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La sélec­tion d'octobre 2019

Fouque Marin c Safia Bahmed Schwartz
© S. Baed Schwartz

77, de Marin Fouqué

C’est un pre­mier roman fon­dé sur deux chiffres : « 77, c’est le dépar­te­ment. Ça se reven­dique. C’est quelque chose. Plus grand que le 93, même, le 77. On ne dit pas soixante-​dix-​sept. On dit sept-​sept. Comme une salve qui bri­se­rait le silence. » Assis sur le banc d’un Abribus, notre nar­ra­teur ado­les­cent regarde pas­ser des voi­tures ruti­lantes. Ce bal­let lui ins­pire un déchaî­ne­ment ver­bal. Joint après joint, il raconte des bribes de vies, évoque des ami­tiés qu’il croit tra­hies et invoque par­fois l’esprit des lieux. Tout ici est un entre-​deux : entre deux pétards, entre la ban­lieue et la cam­pagne, entre être un « vrai bon­homme » pré­da­teur et macho ou deve­nir adulte, entre mémoire intime et pay­sages exté­rieurs. Avec un flow alter­nant la len­teur coma­teuse et les éclairs fou­droyants, Marin Fouqué apporte sa touch au roman péri­ur­bain fran­çais. H. A.

77, de Marin Fouqué. Éd. Actes Sud, 224 pages, 19 euros.

Adieu fan­tômes, de Nadia Terranova

« La mémoire est un acte créa­tif », écrit Nadia Terranova. Sûrement lec­trice de Proust, cette roman­cière ita­lienne nous raconte com­ment Ida, à 36 ans, doit retour­ner en Sicile affron­ter les ­mys­tères de son enfance. Et si, mal­gré son mariage, sa ­car­rière enviable à Rome, rien ne s’était vrai­ment pas­sé depuis ses 13 ans ? Si l’horloge s’était arrê­tée le jour où, à 6 h 16, son père a dis­pa­ru sans expli­ca­tion ? S’écharpant avec sa mère, qui per­siste à ne rien vou­loir lui racon­ter, cer­née par son pas­sé, Ida peut-​elle sor­tir de ses propres fic­tions pour plon­ger dans le pré­sent ? Avec une grande finesse psy­cho­lo­gique, Nadia Terranova fait écla­ter les non-​dits de la famille, le puis­sant écho des dia­logues muets. Elle nous offre des lignes que l’on vou­drait envoyer à nos proches pour ten­ter de com­bler cette dis­tance, qu’elle décrit si bien, entre nous et ceux qui par­tagent nos vies. L. M.

Adieu fan­tômes, de Nadia Terranova. Traduit de l’italien par Romane Lafore. Éd. La Table ronde, coll. Quai Voltaire, 240 pages, 22,40 euros. Sortie le 3 octobre 2019.

Onanisme, de Justine Bo

Il est des domaines uni­ver­sels qui deviennent bien sin­gu­liers, lorsqu’on cherche à bien les racon­ter. Par exemple, l’onanisme. Pour son cin­quième roman, Justine Bo a su se libé­rer des pos­sibles écueils. Juillet 2018, Cerbère, vil­lage pyré­néen : les Bleus ont gagné la Coupe du monde la veille, tout le monde est en joie ce matin. Sauf Nour, 20 ans, qui s’en fout. Employée à mi-​temps dans un fast-​food, elle pro­fite de toutes ses pauses pour se réfu­gier dans son ­bun­ker, en haut de la cor­niche. Là, aus­si sou­vent que pos­sible, elle se mas­turbe. Mais quelqu’un a oublié son revol­ver près du repère de Nour. Elle s’en empare. Quant à Saïd, son père, il ne s’est pas réveillé ce matin. Il ne ver­ra plus aucun matin… Onanisme a ­plu­sieurs prises : faux polar, roman social peu­plé de por­traits bigar­rés de gens du cru (et d’associés de Saïd) et envo­lées autoé­ro­tiques des plus baroques. H. A.

Onanisme, de Justine Bo. Éd. Grasset, 288 pages, 19 euros. 

La Source de l’amour-propre, de Toni Morrison

Le 5 août, Toni Morrison est morte, à l’âge de 88 ans. Prix Nobel de lit­té­ra­ture en 1993, ­l’autrice du Chant de Salomon ou de Beloved était un clas­sique vivant. Elle demeu­re­ra à jamais un rêve d’unité, de récon­ci­lia­tion et une voix radi­cale quant aux mémoires de l’esclavage ou de la ségré­ga­tion. Paru en février aux États-​Unis, La Source de l’amour-propre avait été pro­gram­mé en France avant la sale nou­velle… Ce recueil ras­semble une qua­ran­taine ­d’articles, dis­cours et confé­rences, don­nés entre 1976 et 2011. Souvent aus­si lyriques que ses fic­tions, ils per­mettent de mesu­rer son enga­ge­ment constant sur les ques­tions de repré­sen­ta­tion des Afro-​Américains, son fémi­nisme, son sou­ci d’une mon­dia­li­sa­tion à visage humain, sa soif d’une culture uni­ver­selle et éter­nelle. Et dévoile aus­si ses propres réflexions sur son œuvre. H. A.

La Source de l’amour-propre, de Toni Morrison. Traduit de l’anglais (États-​Unis) par Christine Laferrière. Éd. Christian Bourgois, 432 pages, 23 euros. Sortie le 3 octobre 2019.

Estuaire, de Lidia Jorge

JORGE Lidia 2019 ©Ph.Matsas
© Ph. Matsas

Dans un livre de Lidia Jorge, l’une des grandes plumes de la lit­té­ra­ture luso­phone, le réa­lisme cache tou­jours une dimen­sion irra­tion­nelle et envoû­tante. Quand débute Estuaire, Edmundo Galeano rentre d’une mis­sion huma­ni­taire à tra­vers le globe, mais il est reve­nu avec une main estro­piée. Dont il se sert, néan­moins, pour écrire… un roman qui explique le monde ! Il ne s’apitoie nul­le­ment. Lidia Jorge non plus, qui fait entrer dans le roman plu­sieurs frères et sœurs Galeano : l’un qui retape des immeubles pour les louer aux clan­des­tins, l’autre qui répare des bateaux pour rien ou encore la sœur dont le fils est fas­ci­né par une baleine, et les autres ensuite. Dans la famille, tout le monde a un peu bais­sé les bras. C’est aus­si pour eux qu’Edmundo écrit. Lidia Jorge raconte avec ten­dresse ces vies minus­cules, deve­nues majus­cules par le lyrisme et la den­si­té lit­té­raire de cet Estuaire. H. A.

Estuaire, de Lidia Jorge. Traduit du por­tu­gais par Marie-​Hélène Piwnik. Éd. Métailié, 240 pages, 19 euros. 

L’Affaire Nobel, d’Olivier Truc

Prenez un pays nor­dique de la « meilleure répu­ta­tion » : éga­li­té hommes-​femmes, éthique, moder­ni­té… Plantez‑y un jour­na­liste fran­çais hyper moqueur, et vous avez L’Affaire Nobel. Novembre 2017, en pleine tem­pête #MeToo, dix-​huit femmes accusent un homme puis­sant, lié à l’Académie sué­doise (qui décerne les prix Nobel), de har­cè­le­ment sexuel et de viol. 
Auteur de polars et jour­na­liste, ins­tal­lé à Stockholm depuis plus de vingt-​cinq ans, Olivier Truc pro­fite de ce fait divers sidé­rant pour grat­ter le ver­nis de l’une des ins­ti­tu­tions les plus célèbres et les plus secrètes au monde. Archives, inter­views, scan­dales his­to­riques…, dans un monde très codi­fié, dont il sait poin­ter les vices et les ver­tus, ce récit jour­na­lis­tique offre une satire sociale dou­blée d’une enquête à sus­pense, un véri­table Game of Thrones minia­ture. L. M.

L’Affaire Nobel, d’Olivier Truc. Éd. Grasset, 320 pages, 19 euros. Sortie le 25 sep­tembre 2019

Nathalie Sarraute, d’Ann Jefferson

Nathalie Sarraute affir­mait que, lorsqu’elle écri­vait, elle n’était « ni homme, ni femme, ni chien ». Qu’elle avait hor­reur des bio­gra­phies, car qui aurait pu enfer­mer dans un livre son iden­ti­té et son his­toire ? 
Ann Jefferson, pro­fes­seure de lit­té­ra­ture fran­çaise à Oxford, ose la défier et la racon­ter. Sa nais­sance en Russie, son enfance qui res­semble à un roman de Dickens, la décou­verte tar­dive de son judaïsme. L’amitié avec Sartre, les rela­tions plus com­pli­quées avec Beauvoir. Sa défiance vis-​à-​vis des femmes et de leur obses­sion à se défi­nir comme telles. À tra­vers les cahiers d’école, les lettres, des allers-​retours entre ses écrits et ses décla­ra­tions, Ann Jefferson débusque les contra­dic­tions de Sarraute et livre un por­trait sen­sible, vivant et nuan­cé de celle qui, aus­si libre qu’un renard, se sur­nom­mait elle-​même « Petit Fox ». L. M.

Nathalie Sarraute, d’Ann Jefferson. Éd. Flammarion, 496 pages, 26 euros.

Dernière Sommation, de David Dufresne

Depuis plu­sieurs années, David Dufresne, enfant du rock deve­nu jour­na­liste, fait grand bruit avec ses docu­men­taires télé, ses « web­docs » inter­ac­tifs (Tarnac, maga­sin géné­ral, en 2012) ou ses articles. Dès les pre­miers same­dis « gilets jaunes », il a entre­pris de recen­ser les témoi­gnages de vic­times de vio­lences poli­cières, avec ses tweets « Allo @Place_Beauvau – c’est pour un signa­le­ment ». Dernière Sommation est une auto­fic­tion : l’un des pro­ta­go­nistes, Étienne Dardel, est un repor­ter rock qui filme, tweete et inter­pelle dans ces mêmes ras­sem­ble­ments. Mais Dufresne crée un véri­table espace roma­nesque à ces évé­ne­ments : par des cha­pitres courts, en mul­ti­pliant focales et pro­ta­go­nistes (un chef de police pari­sien, des CRS épui­sés, une black bloc, des « gilets jaunes » et… de simples gens), il allie politique-​fiction, faits réels et scènes d’action. Un « docu-​roman ». H. A. 

Dernière Sommation, de David Dufresne. Éd. Grasset, 252 pages, 18 euros. Sortie le 2 octobre 2019.

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