Le collectif #MeTooThéâtre dévoile ce vendredi un livre éponyme (éditions Libertalia), coordonné par la comédienne Séphora Haymann et la metteuse en scène Louise Brzezowska-Dudek, regroupant les textes et témoignages emblématiques du mouvement.
![«On ne pourra plus dire qu'on ne savait pas» : le collectif #MeTooThéâtre publie son premier recueil de textes 1 libertalia metootheatre couv web rvb](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/06/libertalia-metootheatre-couv_web_rvb-320x527.jpg)
Un peu plus de sept mois après le déferlement de témoignages sur les réseaux sociaux concernant les violences sexistes et sexuelles au sein du milieu du théâtre, le mouvement #MeTooThéâtre publie ce vendredi un livre éponyme aux éditions Libertalia, coordonné par la comédienne Séphora Haymann et la metteuse en scène Louise Brzezowska-Dudek. Il regroupe des textes lus lors d’un rassemblement devant le ministère de la Culture, le 16 octobre 2021. Et intègre également d’autres écrits, réalisés au cours des derniers mois, ainsi qu’une série de témoignages publiés sur les réseaux sociaux.
Lundi soir, le collectif s'est rassemblé devant les Folies Bergères où se tenait la cérémonie des Molières, qui récompensent le théâtre français. Le texte que deux de ses membres devaient lire sur scène n'a pas pu être prononcé, en raison de discordes avec le président de la cérémonie Jean-Marc Dumontet. Séphora Haymann revient pour Causette sur cet événement et la genèse de cet ouvrage.
Causette : Lundi soir, avec Marie Coquille-Chambel, une autre membre du collectif #MeTooThéâtre, vous n'avez finalement pas pu lire aux Molières le texte que vous aviez préparé sur les violences sexistes et sexuelles dans le milieu du théâtre. Un rassemblement a donc été organisé devant les Folies Bergères où se tenait la cérémonie. Avez-vous l’impression que vous avez pu vous faire entendre ?
Séphora Haymann : Je crois que oui. Quand on a écrit ce texte avec le collectif, on s’est demandé si c’était notre place d’être aux Molières. Il s’agit d’une institution qui a une vocation commerciale, de représentation, pour faire venir les gens au théâtre. Porter une parole politique à l’intérieur d’une fabrique institutionnelle, qui ne fait que construire et reproduire les problématiques qu’on pointe, est une chose qui nous a interrogés. On s’est attelé à écrire un texte audible et objectif, mais il a été refusé. C’était presque logique, car ce qu’on avait à dire n’était pas prêt à être entendu dans cet espace. On l’a fait entendre autrement, on l’a publié, des artistes nous ont rejoint, il y avait une belle émulation. Je pense que le message est passé. Mais aujourd’hui la question est de savoir qui a envie d’entendre ce message et d’agir : ce qu’on dit, des tas de gens le disent depuis des années, des chiffres existent… Les déclarations des pouvoirs politiques ne se manifestent pas par des actions.
Causette : Vous sortez vendredi un livre regroupant les textes fondateurs du mouvement #MeTooThéâtre. Comment est née l’idée de ce livre ? Quel message voulez-vous faire passer ?
S.H. : Quand on a organisé notre rassemblement devant le ministère de la Culture, l'actrice Julie Ménard a réalisé un appel à textes. Comme il s’agissait d’un regroupement d’artistes, de gens qui œuvrent dans la culture, on se disait que des témoignages et des analyses pouvaient être déclamés. On a reçu énormément de textes, qui ont été lus sur une tribune. Ils ont beaucoup marqué et ému les gens, car en plus d’être intéressants dans leur analyse, ils étaient littéraires et forts par leur langue et leur poésie.
La haute fonctionnaire Reine Prat, qui était présente, nous a poussés à les éditer. De nouveaux textes ont été produits à la faveur des événements. On les a ensuite rassemblés sans hiérarchie et sans choix. Ce livre est une aventure collective, de sororité, de fraternité, d’émulation de pensées et de regroupement de personnes de différents bords. Ce rassemblement est presque une réponse à l’une des problématiques que l’on pointe : comment faire corps ensemble.
On est très heureuses de cet ouvrage car il s’agit d’un outil. Ce qui est écrit reste. Toutes les paroles, ce qu’on a envie et pas envie d’entendre, c’est imprimé. C’est noir sur blanc, on ne pourra pas dire qu’on ne l’avait pas dit, qu’on ne savait pas, que les chiffres n’étaient pas connus. L’histoire des femmes est une longue chaîne d’invisibilisation qu’il ne faut cesser de réapprendre.
Causette : Un peu plus de sept mois après le début du mouvement #MeTooThéâtre, quel bilan tirez-vous ? Avez-vous l’impression que les choses changent dans le milieu du théâtre ?
S.H. : Les hommes continuent d’agresser les femmes. On reçoit des témoignages en ce sens tous les jours. En revanche, ce qui change c’est que les gens ne peuvent plus faire comme s’ils ne voulaient pas entendre.
Concernant les chiffres, au sein des institutions, on nous dit que ça avance, mais ça ne cesse d’avancer et de reculer. Nous avons, par exemple, récemment vu la liste des personnes envisagées pour prendre la tête du Théâtre de Lorient (Morbihan), qui fait partie des Centres dramatiques nationaux. Elle est composée de trois hommes et de seulement une femme. L’argent public est toujours aux mains des hommes, de façon exponentiellement plus grande qu’aux mains des femmes, même si le nombre de directrices de théâtres commence à augmenter. Car ce sont toujours les femmes qui dirigent des petites structures.
Donc oui, des choses bougent : on a eu rendez-vous au ministère de la Culture, des signalements peuvent être faits sur des enseignants dans les écoles de théâtre… Mais il existe encore vraiment une chape de plomb et un boys' club. Tout cela est organisé par la structure institutionnelle de nos métiers.