bd 1
© Editions Glénat

“Bobigny 1972” : retour en BD sur ce pro­cès his­to­rique pour le droit à l’IVG

Cet album revient sur un combat judiciaire décisif et rappelle aussi à quel point ce droit reste fragile.

Dans une rue à peine éclairée par des réverbères, une voiture de police se gare au pied d’un immeuble HLM. Trois agents en sortent pour venir réveiller au petit matin une mère et sa fille, arrêtées à leur domicile comme des criminelles. C’est qu’en ce mois de janvier 1972, avorter revient à enfreindre le Code pénal. Marie-Claire Chevalier, 16 ans, se retrouve donc déférée avec sa mère, Michèle, devant le tribunal pour enfants de Bobigny. Le comble de l’horreur : elles ont été dénoncées par un jeune délinquant qui voulait s’en tirer à bon compte à la suite d’un vol de voitures et qui n’est autre que le violeur de Marie-Claire, à cause duquel la jeune femme a dû avorter.

Un an plus tôt, le “Manifeste des 343” paraissait dans Le Nouvel Observateur du 5 avril 1971, pétition qui dénonçait l’injustice de la loi et dans laquelle des centaines de femmes, célèbres comme anonymes, déclaraient avoir avorté. Dans la foulée, Gisèle Halimi et Simone de Beauvoir créaient l’association Choisir la cause des femmes, avec pour objectif de se battre pour la dépénalisation et de défendre gratuitement les femmes poursuivies. Michèle et Marie-Claire Chevalier auront ainsi pour avocate Gisèle Halimi et l’histoire en sera changée. Car cette BD raconte comment ce procès a ouvert la voie à la future loi Veil et joué ainsi un rôle décisif à une époque où, quand avorter était sévèrement réprimé, le viol n’était même pas un crime ! Le scénario de Marie Bardiaux-Vaïente (également historienne) revient en détail sur cette bataille judiciaire, des questions absurdes du procureur aux envolées de la célèbre avocate.

L’album souligne la défense politique assumée par Halimi qui consiste à dénoncer une “justice de classe” et rappelle combien les poursuites ciblaient toujours les femmes les plus précaires, déjà surexposées à la mortalité par des avortements clandestins aux conditions dramatiques. Graphiquement, la dessinatrice Carole Maurel s’empare de ce sujet grave avec une palette riche en émotions. Des lumières chaudes viennent souvent envelopper les cases, avant de soudain s’évanouir pour un bleu gris oppressant. Certaines planches sont composées avec une vraie délicatesse, comme cette illustration du désarroi de la mère lorsque sa fille finit par lui confier avoir été violée : le découpage est alors plus précis pour partager le sentiment d’impuissance qui envahit cette femme bouleversée, à la recherche du geste approprié. Plus tard, le dessin arrive à capter le vertige d’un président du tribunal, seul face à sa conscience, bousculé par un procès dont il semble percevoir la dimension historique.

La BD met aussi en lumière les femmes qui ont accompagné ce combat, de l’actrice et réalisatrice Delphine Seyrig à la journaliste Françoise Giroud, jusqu’à l’incontournable Simone Veil, dont le discours devant l’Assemblée nationale le 26 novembre 1974 vient clore l’album. Ce n’est pourtant pas vraiment un livre documentaire, puisqu’une petite part de fiction est assumée pour mieux transmettre les enjeux, sans dénaturer la réalité.

On aimerait que cette BD ait une simple valeur historique. Elle est pourtant dramatiquement d’actualité. “N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant.” Ces mots de Simone de Beauvoir, mis en exergue au début de l’album, résonnent amèrement quand on voit combien ce droit est en recul dans le monde et son accès en France encore difficile et inégal socialement, comme le montrent les dernières enquêtes de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) en 2022 ou du Planning familial en 2023.

Bobigny 1972 CouvHD

Bobigny 1972, de Marie Bardiaux-Vaïente et Carole Maurel. Glénat, 192 pages, 25 euros.

Vous êtes arrivé.e à la fin de la page, c’est que Causette vous passionne !

Aidez nous à accompagner les combats qui vous animent, en faisant un don pour que nous continuions une presse libre et indépendante.

Faites un don
Partager

Cet article vous a plu ? Et si vous vous abonniez ?

Chaque jour, nous explorons l’actualité pour vous apporter des expertises et des clés d’analyse. Notre mission est de vous proposer une information de qualité, engagée sur les sujets qui vous tiennent à cœur (féminismes, droits des femmes, justice sociale, écologie...), dans des formats multiples : reportages inédits, enquêtes exclusives, témoignages percutants, débats d’idées… 
Pour profiter de l’intégralité de nos contenus et faire vivre la presse engagée, abonnez-vous dès maintenant !  

 

Une autre manière de nous soutenir…. le don !

Afin de continuer à vous offrir un journalisme indépendant et de qualité, votre soutien financier nous permet de continuer à enquêter, à démêler et à interroger.
C’est aussi une grande aide pour le développement de notre transition digitale.
Chaque contribution, qu'elle soit grande ou petite, est précieuse. Vous pouvez soutenir Causette.fr en donnant à partir de 1 € .

Articles liés