Élue en 2019 au sein du Parlement européen sur la liste France insoumise, la militante Leïla Chaibi raconte dans un livre réjouissant comment elle a œuvré durant son mandat en faveur d’une “présomption de salariat” des petites mains de l’Ubérisation.
Peut-on faire plus éloigné de nos préoccupations quotidiennes que l’Union européenne, cette grosse machine aux mécanismes opaques, aux rouages lénifiants et à la technocratie repoussante ? Et à quoi bon voter aux élections européennes qui se profilent début juin prochain ? Vous qui doutez de vous présenter aux urnes, lisez le court mais percutant récit de l’Eurodéputée Leïla Chaibi, publié le 24 janvier aux éditions Les Liens qui libèrent. En 124 pages, l’élue France insoumise (FI), membre du groupe parlementaire The Left, parvient à nous rendre l’Union européenne sexy. Mieux encore : primordiale pour améliorer nos droits et nos conditions de vie.
Dans Députée Pirate, comment j’ai infiltré la machine européenne, Leïla Chaibi raconte son combat pour arracher aux instances de l’Union une directive visant à donner aux “travailleur·ses des plateformes” un statut de salarié·es et la protection sociale qui en découle. Livreur·euses chez Deliveroo ou conducteur·rices chez Uber, les forçats des start-up (pour certaines devenues entre-temps des multinationales cotées en bourse) sont quatre millions en Europe à trimer cinquante heures par semaine sous le précaire statut de travailleur indépendant, et pour des clopinettes. Placée en troisième position de la liste FI aux élections de juin 2019 et débarquée au cœur du réacteur européen sans trop croire à ses capacités d’agir en son sein, Leïla Chaibi va trouver un sens à son mandat en s’emparant d’un sujet qui devient, à l’époque, brûlant.
Bras de fer avec Macron
“C’est pour moi une passion dévorante, un sentiment de puissance qui m’anime, à bousculer ainsi l’ordre établi lorsque tout vous donne vaincu, à genou”, écrit la femme politique dans son livre. Son parcours militant finira de vous en convaincre : engagée dès 2001 dans le syndicat Sud étudiant alors qu’elle fait ses classes de sciences politiques à Toulouse, elle se retrouve une fois montée à Paris dans tous les bons coups de la jeunesse de gauche : une “grève des stagiaires” en 2005 qui aboutira à la fondation de Génération précaire, puis elle invente carrément le collectif Jeudi noir, ce fameux mouvement qui réquisitionne des locaux bancaires vides pour y loger des sans-abri et a également vu émerger Julien Bayou (Les Verts).
Écrit avec une énergie qui semble être la composante première de la personnalité de Leïla Chaibi, Députée Pirate prend par la main son lecteur pour lui montrer comment il est possible de faire de la politique dans ce Parlement qui, rappelle-t-elle, est “le seul au monde à ne pas disposer d’un pouvoir législatif”. Les député·es européen·nes votent en effet des résolutions qui n’ont pas de valeur législative et ont un droit de regard sur des directives émises par la Commission européenne, lesquelles doivent être transposées dans le droit de chaque pays membre. Au fil des pages, c’est un délice de la voir, avec son équipe, déjouer les pièges des lobbies (les sept cents député·es frayent avec les 70 000 lobbyistes qui ont leur rond de serviette à Bruxelles, soit “un contre cent”, observe la députée), convaincre les plus austères des commissaires et surtout… se battre contre l’agenda d’Emmanuel Macron.
Demi-victoire
Car au-delà des anecdotes effarantes sur l’entrisme des lobbies (mention spéciale à cette députée qui se met à lire par erreur un amendement prérédigé par un lobbyiste au sujet de la libéralisation du système de santé… américain), c’est le bras de fer engagé entre cette “petite” députée française de gauche et la présidence française qui captive. À mesure que Leïla Chaibi tente de faire céder la Commission européenne pour créer un statut de “salarié présumé” pour ces travailleur·euses des plateformes, elle se rend compte que les résistances les plus dures ne sont pas forcément celles d’une administration européenne libérale. Preuve en est, en juillet 2022, la presse révèle les “Uber files”, qui démontrent les liens entretenus par Emmanuel Macron, depuis 2017 et son mandat de ministre de l’Économie, et la firme Uber.
Si Leïla Chaibi parvient à convaincre la Commission, puis le Parlement, à se prononcer en faveur d’une présomption de salariat, l’histoire est loin d’être finie : en décembre dernier, Euronews révélait que le projet législatif avait été rangé au fond d’un tiroir par les états membres. Une raison de plus, pour cette députée issue d'un parti eurosceptique, de présenter à nouveau présente sur la liste LFI des élections européennes de juin, afin de repartir au combat.
On regrettera que ce réjouissant et pédagogique petit livre évoque une “infiltration” un peu démagogique dans son titre. En tant qu’élue, Leïla Chaibi n’a rien d’une clandestine dans ces couloirs, contrairement à ces travailleur·euses des plateformes qu’elle parvient à faire entrer dans des réunions feutrées pour qu’ils et elles fassent connaître leurs réalités quotidiennes et leurs revendications. Mais le résultat est là : en quelques chapitres, l’eurodéputée nous donne envie d’Europe. Enfin, d’une Europe de gauche.
![Dans “Députée Pirate”, l’Eurodéputée Leïla Chaibi raconte son combat pour les droits des “travailleurs des plateformes” 2 thumbnail image001](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2024/01/thumbnail_image001.jpeg)
Députée Pirate : comment j’ai infiltré la machine européenne, de Leïla Chaibi. Les liens qui libèrent, 128 pages, 12 euros.