Un conte autour du complotisme, des vacances mélancoliques à New York, un voyage en altermondialisme, une expérience seul dans le Grand Nord. Voici nos recos BD de la semaine.
Le Roi Méduse
Un père complotiste, son jeune fils, une maison progressivement coupée du monde. Le cadre est simple. C’est oublier que Brecht Evens, star de la BD indé, est aux commandes. L’auteur belge néerlandophone tisse une ambiance fantasmagorique qui enveloppe le récit de la radicalisation du père pour la raconter à hauteur d’enfant. Le monde apparaît alors sous le prisme déformant de l’éducation reçue par le petit garçon et de son imagination débridée. Les scènes les plus simples (comme une fuite de gaz) prennent tout de suite des allures magiques et nous emmènent dans une autre dimension. Avec ce grand écart permanent entre l’impression de vivre un récit d’aventure XXL tout en lisant une fable terriblement réaliste sur les mécanismes d’emprise. Devant ce fourmillement de détails, où le sens de chaque image semble se recomposer à l’infini, on décèle dans le choix de telle ou telle technique (aquarelle, gouache, marqueur…) toute la minutie avec laquelle le bédéaste donne vie à chaque idée. Vivement la deuxième partie à l’automne ! Si Brecht Evens avait reçu en 2019 le Prix spécial du jury à Angoulême pour Les Rigoles, on ne serait pas surpris que ce Roi Méduse le mène au Fauve d’or…
![“Le roi méduse”, “New York, New York”… : nos 4 recos BD du week-end 2 couv presse roi meduse RVB](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2024/01/couv-presse-roi-meduse-RVB-758x1024.jpg)
Le Roi Méduse (première partie), de Brech Evens. Actes Sud, 288 pages, 32 euros.
New York, New York
Trois amies partent à New York pour passer des vacances ensemble. Mais ne vous attendez pas à une BD feel good avec la Grosse Pomme en majesté. Si l’immersion dans Manhattan est bien réelle et la déambulation de Central Park à Soho au programme, le voyage de ces jeunes étudiantes est comme voilé par une mélancolie au goût un peu amer, quand Fiona commence à prendre beaucoup de place et met une distance entre Zoe et Dani. Les cousines Tamaki (Mariko au scénario et Jillian au dessin), bédéastes canadiennes, relatent avec subtilité la désillusion du voyage et cette langueur à la fois angoissée et insouciante qui caractérise parfois la transition entre l’adolescence et l’âge adulte. L’immensité de la ville, passée au filtre d’une légère bichromie rose et violette, vient refléter le mélange de liberté et d’incompréhension ressentie par ces jeunes femmes qui apprennent à s’affirmer et à construire leurs opinions, loin de leurs repères familiers.
![“Le roi méduse”, “New York, New York”… : nos 4 recos BD du week-end 3 New York New York](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2024/01/New-York-New-York-744x1024.jpg)
New York New York, de Mariko et Jillian Tamaki. Rue de Sèvres, 448 pages, 25 euros.
Terres rebelles
En 2021, une délégation zapatiste mexicaine composée de quatre femmes, deux hommes et une personne trans, a pris la mer à bord du voilier La Montaña pour rejoindre l’Europe et lancer un appel contre le capitalisme. Un étonnant “voyage pour la vie” qui a amené les représentant·es de ce mouvement emblématique de l’altermondialisme à rencontrer sur tout le continent celles et ceux qui imaginent et expérimentent des formes de société alternatives. Raconté dans un film documentaire (Pour la vie, de Sandra Blondel et Pascal Hennequin, 2022), ce voyage a aussi été suivi par l’illustratrice Lisa Lugrin, qui a commencé par publier dans la presse (Libé ou Reporterre entre autres) les planches de cette BD, aujourd’hui sous sa forme définitive. L’album rappelle la genèse du mouvement insurrectionnel et confronte la parole de ses membres à celle des communautés visitées sur le chemin, ZAD ou mouvements autogérés comme ce McDo marseillais transformé en restaurant associatif. Des utopies citoyennes que Lisa Lugrin illustre avec poésie et une liberté de trait qui convient parfaitement au sujet.
![“Le roi méduse”, “New York, New York”… : nos 4 recos BD du week-end 4 terres rebelles](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2024/01/terres-rebelles-749x1024.jpeg)
Terres rebelles, de Lisa Lugrin, Jérôme Baschet et Métie Navajo. Futuropolis, 208 pages, 25 euros.
Épinette noire
Il y a quelque chose d’apaisant qui se dégage du dessin d’Aurélie Wilmet, autrice belge vivant au Danemark. Une sorte de plénitude transmise par ses aplats de couleurs réalisés avec feutres et crayons. Épinette noire raconte pourtant la survie d’une pilote de l’aéropostale dans le Grand Nord canadien après le crash de son avion en décembre 1947. On a connu plus relaxant… Entre les aurores boréales et les tempêtes de neige, son imagination travaille et sa réalité vacille doucement, tandis que les secours se lancent à sa recherche. On se laisse doucement dériver avec elle et s’interroger sur la présence réelle ou non de cet ours blanc au visage tâché. C’est doux, inspirant (malgré une économie de mots) et carrément dépaysant. Le voyage se prolonge à la galerie Arts Factory, à Paris, du 23 janvier au 24 février pour celles et ceux qui voudraient découvrir les planches originales.
![“Le roi méduse”, “New York, New York”… : nos 4 recos BD du week-end 5 9791094442364 cg](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2024/01/9791094442364_cg.jpg)
Épinette noire, d’Aurélie Wilmet. Super Loto Éditions, 208 pages, 29 euros.