comme un shot de whisky autour d’une partie de shôgi (jeu d’échecs) : les joues chauffent, la tension monte, mais il faut tenir à l’œil ce qui risque de mal tourner. Un coup de maître ! L. M.
No-no-yuri, d’Aki Shimazaki. Éd. Actes Sud, 173 pages, 16,50 euros.