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De gauche à droite © Editions Dargaud, © Editions La Ville qui Brûle, © Editions Bayard Graphic, © editions Futuropolis

"Minuscule Folle sau­vage", "Ce que je sais de Rokia" : nos quatre recos BD de février

Un album poé­tique sur la soli­tude, une col­la­bo­ra­tion franco-​italienne sui­vant le par­cours d’une jeune migrante, une his­toire fami­liale mar­quée par l’industrialisation des nais­sances dans le régime nazi, un récit d’apprentissage dans la mas­cu­li­ni­té toxique de la mafia : voi­ci nos quatre recos BD du mois de février. 

Minuscule Folle sauvage

Avec sa pre­mière BD, Pauline de Tarragon – alias la chan­teuse Pi Ja Ma – vient mur­mu­rer aux oreilles des anxieux·euses, des soli­taires, des introverti·e·s. À toutes celles et ceux qui aiment voir des gens un peu, mais pas trop. Dès les pre­mières pages, on est sai­si par la sen­si­bi­li­té et la poé­sie de ces des­sins faus­se­ment mini­ma­listes, par ces petites méta­phores gra­phiques qui en disent beau­coup. Si l’autrice raconte le sen­ti­ment de soli­tude, elle le fait en bonne com­pa­gnie, ryth­mant sa confi­dence avec les mots de l’écrivaine Isabelle Sorente, de l’essayiste Mona Chollet ou de la poé­tesse Sylvia Plath. “Quand je me sens seule, je m’imagine en com­pa­gnie de Björk à la lave­rie ou avec Dalida dans la ligne 13.” Si le pro­pos est par­fois grave, lorsqu’elle évoque la dépres­sion ou son sui­vi en cli­nique psy­chia­trique, l’album ne perd jamais son carac­tère récon­for­tant qui se reflète dans son agen­ce­ment des cou­leurs, des formes, des let­trages. Il y a quelque chose d’apaisant à voir Pauline de Tarragon mettre les paroles de chan­sons soli­taires dans des bocaux bien ran­gés sur des éta­gères et à faire de ses troubles des cou­leurs de robe, dans un hom­mage déca­lé au Peau d’âne de Jacques Demy (“robe cou­leur de pho­bie sociale”, “robe cou­leur de dépres­sion nerveuse”…).

C1 Minuscule folle sauvage HD

Minuscule Folle sau­vage, de Pauline de Tarragon. La ville brûle, 112 pages, 20 euros.

Ce que je sais de Rokia

“La diver­si­té, ça ne se gère pas, ça s’accueille, en fai­sant preuve de créa­ti­vi­té.” Cette phrase pro­non­cée au détour de la BD, Marion va en faire l’expérience en accueillant dans sa famille Rokia, une jeune migrante arri­vée depuis le Liberia. Loin de toute idéa­li­sa­tion, cet album ins­pi­ré du vécu de la scé­na­riste Quitterie Simon raconte le lien dif­fi­cile à tis­ser avec quelqu’un qui vient d’un monde tota­le­ment dif­fé­rent et qui a tra­ver­sé des épreuves dont les échos sont inces­sants. Il y a de l’incompréhension, du doute, du décou­ra­ge­ment. Mais aus­si beau­coup d’empathie, d’attachement, d’amitié. La com­plexi­té de cette rela­tion humaine est sub­ti­le­ment por­tée par l’aquarelle de Francesca Vartuli, médium par défi­ni­tion impré­vi­sible et qui apporte beau­coup de dou­ceur et de nuance. Autre joli sym­bole : la col­la­bo­ra­tion entre une scé­na­riste fran­çaise et une des­si­na­trice ita­lienne, les deux pays jouant un rôle clé dans le par­cours de migra­tion de Rokia, comme pour tant d’autres. L’absurdité des pro­cé­dures légales et leurs engre­nages par­fois kaf­kaïens sont d’ailleurs très bien sou­li­gnés par la BD.

COUV CE QUE JE SAIS DE ROKIA WEB

Ce que je sais de Rokia, de Quitterie Simon et Francesca Vartuli. Futuropolis, 176 pages, 23 euros.

Lebensborn

En paral­lèle de l’industrialisation de la mort mise en place pour réa­li­ser le géno­cide juif, le régime nazi a por­té un autre pro­gramme, cette fois d’industrialisation des nais­sances, qui repo­sait sur ce qu’on appe­lait les Lebensborn. Des mater­ni­tés et crèches entiè­re­ment dédiées à faire émer­ger la “race aryenne” théo­ri­sée par Hitler. Katherine Maroger est née dans l’un de ces éta­blis­se­ments, enfant d’une jeune Norvégienne qui tom­ba amou­reuse d’un tout aus­si jeune sol­dat alle­mand. Si elle a racon­té cette quête intime dans un livre (Les Racines du silence, Anne Carrière, 2008), sa fille Isabelle, illus­tra­trice, avait besoin de s’approprier cette his­toire qui est aus­si la sienne et celle de son jeune fils. C’est chose faite avec cette BD au trait léger qui, der­rière une très belle cou­ver­ture qui rap­pelle les Unes du New Yorker, retrace avec sen­si­bi­li­té la façon dont chaque géné­ra­tion a reçu cette his­toire fami­liale bou­le­ver­sée par la grande. En s’affranchissant du gau­frier et de ses cases, Isabelle Maroger laisse res­pi­rer ses des­sins et dif­fu­ser leur émo­tion sur toute la page. Un bel hom­mage, aus­si, à toutes ces femmes ins­tru­men­ta­li­sées par l’idéologie nazie et dont le corps fut réduit à ses fonc­tions reproductives.

COUV Lebensborn souple

Lebensborn, d’Isabelle Maroger. Bayard Graphic, 224 pages, 22 euros.

Rivages loin­tains

Cette pre­mière BD d’Anaïs Flogny détonne en par­ve­nant à réin­ven­ter un type d’histoire très codi­fié : le récit d’apprentissage dans le monde de la mafia. Si l’ombre bien­veillante des “grands” du genre, notam­ment au ciné­ma, reste omni­pré­sente (Le Parrain de Coppola, sur­tout, mais aus­si Il était une fois en Amérique de Leone ou Les affran­chis de Scorsese), la bédéaste ques­tionne la mas­cu­li­ni­té toxique de ces modèles et fait d’une romance pas­sion­née entre deux hommes le cœur de son récit. Aussi sub­ver­sif soit-​il, ce polar mafieux LGBT coche par ailleurs toutes les cases du genre (ascen­sion san­glante, tra­hi­sons, dilemmes moraux…) et déploie tout leur poten­tiel de sus­pense tra­gique dans l’Amérique des années 1940. Même s’il n’a d’yeux que pour son atta­chant per­son­nage prin­ci­pal, un jeune immi­gré ita­lien andro­gyne qui a d’ailleurs, pour mieux s’insérer, amé­ri­ca­ni­sé son pré­nom (Giuliano) en un Jules par­fai­te­ment ambi­gu puisque éga­le­ment fémi­nin aux États-​Unis. Anaïs Flogny rap­pelle aus­si com­bien le 9e art est en train de se renou­ve­ler grâce à une géné­ra­tion d’artistes ins­pi­rés autant par la BD franco-​belge que par le man­ga, et qui mélange tout ça en un géné­reux cock­tail graphique.

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Rivages loin­tains, d’Anaïs Flogny. Dargaud/Combo,240 pages, 19 euros.

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