2 Stephane Burlot
© Stéphane Burlot

Dans “Députée Pirate”, l’Eurodéputée Leïla Chaibi raconte son com­bat pour les droits des “tra­vailleurs des plateformes”

Élue en 2019 au sein du Parlement euro­péen sur la liste France insou­mise, la mili­tante Leïla Chaibi raconte dans un livre réjouis­sant com­ment elle a œuvré durant son man­dat en faveur d’une “pré­somp­tion de sala­riat” des petites mains de l’Ubérisation.

Peut-​on faire plus éloi­gné de nos pré­oc­cu­pa­tions quo­ti­diennes que l’Union euro­péenne, cette grosse machine aux méca­nismes opaques, aux rouages léni­fiants et à la tech­no­cra­tie repous­sante ? Et à quoi bon voter aux élec­tions euro­péennes qui se pro­filent début juin pro­chain ? Vous qui dou­tez de vous pré­sen­ter aux urnes, lisez le court mais per­cu­tant récit de l’Eurodéputée Leïla Chaibi, publié le 24 jan­vier aux édi­tions Les Liens qui libèrent. En 124 pages, l’élue France insou­mise (FI), membre du groupe par­le­men­taire The Left, par­vient à nous rendre l’Union euro­péenne sexy. Mieux encore : pri­mor­diale pour amé­lio­rer nos droits et nos condi­tions de vie.

Dans Députée Pirate, com­ment j’ai infil­tré la machine euro­péenne, Leïla Chaibi raconte son com­bat pour arra­cher aux ins­tances de l’Union une direc­tive visant à don­ner aux “travailleur·ses des pla­te­formes” un sta­tut de salarié·es et la pro­tec­tion sociale qui en découle. Livreur·euses chez Deliveroo ou conducteur·rices chez Uber, les for­çats des start-​up (pour cer­taines deve­nues entre-​temps des mul­ti­na­tio­nales cotées en bourse) sont quatre mil­lions en Europe à tri­mer cin­quante heures par semaine sous le pré­caire sta­tut de tra­vailleur indé­pen­dant, et pour des clo­pi­nettes. Placée en troi­sième posi­tion de la liste FI aux élec­tions de juin 2019 et débar­quée au cœur du réac­teur euro­péen sans trop croire à ses capa­ci­tés d’agir en son sein, Leïla Chaibi va trou­ver un sens à son man­dat en s’emparant d’un sujet qui devient, à l’époque, brûlant.

Bras de fer avec Macron

“C’est pour moi une pas­sion dévo­rante, un sen­ti­ment de puis­sance qui m’anime, à bous­cu­ler ain­si l’ordre éta­bli lorsque tout vous donne vain­cu, à genou”, écrit la femme poli­tique dans son livre. Son par­cours mili­tant fini­ra de vous en convaincre : enga­gée dès 2001 dans le syn­di­cat Sud étu­diant alors qu’elle fait ses classes de sciences poli­tiques à Toulouse, elle se retrouve une fois mon­tée à Paris dans tous les bons coups de la jeu­nesse de gauche : une “grève des sta­giaires” en 2005 qui abou­ti­ra à la fon­da­tion de Génération pré­caire, puis elle invente car­ré­ment le col­lec­tif Jeudi noir, ce fameux mou­ve­ment qui réqui­si­tionne des locaux ban­caires vides pour y loger des sans-​abri et a éga­le­ment vu émer­ger Julien Bayou (Les Verts).

Écrit avec une éner­gie qui semble être la com­po­sante pre­mière de la per­son­na­li­té de Leïla Chaibi, Députée Pirate prend par la main son lec­teur pour lui mon­trer com­ment il est pos­sible de faire de la poli­tique dans ce Parlement qui, rappelle-​t-​elle, est “le seul au monde à ne pas dis­po­ser d’un pou­voir légis­la­tif”. Les député·es européen·nes votent en effet des réso­lu­tions qui n’ont pas de valeur légis­la­tive et ont un droit de regard sur des direc­tives émises par la Commission euro­péenne, les­quelles doivent être trans­po­sées dans le droit de chaque pays membre. Au fil des pages, c’est un délice de la voir, avec son équipe, déjouer les pièges des lob­bies (les sept cents député·es frayent avec les 70 000 lob­byistes qui ont leur rond de ser­viette à Bruxelles, soit “un contre cent”, observe la dépu­tée), convaincre les plus aus­tères des com­mis­saires et sur­tout… se battre contre l’agenda d’Emmanuel Macron.

Demi-​victoire

Car au-​delà des anec­dotes effa­rantes sur l’entrisme des lob­bies (men­tion spé­ciale à cette dépu­tée qui se met à lire par erreur un amen­de­ment pré­ré­di­gé par un lob­byiste au sujet de la libé­ra­li­sa­tion du sys­tème de san­té… amé­ri­cain), c’est le bras de fer enga­gé entre cette “petite” dépu­tée fran­çaise de gauche et la pré­si­dence fran­çaise qui cap­tive. À mesure que Leïla Chaibi tente de faire céder la Commission euro­péenne pour créer un sta­tut de “sala­rié pré­su­mé” pour ces travailleur·euses des pla­te­formes, elle se rend compte que les résis­tances les plus dures ne sont pas for­cé­ment celles d’une admi­nis­tra­tion euro­péenne libé­rale. Preuve en est, en juillet 2022, la presse révèle les Uber files”, qui démontrent les liens entre­te­nus par Emmanuel Macron, depuis 2017 et son man­dat de ministre de l’Économie, et la firme Uber.

Si Leïla Chaibi par­vient à convaincre la Commission, puis le Parlement, à se pro­non­cer en faveur d’une pré­somp­tion de sala­riat, l’histoire est loin d’être finie : en décembre der­nier, Euronews révé­lait que le pro­jet légis­la­tif avait été ran­gé au fond d’un tiroir par les états membres. Une rai­son de plus, pour cette dépu­tée issue d'un par­ti euros­cep­tique, de pré­sen­ter à nou­veau pré­sente sur la liste LFI des élec­tions euro­péennes de juin, afin de repar­tir au combat.

On regret­te­ra que ce réjouis­sant et péda­go­gique petit livre évoque une “infil­tra­tion” un peu déma­go­gique dans son titre. En tant qu’élue, Leïla Chaibi n’a rien d’une clan­des­tine dans ces cou­loirs, contrai­re­ment à ces travailleur·euses des pla­te­formes qu’elle par­vient à faire entrer dans des réunions feu­trées pour qu’ils et elles fassent connaître leurs réa­li­tés quo­ti­diennes et leurs reven­di­ca­tions. Mais le résul­tat est là : en quelques cha­pitres, l’eurodéputée nous donne envie d’Europe. Enfin, d’une Europe de gauche.

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Députée Pirate : com­ment j’ai infil­tré la machine euro­péenne, de Leïla Chaibi. Les liens qui libèrent, 128 pages, 12 euros.

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