116 MAUVIGNIER Laurent © DR

Le conseil lec­ture de Laurent Mauvignier

Chaque mois, un auteur, une autrice, que ­C­ausette aime nous confie l’un de ses coups de cœur littéraires. 

"Si Lucia Berlin n’est pas encore très connue, je ne doute pas que nous serons de plus en plus nom­breux à la lire, à la faire lire, et que, dans pas si long­temps, au rang des grands auteurs amé­ri­cains de nou­velles, comme Cheever ou Carver, on ajou­te­ra ce nom si riche de pro­messes – on dirait celui d’un per­son­nage impro­bable – de Lucia Berlin.

Si elle était fran­çaise, on dirait sans doute qu’elle écrit de l’autofiction, puisque ses nou­velles sont ins­pi­rées de sa vie. Mais d’où vient, alors, le sen­ti­ment qu’on a de ne pas lire une seule his­toire auto­cen­trée, qu’on res­sent d’une nou­velle à l’autre des mondes si dif­fé­rents, et, sur­tout, si tour­nés vers les autres ? Des enfants, des adultes qui nous trim­ballent entre Idaho, Arizona, Montana, Texas, Santiago du Chili, d’une vie de misère à une vie plus douce, à tra­vers une mul­ti­tude de métiers, de lieux de ren­contres comme un arrêt de bus, de jolies mai­sons ou de mobil-​homes, avec, tou­jours, comme en embus­cade, l’alcoolisme. 

Lucia Berlin, ce sont des vies sans attaches, ou au contraire trop liées les unes aux autres, des vies qui bouillonnent de pleurs, de deuils, de joie. C’est que Lucia Berlin a vécu plu­sieurs vies en une. 

Née en Alaska en 1936, elle vit une enfance brin­que­bal­lée avant de deve­nir artiste bohème à New York, infir­mière à Oakland, pro­fes­seur dans le Colorado, femme de ménage, stan­dar­diste. Trois maris et quatre enfants plus tard, fra­gile et dépen­dante à l’alcool, mais vic­to­rieuse de ses cures de dés­in­toxi­ca­tion, elle meurt en 2004, après une vie à l’équilibre pré­caire qui déteint sur ces his­toires – un vieil Indien croi­sé dans une lave­rie auto­ma­tique observe les mains de sa voi­sine, un grand-​père den­tiste se fabrique un den­tier aus­si pour­ri que ses propres dents, une femme de ménage chez une vieille atteinte d’Alzhei­mer –, ici, trente-​neuf récits où tout est colo­ré d’humour et de mélan­co­lie, de soli­tude, ser­vis par une prose unique où de simples scènes de vie sont racon­tées comme des confi­dences, dans un style rapide, natu­rel, propre à l’écrivaine, qui ne parle au fond que de l’acceptation ou non d’une vie qui ne concerne qu’elle. 

Des moments de sa propre vie, de ses vies, Lucia Berlin dresse comme une car­to­gra­phie à mul­tiples visages : des pay­sages, des per­son­nages, comme le puzzle d’un des­tin hors du com­mun qu’on ne peut que vous invi­ter à découvrir."

Manuel à l’usage des femmes de ménage, de Lucia Berlin. Traduit de l’anglais (États-​Unis) par Valérie Malfoy. Éd. Livre de Poche, 600 pages, 8,70 euros, 2017.


En librai­rie : « Histoires de la nuit »

On savait déjà que Laurent Mauvignier était un écri­vain hors norme. Capable de trans­for­mer la guerre d’Algérie en « page-​turner » (dans Des hommes), tout en his­sant sa prose – par­fois qua­li­fiée de « prous­tienne » – dans les sphères les plus éle­vées de la lit­té­ra­ture fran­çaise. Le voi­ci effrayant conteur de roman noir. Dans Histoires de la nuit, il déroule, sur plus de six cents pages, une jour­née d’anniversaire qui tourne mal, « mélange de fête et de ter­reur sus­pen­due », dans un hameau per­du au beau milieu de la France. La ten­sion est déjà à son comble lorsque trois rôdeurs sur­gissent de l’ombre pour séques­trer la famille et le voi­si­nage, « se mon­trant à la fois vio­lents et fra­giles, se condui­sant de manière erra­tique et impro­bable ». Ce huis clos rural fait par­ler les sans-​voix, capte cha­cune de leur res­pi­ra­tion, en mêlant agres­seurs et agres­sés dans une même nuit inte­nable. Prévoyez quelques nuits blanches, de bonnes condi­tions arté­rielles et un moment de calme pour reprendre votre souffle. Assez en tous cas pour pro­non­cer un mot : sen­sa­tion­nel. Lauren Malka

Histoires de la nuit, de Laurent Mauvignier. Les Éditions de minuit, 640 pages, 24 euros.

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