Jim Dodge fait partie de ces auteurs quasi inconnus en France, dont le nom surgit des lèvres des libraires lorsque sont évoqués les romans oubliés, ignorés ou épuisés et qu’il est indispensable d’avoir lus. L’Oiseau Canadèche, on le découvrira au fond d’un rayon dont il est bien difficile de dire si c’est celui de la poésie, de la littérature blanche ou du polar.
Ce petit livre maigrelet, à l’étrange couverture sur laquelle un canard délirant tient la vedette, il faut aller le débusquer telle une pépite. Cette tranche de vie de l’Ouest américain est d’une densité, d’une originalité, d’une gouaille qui laisseront une trace dans nos vies de lecteurs.
Pépé Jake, un octogénaire marginal, possède un secret : dans son dernier souffle, un Indien lui a confié la recette d’un whisky qui rend immortel. C’est donc tout naturellement que depuis des années, Jake, seul dans son ranch, ingurgite des quantités thérapeutiques de ce doux breuvage qu’il a surnommé « Le vieux râle d’agonie ». L’arrivée soudaine de son petit-fils Titou, dont les parents sont décédés, puis celle de Canadèche, un canard colvert arraché à une mort certaine, vont transformer sa vie.
Court roman à l’intrigue hilarante ? Long poème tendre et truculent ? Conte philosophique qui démontre avec une incroyable douceur que les événements improbables ne sont jamais impossibles ? Jim Dodge casse les codes de la fiction, anéantit les clichés, tord le temps à la manière d’un Einstein des mots. En deux phrases, il est capable de faire s’écouler des décennies, mais il ne lui faut pas moins de trois ou quatre pages pour disséquer les cinq minutes nécessaires à planter le piquet d’une clôture. C’est une magnifique allégorie de nos existences embrasées, de ces années qui passent sans qu’on y prête garde, des moments précieux qu’on néglige parce qu’il faut absolument attraper un train. Prendre son temps, s’écouter respirer, se regarder vivre… Profiter, tout simplement.
Si le livre compte à peine plus de cent pages, c’est parce qu’il n’a pas besoin de davantage. La plume de Dodge raconte beaucoup avec peu de mots, elle suggère plus qu’elle ne décrit et laisse donc le lecteur s’inventer sa propre histoire. L’Oiseau Canadèche représente, pour moi, le penchant étincelant et joyeux de Des souris et des hommes, de Steinbeck. En ces temps parfois sombres et difficiles, où la glace fond et où les églises brûlent, il est bon de prendre la lumière de ce récit. Profitons de sa petite taille pour l’emporter partout avec soi, le lire et le relire chaque fois qu’on se dira que le monde va mal…
L'Oiseau Canadèche, de Jim Dodge, traduit de l'anglais (États-Unis) par Jean-Pierre Carasso. Éd. 10–18, 2013, 120 pages, 4,90 euros.
En librairie · Luca
Luca est le onzième volet de la série « Sharko-Henebelle » et le dix-huitième roman de Franck Thilliez. Après les avoir laissés de côté dans Le Manuscrit inachevé (2018), le fameux auteur de polars remet ici en selle son duo d’enquêteurs du « 36 », Franck Sharko et Lucie Henebelle donc, ainsi que leur escouade : Nicolas Bellanger et une petite nouvelle, Audra Spick. Tous désormais installés au Bastion, le nouvel antre de la PJ parisienne dans le nord-ouest de la capitale. Luca commence avec un cadavre (dans une fosse au fond d’un bois, Sharko découvre un corps rongé à l’acide) et un décès (à peine a‑t-il transmis une lettre à Bellanger qu’un homme meurt dans les bras du policier). Les deux intrigues sont liées, bien sûr, menant vers des filles séquestrées dans un lieu éloigné et vers un couple en mal d’enfants. Mais Thilliez parvient à les utiliser pour doser avec équilibre la quantité d’enjeux et de thèmes d’un roman très dense : manipulations génétiques, trafics d’adoptions, GPA, transhumanisme, dark Web et lanceurs d’alerte sont de la partie. Hubert Artus
Luca, de Franck Thilliez. Éd. Fleuve Noir, 552 pages, 22,90 euros.