![La sélection livres d’avril 2020 1 110 olivia ruiz dr](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/04/110-olivia-ruiz-dr-1024x682.jpg)
La Commode aux tiroirs de couleurs, d’Olivia Ruiz
Certains ont l’esprit d’escalier, d’autres une mémoire à tiroirs. Ainsi, à la mort de sa grand-mère adorée, une jeune femme reçoit… une commode en héritage. Ce meuble en chêne massif, la défunte l’avait appelé son « renferme-mémoire » et ne laissait personne l’approcher. Enfants et petits-enfants étaient passés, interdits et rêveurs, devant ces neuf tiroirs de couleurs différentes et ce sous-tiroir rose. La nuit après le deuil, notre héritière les ouvre… Dans chacun d’eux, un objet (une médaille de baptême, un acte de naissance, un foulard, un billet de train…) qui raconte une période bien précise de la vie de Rita, cette grand-mère qui avait « le romantisme du secret ». À chaque tiroir qui s’ouvre, c’est comme une voix qui sort, pour conter la destinée de cette femme entre Toulouse, Narbonne et l’Espagne franquiste, et ce secret qu’elle dut taire aux trois générations après la sienne. Fortement autobiographique, ce premier roman « adulte » de la chanteuse Olivia Ruiz (après deux livres jeunesse) est une réussite.
La Commode aux tiroirs de couleurs, d’Olivia Ruiz. Éd. JC Lattès, 208 pages, 19,90 euros.
Ceci est mon corps, de Louise Mey, Ovidie, Faïza Guène, Laurent Malka et Alizée Vincent
C’est une première pour Causette, nous passons des kiosques à la librairie. Voici Ceci est mon corps (clin d’œil à notre rubrique du magazine), adressé en priorité aux jeunes filles. Un recueil de récits mené par six autrices, écrivaines ou journalistes de Causette, abordant avec humour et délicatesse les questions qu’on se pose, enfant, ado et même plus tard, sur notre corps et la façon dont il est perçu.
Chacune a choisi une partie de l’anatomie, un ressenti, un imaginaire, qu’elle aborde avec son style particulier. Car cet ouvrage est le résultat d’un pari excitant : mêler des nouvelles de fiction et des récits journalistiques. Louise Mey * livre un chapitre sur « les doudounes ; boobies ; lolos ; nunga-nungas ; papoumes ; roploplos » quasiment exhaustif ! Faïza Guène s’est attachée à la chevelure, lisse ou crépue, objet d’attentions ou d’angoisses. Ovidie, réalisatrice et écrivaine, évoque le harcèlement et le mécanisme de la honte de soi avec finesse et pédagogie. Anna Cuxac, journaliste, a recueilli le témoignage palpitant de Timothée, jeune homme trans de 20 ans. Lauren Malka, journaliste et autrice, s’attaque aux intestins, ce fouillis long de plus de 7 mètres, qui frémit au moindre stress. Alizée Vincent, journaliste elle aussi, a enquêté sur la façon dont les petites filles imaginent leur sexe à partir des mots qui le désignent. À vous maintenant de découvrir ces histoires et d’y joindre les vôtres.
* Lire la chronique sur son dernier roman, La Deuxième Femme, dans Causette #108.
Ceci est mon corps, de Louise Mey, Ovidie, Faïza Guène, Anna Cuxac, Lauren Malka et Alizée Vincent.
![La sélection livres d’avril 2020 2 virginie linhart 1](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/04/virginie-linhart-1.jpg)
L’Effet maternel, de Virginie Linhart
C’est l’histoire d’une femme libre des années 1970, racontée par sa fille. Mère écrasante, militante féministe qui, cigare à la bouche, reprend ses études après son divorce et devient biophysicienne tout en multipliant les amants. Son moteur, c’est la liberté. Pour y parvenir, elle est prête à tout sacrifier, y compris ses deux enfants. Comment vivre et grandir à l’ombre d’une mère pareille ? Virginie Linhart – qui avait déjà raconté son père, leader de Mai 68, et réalisé des documentaires sur les enfants de sa génération – brosse ici le portrait de sa mère, femme fascinante et destructrice, et retrace son long cheminement pour s’en libérer, d’abord à travers l’écriture, puis en devenant mère à son tour. Non sans fracas. Sincère, déprimante, éclairante, elle nous montre comment les rêves peuvent aussi se bâtir sur les poussières d’une liberté jamais acquise.
L’Effet maternel, de Virginie Linhart. Éd. Flammarion, 240 pages, 19 euros.
Juvenia, de Nathalie Azoulai
Si Voltaire se réincarnait en femme au XXIe siècle, il serait féministe et s’appellerait Nathalie Azoulai ! La romancière invente ici un conte libertin, antimoralisateur à souhait. L’histoire commence dans un pays imaginaire, Juvenia, un 27 janvier d’une année pas si éloignée dans le futur. Ce jour-là, une loi est promulguée, interdisant aux hommes de coucher avec des femmes de plus de vingt ans leur cadette. Pour les six personnages que nous suivons, c’est tour à tour une tragédie ou un enchantement. Certains sombrent dans la dépression, d’autres clament leur féminisme et la légitime revanche de plusieurs siècles de jeunisme et d’oppression. Entre guerre des sexes et fiévreuses unions, ce nouvel ordre du monde fait éclater des vérités et naître une sexualité inattendue. Une fable pour ricaner, trembler et « jouir à en perdre la raison ».
Juvenia, de Nathalie Azoulai. Éd. Stock, 128 pages, 16,50 euros.
Naître et s’engager au monde, de Frédéric Spinhirny
La « naissance » est-elle la grande oubliée de l’histoire philosophique ? C’est la question que pose Frédéric Spinhirny. Directeur adjoint de l’hôpital Necker, à Paris, il constate que la philosophie, majoritairement écrite par des hommes, a toujours été obsédée par la mort. L’acte de naître et de « mettre au monde » ne sont pensés que très rarement et toujours sous la plume de femmes, comme Hannah Arendt. Dialoguant avec elle, mais aussi avec des penseurs et penseuses de toutes les époques – de Socrate, fils de sage-femme, à Mona Chollet, en passant par Rousseau, Nietzsche, Cioran et jusqu’aux écoféministes –, l’auteur revisite l’histoire de la pensée pour construire et questionner un possible « plaidoyer de la naissance ». Car entre deux actes indécis, notre naissance et notre mort, la possibilité nous est offerte de décider et d’agir. Un ouvrage éclairant qui nous aide à être libres.
Naître et s’engager au monde. Pour une philosophie de la naissance, de Frédéric Spinhirny. Éd. Payot, 200 pages, 18 euros.
![La sélection livres d’avril 2020 3 fra portrait gabrielle massat 01](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/04/fra-portrait-gabrielle-massat-01.jpg)
Le Goût du rouge à lèvres de ma mère, de Gabrielle Massat
Rarement un aveugle en aura autant fait voir aux autres. D’autant que Cyrus, notre inoubliable antihéros, le fait avec bon sens et pour une belle vengeance : retrouver qui a tué sa mère, il y a dix ans. Il en avait alors 15. Depuis, ce jeune Américain a refait sa vie comme il pouvait : petits deals et petit studio, à San Diego. Mais quelqu’un qui semble lié au meurtre de la mère – une ancienne prostituée devenue une redoutable proxénète – resurgit du passé. Alors, notre jeune Américain doit replonger dans cette période noire. Une (en)quête à rebours qui nous fera comprendre comment il est devenu aveugle. Situé en Californie, écrit par une Française, Gabrielle Massat, dont c’est le deuxième roman (le précédent était en catégorie « Jeunesse »), ce polar est un régal d’émotion, dopé à l’humour noir, aux dialogues nerveux et aux punchlines d’enfer.
Le Goût du rouge à lèvres de ma mère, de Gabrielle Massat. Éd. Le Masque, 480 pages, 20 euros.
Le Cafard, d’Ian McEwan
Après s’être attaqué au sujet des intelligences artificielles, au cœur de son uchronie Une machine comme moi, parue en janvier, voici la traduction d’un texte tout court et tout chaud, que l’Anglais Ian McEwan a écrit avec rage sur le Brexit. Voici qu’un cafard, donc, se réveille… dans le corps du Premier ministre britannique, Jim Sams. Il ne sait qu’une chose : il a une « mission ». En attendant, il doit mettre en œuvre le projet pour lequel il avait été élu : le « réversalisme ». L’inversion du sens de circulation de l’argent (les magasins rémunèrent le client à hauteur de son achat, l’employé rémunère le patron du nombre d’heures travailler, etc.). De quoi rendre sa grandeur à la Grande-Bretagne et mettre l’Europe au diapason. Absurde, dément, mais so british… Mordant, kafkaïen, pointant les éléments de langage populistes : une bonne rasade de rire froid.
Le Cafard, d’Ian McEwan, traduit de l’anglais par France Camus-Pichon. Éd. Gallimard, 154 pages, 16 euros.